Samedi 4 octobre. Assemblée Générale des Vignerons Bretons, à Vannes (56). Non, ce n'en est pas une et nous ne sommes pas le 1er avril!... D'ailleurs, les amateurs ont déjà pu découvrir ici-même deux "crus" de Bretagne : le Mont Garrot, à St Suliac, non loin de St Malo (qui s'agite en ce moment pour cause de Route du Rhum, comme il y a quatre ans!) et le Coteau du Braden, à Quimper. En 2013, l'AG se déroulait à Rénac, près de Redon. Cette année, c'est Vannes et son Palais des Arts et des Congrès qui accueillaient la réunion annuelle. Rassurez-vous, il ne s'agissait quand même pas d'un grandiose amphithéâtre et la plus modeste salle de la Corvette suffisait à réunir confortablement les participants.
Ceux-ci composent donc l'Association pour la Renaissance des Vins Bretons, présidée pas Gérard Alle et l'affiche annonçant l'évènement est illustrée par une vigne, deux grappes de raisins rouges et blancs, comme il se doit, mais aussi par Gwenn ha du, le drapeau breton. Inutile de préciser que les organisateurs et adhérents veulent souligner l'aspect identitaire de l'activité vini-viticole bretonne, même s'il ne s'agit pas là, à proprement parler, d'un syndicat de défense ou d'un organe né de l'existence d'institutions professionnelles et pour cause, puisque la viticulture de Bretagne n'existe pas officiellement, sachant que la région fait partie de celles dans lesquelles, il est proprement interdit de planter de la vigne!... En tout cas de pratiquer un quelconque commerce de vins issus de cépages plantés dans les quatre (ou cinq?) départements bretons. Mais, chacun sait que la Normandie ou l'Ile de France sont aussi concernées par cette réglementation et que parfois les dynamiques sont autres, au point que deux IGP sont apparues dans le Calvados en 2009 et 2011.
En sera-t-il un jour de même en Bretagne? Il est sans doute trop tôt pour le dire. En tout cas, sur la base du regroupement actuel de vignerons, souvent issus du secteur associatif (association de quartier, animation locale destinée aux seniors...) et peu enclins à se confronter aux contraintes émanent des divers services et de leurs réglementations (Douanes, Fraudes...), il est peu probable que le "combat" sorte de la diversion anecdotique et de l'ambiance bon enfant des soirées de vendanges et des journées de mise en bouteilles entre amis. Pourtant, ceux qui suivent les vins bretons depuis une huitaine d'années constatent des progrès lors des rares dégustations (pour cause de productions intimistes) et un projet d'installation "pour de vrai" existe désormais en Sarzeau (travail au cheval, vinification nature, selon Louis Chaudron, qui déposera sa demande de droits de plantation en 2015!), dans la presqu'île de Rhuys (où quelques secteurs de vignes apparaissaient sur la carte de Cassini) et même, plus "municipalement", sur l'Ile d'Arz. Alors, à quand une AOP Morbihan ou des IGP Arz ou Rhuys, ou encore Pays de Redon, voir Coteaux de la Rance ou de Quimper?...
Après une présentation du projet de l'Ile d'Arz par son ancien maire, Daniel Lorcy, quelques vignerons évoquèrent les conditions pas toujours simples du millésime 2014. D'aucuns, comme Benoît Biheux, de Rénac (35) n'avaient d'ailleurs pas que de bonnes nouvelles, puisque ce dernier laissait entendre qu'il n'allait plus pouvoir s'occuper de sa parcelle de quarante ares de chardonnay, près de l'église du village, privilégiant son activité de maraîcher et désirant limiter ses déplacements. De leur côté, les habitants du quartier du Braden, à Quimper, dont l'association gère soigneusement les quelques 870 pieds de vigne (60% chardonnay et 40% pinot gris) annonçaient les très prochaines vendanges, puisque prévues pour le lendemain, dimanche 5 octobre. La production 2013 avait permis de boucher 1175 bouteilles et l'accent était mis sur les conditions météorologiques absolument exceptionnelles pour l'été 2014, du moins de l'arrière-saison (5 mm de pluie au lieu de près de 90 habituels en septembre!), ce qui avait pour conséquence intéressante qu'aucun systémique ne fut utilisé cette année. Et de souligner l'espoir d'une belle récolte et d'un beau millésime. A noter que quelques plants de gamaret ont été plantés afin de vinifier un complément aux blancs habituels et que la production d'un rouge quimperois se profile!...
A St Suliac et au Mont Garrot, ce n'est pas la même chanson, cette année!... Au grand dam de Jean-Yves Hugues, leader des vignerons suliaçais, il n'y aura pas de vendanges en 2014!... En effet, le chenin planté avec vue imprenable sur les vestiges du camp viking, que l'on aperçoit à marée basse, a subi une attaque d'oïdium, genre fulgurante, en plein mois d'août. Des absences pour cause de vacances et peu de personnes disponibles au moment crucial. Résultat : en 48 heures, les raisins ont pris une couleur peu avenante. A noter que la partie haute de la parcelle a été arrachée, en vue de la plantation d'un cépage rouge (rondeau!?).
A Vannes, il s'agit d'une micro-parcelle de 300 pieds, plantée en 2011, par Jean de Saint Rémy dans sa très belle propriété vannetaise. Pour tout dire, 2014 s'annonce là superbe et d'ailleurs, à l'issue des débats et du repas confraternel, les participants seront invités à vendanger le millésime, puisque les oiseaux se sont déjà invités au festin et ce, depuis une quinzaine de jours!... Les dégâts sont estimés à 40% de perte, il est donc temps de passer à l'action. Le vigneron nous explique au passage que ses parents possédaient naguère une propriétéà St Emilion, qu'il avait tenté de transférer quelques droits pour planter des vignes dans les Landes, mais que face aux réticences administratives, il avait finalement renoncé. Désireux malgré tout de planter quelques arpents en Bretagne, il parvint à se dédouaner de toute tracasserie en plantant un raisin de table, l'aladin, cépage hybride, dont est tolérée une vinification pour sa consommation personnelle. Ce sont les Coteaux du Pargo. A noter cependant qu'en 2013, quelques pieds de sauvignon ont été plantés franc de pied.
Était également présente l'association de la banlieue nantaise (Nantes est bien en Bretagne, dites-moi?...), Le Berligou, du nom du cépage (une variété ancienne de pinot noir, semble-t-il) plantéà raison de 386 pieds sur les six ares entretenus par l'association de Couëron. Le tout sur le porte-greffe riparia rupestris 3309, avec un enherbement total, selon le représentant des vignerons locaux. L'essentiel de la production se limite à une vinification en rosé, avec cependant un petit volume de rouge (très gouleyant ce jour-là, au restaurant). A noter que l'association a récemment planté un rang d'hybrides (pas moins de vingt-deux variétés!) tous présents sur la commune et récupérés avant arrachage, afin de constituer une sorte de conservatoire de la viticulture locale. Il y a là oberlin, landau, rayon d'or et autre vin des pharaons, entre autres!...
Bien sur, il était possible de déguster quelques échantillons de vins bretons, évènement rare s'il en est, puisque aucun de ces vins n'est destinéà la commercialisation. A peine, une forme de don à une éventuelle association est-elle admise. Certains vignerons étaient absents, mais avaient confié une ou deux bouteilles aux organisateurs. Parmi celles-ci, deux pétillants étaient très plaisants, même s'ils ne pouvaient qu'amuser Benoît Marguet, vigneron en Champagne et de passage un peu par hasard. Notez que ces deux vins étaient issus de Maréchal Foch pour le blanc et de Plantet pour le rouge. Le Clos de Chevalier, c'est le nom du cru, est produit au Quillio (22), entre Mûr de Bretagne et Loudéac, par Jean Donnio, avec passion et en dépit des demandes d'arrachage qui lui arrivent de temps en temps!...
La manifestation était aussi agrémentée de deux interventions de professionnels. Alain Poulard, tout d'abord, de l'IFCV de Nantes, pour évoquer la gestion des fermentations, ainsi que les levures (minimisant au passage l'impact de l'emploi des plus exogènes du genre!?), puis Ludivine Guinoiseau, qui s'est attachée à présenter l'étude sur la faisabilité d'une réimplantation de la vigne dans le Morbihan, en liaison avec le Parc Naturel Régional du Golfe du Morbihan, précisant notamment que le potentiel climat/sols/topographie semble favorable, sous réserve d'une sélection attentive des meilleures parcelles et expositions.
Enfin, Guy Saindrenan, auteur d'un ouvrage de référence sur la Vigne et le Vin en Bretagne (aux Éditions Coop Breizh), rappela quelques éléments à caractère historique qu'il convient de garder à l'esprit, au moment où de nouvelles plantations sont annoncées. Ses recherches l'ont désormais convaincu que le choix des hybrides entre les deux guerres, pour replanter le vignoble de la presqu'île de Rhuys notamment, s'est avéré catastrophique. Et de préciser que dans les vignobles les plus septentrionaux, seul le choix de la qualité et des meilleurs cépages avait permis de maintenir la production de vins au fil des décennies, citant notamment Jasnières ou les Côtes de Toul, pour illustrer son propos. Il faut aussi se rappeler que la période faste de la région de Sarzeau se situe au tout début du XXè siècle. Depuis dix ou vingt ans, le phylloxéra avait détruit petit à petit le vignoble de Cognac et on incita donc les quelques vignerons du Sud-Bretagne à planter de la folle, afin de fournir des jus, à gros bouillon, aux producteurs de Fine Champagne. Ce qui fut fait pendant quelques années, jusqu'à l'apparition du sinistre puceron dans le Morbihan (1903). Une forme de prospérité apparut, mais pour ce qui est de la qualité, c'est une autre affaire, puisqu'il s'agissait de production à gros rendements et de distillation. L'historien de la vigne bretonne préférerait certainement une orientation plus ambitieuse, que le sempiternel rappel d'une tradition quelque peu folklorique.
L'arrachage des hybrides qui suivit cette période, permit la plantation de cépages de qualité dans certains endroits, comme àPénestin, où Madame Delatouche nous expliquait en 1970 toutes les raisons qui présidaient à l'entretien d'un "coteau pierreux sur lequel il y avait toujours eu de la vigne de mémoire d'homme". Là, c'est un ostréiculteur qui occupait son personnel en basse saison maritime et lui offrait, selon ses dires, des moments de détente vis à vis du travail des marées!...
Il reste donc à franchir un nouveau pas, pour voir apparaître un progrès sensible. Peut-on compter sur les effets du réchauffement climatique et une réglementation européenne plus souple au 1er janvier 2016?... Certes, il faut aussi continuer à encourager cette démarche d'amateurs passionnés aux quatre vents de la Bretagne, parce que ce sont peut-être les bases d'un avenir plus construit. Mais, rappelons que la démarche reste fragile et que la plupart des animateurs, dans ces micro-vignobles, sont des sexagénaires, voire des septuagénaires, bon pied bon oeil certes, mais espérant aussi transmettre intacte leur passion. La lecture des plus récents comptes-rendus d'AG des Vignerons Bretons évoque d'autres vignes à Loudéac, Lanarvily, Daoulas, Morlaix, Le Folgoët, Fougères ou sur les Coteaux du Léguer. Qu'en est-il de leur pérennité aujourd'hui?... Pourront-ils franchir ce cap du "bon petit vin agréable à boire entre amis"?... Il est possible d'espérer et les Bretons savent garder l'espoir et leur enthousiasme en toutes circonstances. On peut croire que les vins de Bretagne pourraient y gagner un supplément d'âme bretonne.