Le sol est couvert d'un tapis de feuilles jaunes ou brunes. Si épais qu'on a parfois l'impression de marcher en suspension. Au coeur de l'automne, qui a vite adopté une posture hivernale cette année, nos escapades dans la campagne déclenche une sorte de nostalgie, qui confine parfois à la mélancolie. C'est curieux mais, dans les rues même de Paris, entre béton et bitume, je ressens un peu la même chose. mais, ce sont sans doute là, les souvenirs de mon enfance qui ressurgissent, lorsque octobre ou novembre nous guidaient jusqu'au Bois de Vincennes ou dans la forêt, du côté de Linas-Montlhéry...
Étions-nous plus alors habitants des villes ou habitants des champs?... Ce qui peut paraître curieux, c'est le bruit du métro qui semble être toujours le même, ainsi que les odeurs ou la lumière souvent crue. Les portes qui claquent, les courses comme des slaloms, dans les couloirs de correspondance, où la misère se cachent difficilement de nos jours. Est-ce pour cela que les trains grincent parfois?... La Ville est cosmopolite, sans doute encore plus que naguère. Ils sont si nombreux à s'inviter à des reliefs d'ortolans sur des tapis de Turquie. La Ville est également bruit, fureur parfois, quand les feux passent au vert dans un long sens unique du centre historique, ce moment où personne ne se risquerait à descendre du trottoir, en réclamant un soupçon de civilité, à défaut de civisme.
En ce dimanche matin, le soleil parisien avait plutôt une salle gueule. Genre blafarde et presque grise. Sans doute s'était-il couché un peu tard, comme nous et avait-il partagé avec quelques amis un régal fort honnête, où rien ne manquait au festin. Peut-être avait-il fait quelques projets un peu fou ou préparer un bon coup? Sous sa lumière voilée, brumeuse, je marche sur les bords de la Seine. Je vais rejoindre le bateau chargé de bouteilles et de victuailles, comme s'il était sur le point de partir pour quelque convoyage.
Au pied du Ministère des Finances, quai de la Rapée, les voitures surgissent à des vitesses élevées sur la rampe qui descend du Pont de Bercy, en passant à moins de trois mètres d'une petite plaque qui indique le niveau atteint par la crue centennale de 1910. Là, dans un recoin de la citadelle de béton, symbole du fric impalpable et si présent malgré tout à Paris, une forme humaine à même le sol, emmitouflée dans un duvet vert, est étalée sur le trottoir. On se prend alors à espérer que l'occupant de ce bivouac d'infortune soit encore vivant, tant le froid humide est mordant ce matin. Dans ma polaire et mes vêtements chauds, un frisson me parcourt alors. Est-ce la peur?... Sans doute celle d'une forme d'indifférence coupable. Et du désarroi qui nous envahit parfois.
Isabelle Jomain, de Verre Bouteille, "organisatrice d'évènements et de circuits touristiques dans le vignoble", a convié quelques vignerons sur la péniche Mélody Blues, amarrée face à la Bibliothèque François Mitterrand, en vis-à-vis du Batofar (salle de concert bien connue et sorte de descendant ou de survivant des radio-pirates anglo-saxonnes des années 60 - voir Good Morning England) et à deux pas du Palais Omnisports de Bercy.
Deux douzaines de domaines et autant de vignerons sont au rendez-vous d'un évènement à caractère local, mais très apprécié des Parisiens et de quelques provinciaux prêts à se jeter à l'eau (quoique!). Il faut dire qu'en plus des cuvées présentes, on peut y apprécier de jolies gourmandises, comme les foies gras et conserves artisanales d'Alain Grèzes, ainsi que les huîtres normandes de Cyril Hess, entre autres. De plus, cette année, Isabelle a prévu un espace restauration sous une tente chauffée sur le pont de la péniche, ce qui permet aux visiteurs de goûter aussi à la douceur du jour, finalement plutôt ensoleillé. Lorsqu'on sait, de plus, que Jean-Philippe Padié, venu de sa montagne catalane, est passé au préalable dans le Jura, histoire de stocker quelques saucisses de Morteau et portions de vénérables Comté, dont un exemplaire se retrouve sur la table au moment de déguster Milouise 2011, on peut se dire que la vie parisienne connaît des moments de douceur à ne pas négliger!... Et le citadin de dire : achevons tout notre rôt!...
Point de crue cette fois, mais bien des crus à découvrir ou redécouvrir. Quelques fidèles faisant partie de l'équipage depuis le début, tels Paul Barre, Gombaude-Guillot, Pierre Frick, Thévenet-Quintaine ou encore les domaines ligériens Breton et Baudouin, mais aussi d'autres qui débutent (ou presque) sur ce genre de salons, comme Laurence Alias et Pascale Choine, des Closeries des Moussis, option Haut-Médoc, ou Vincent Quirac, du Clos 19 Bis, en Graves et Sauternes, de nouveaux Bordelais dans la place et à suivre!... A noter aussi de jolies séries avec les Chablis d'Athénaïs de Béru, les cuvées 2011 du Domaine Saladin et celles du Domaine Padié, mais encore la gamme du Domaine Milan, en Baux de Provence, sans oublier celle de Guillaume Lefèvre, du Domaine de Sulauze, en Coteaux d'Aix, aux confins de la Camargue, qui en plus de ses jolis vins, proposait un duo de bières remarquables!... Difficile de passer tout le monde en revue, mais un salon à inscrire sur vos tablettes.
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Dimanche matin. le brouillard a envahi le paysage du centre de la Vendée. Dans la voiture, sur l'autoroute quasi déserte, j'écoute fort et clair Tres Hombres de ZZ Top. A mi-chemin, après Cholet, le soleil prend le dessus et du côté de Rablay sur Layon, la lumière d'hiver est des plus agréables. Au-delà des maisons de la place du village, on distingue le Mont Benault, rasé de frais, qui semble prendre le soleil, un peu comme le font certains grands crus alsaciens. Mais, point de vendanges tardives ou de sélections de grains nobles cette année, ou si peu!...
Le village est bien connu pour ses animations artistiques et sa dimension artisanale. Cela tombe bien, puisque l'association qui propose En Joue Connection dans sa troisième version, se compose de vignerons revendiquant leur statut d'artisan. De la bouche même de leur Président, Clément Baraut, c'est l'occasion d'insister sur ce qui les caractérise : "En dehors de cette occasion particulière, le meilleur moyen de croiser ces vignerons, c'est de se rendre dans leurs vignes!..." Il faut dire que parfois, la tâche est ardue. Et tous ceux qui sont arrivés dans la région depuis peu, ou qui ont décidé de franchir le pas (aah, devenir vigneron!), pourront l'expliquer aisément. On leur trouve même un niveau d'abnégation et d'envie hors du commun. Certes, il est possible, plus qu'ailleurs parfois, de trouver quelques parcelles disponibles, mais leur remise en état (elles sont parfois en friche depuis plusieurs années) demande des efforts pour le moins soutenus, avant même de tailler, piocher, complanter, traiter (à dos pour certains), vendanger, presser, etc... et ainsi, obtenir les cuvées escomptées. La dégustation laisse alors entrevoir quelques jolis vins et des perspectives commerciales satisfaisantes. Mais, il faudra encore d'autres efforts, choisir certaines tendances, partir à la rencontre des amateurs et professionnels ouverts et curieux.
Heureusement, en ces deux jours de la mi-décembre 2013, il est réconfortant de constater que les visiteurs sont bien présents et en grand nombre, pour cette manifestation regroupant pas moins d'une vingtaine de domaines et même quelques jeunes invités, comme Stéphanie Debout et Vincent Bertin (ci-dessus) ou encore Marie-Lou Diebolt et Baptiste Cousin (ci-dessous), ces derniers, vignerons andegaves (peuple gaulois de l'Anjou), proposant les cuvées du Batossay (prononcez Batossaille), nouveau et fier navire paréà voguer sur le Layon (et plus loin, n'en doutons pas!), au moment où il se murmure que le père, Olivier C, envisage de reprendre la mer bientôt, pour de nouvelles explorations. D'autres barriques vont donc ainsi naviguer, après une circum-navigation sur l'Atlantique à bord du Tres Hombres et une autre plus arctique sur Tara, qui pourrait bien retourner en Méditerranée avant longtemps.
Là encore, il était possible de se restaurer (parfois, une pause s'impose...), avec une base de crêpes salées et sucrées qui, pour peu, pouvaient nous laisser croire que nous étions au nord de la Loire et en Armorique. Pour l'occasion, une petite place était également réservée àTronches de vin, le guide des vins qui ont d'la gueule, en présence notamment de la très rare, mais pourtant angevine, Eva Robineau, dont l'Agence Échos faisait ses premiers pas dans le vignoble layonesque, verre en main, mais avec modération, n'en doutez pas!...
Au cours du week-end, il était aussi possible de croiser Étienne Davodeau, toujours équipé de son stylo (une dédicace pouvant survenir à chaque instant!) et accompagné de son compère des Ignorants, Richard Leroy, régionaux de l'étape pour le moins, puisque habitants du bourg de Rablay. Quelques Anges Vins, les "grands frères", n'ont pas manqué de venir croiser le verre et d'aucuns soulignant au passage d'indéniables progrès chez certains de ceux qui marchent dans leurs pas, ce qui tend à confirmer que chacun a bien présent à l'esprit, le souci d'une certaine cohérence profitable à l'Anjou et à une production respectueuse de certaines options, tant environnementales que naturelles du point de vue des vins.
Verres en main donc, quelques jolies cuvées appréciées chez Marc Houtin, de La Grange de ZZ Top aux Belles, ou encore Clément Baraut et une jolie Roche-aux-Moines 2012, mais aussi auprès de Charlotte Battais et son grolleau noir en mode glou-glou, ou encore Mai et Kenji Hodgson (avec peu de vin disponible cependant, vu le succès de certaines de leurs cuvées!), ou encore les chenin, dont un Layon nature de Jérôme Lambert, rablaysien de naissance, mais handicapé depuis une quinzaine de jours, suite à une fracture de la malléole qui va le contraindre à l'utilisation de béquilles pendant quelques trop longues semaines et à une rééducation attentive, alors même que certains travaux comme la taille se profilent. Mais, sans doute là, l'occasion de mesurer l'impact de la solidarité animant ce groupe, un des aspects essentiels de son existence et de ce qui doit contribuer à renforcer sa cohésion.
"C'est assez, dit le rustique, demain vous viendrez chez moi ; ce n'est pas que je me pique de tous vos festins de Roi, mais rien ne vient m'interrompre : je mange tout à loisir. Adieu donc ; fi du plaisir que la crainte peut corrompre." (Jean de La Fontaine).