Ultimes retours du vignoble en cette toute fin d'octobre. Histoire de poser des chrysanthèmes sur les restes d'un millésime que nombre de vignerons préféreront oublier. En attendant les quelques jolies réussites qu'on ne pourra évacuer, au risque de pratiquer une généralisation de mauvais aloi. Ces dernières seront souvent issues de vendanges et de rendements réduits, ce qui fait que nombre de flacons estampillés 2013 se feront sans doute assez discrets, certains jusqu'à ce que l'opinion publique perde de vue, dans les brumes de sa mémoire chaque année réactivée, les affres de cette période de vendanges plutôt difficile. Après tout, il n'est qu'à voir dans quels termes les vignerons évoquent, de nos jours, un millésime comme 2000, même si ce nombre, à lui seul, fausse les perceptions, pour se rendre compte au passage que le vécu des uns... fait parfois le bonheur des autres.
Certains vignerons viennent (parfois reviennent) vers nous pour mettre une touche finale à l'évaluation des évènements récents, dans les rangs, les cuviers et les chais. Et là, comme vous pourrez le constater, il y en a pour tous les goûts. Commençons par Bordeaux et sa Rive Droite : à Lussac, André Chatenoud, du Château Bellevue, semble avoir décidé de ne mémoriser le millésime que pour se souvenir des difficultés qu'il a engendrées : "Les vendanges sont terminées... Maigres en rouge, autant en volume qu'en qualité gustative... On tourne à 20 hl/ha de moyenne! Par contre, super sauvignon gris avec un joli rendement de 45 hl/ha. Sincèrement, pas grand'chose à dire! Vivement le prochain millésime!..."
Non loin de là, le Château Angélus, désormais l'un des "Premiers" de St Emilion, reconnaît également qu'il a fallu faire face au quotidien à des complications quelque peu inattendues et opter parfois pour tout ce qui pouvait sauver la mise : "2013, le millésime de la remise en question permanente et des prises de risque, à la climatologie singulière. Après un débourrement qui s'est passé dans de très bonnes conditions, avec de très belles sorties homogènes des grappes, la fraîcheur et l'humidité du printemps ont retardé la floraison et provoqué de la coulure sur les vieilles vignes. Les deux mois d'été, chauds et secs, ont été déterminants pour la constitution des raisins : la maturation des pépins a commencé très tôt, rapidement suivie par celle des pellicules. Ils confirment que c'est bien "août qui fait le moût" et non pas la climatologie de la période de ramassage. Nos repères et nos habitudes en furent bousculés. Seul un travail minutieux effectué dans les vignes a pu compenser les conditions climatiques étonnantes de ce millésime (à l'exception des deux mois d'été). Il convenait, cette année plus que jamais, d'être omniprésent dans le vignoble et de faire des choix rigoureux, tant sur le travail effectué que sur les dates de ramassage et sur les vinifications. Les merlot ont été récoltés à partir du 28 septembre jusqu'à une courte pause durant laquelle une grande amplitude thermique entre le jour et la nuit a permis d'affiner les cabernet franc. Les dernières baies ont été vendangées le vendredi 18 octobre. Les premières impressions avant les premiers écoulages laissent entrevoir de la fraîcheur et de l'élégance. Fruits et précision caractérisent ce nouveau millésime."
Au pays de l'Ardèche nature - et quelle nature que l'Ardèche! - deux retours sympathiques de jeunes talents, confrontés comme leurs aînés, à quelques épisodes de météo instable, démontrant au passage leur esprit d'initiative et leur facultéà analyser la situation, pour en extraire le meilleur, fut-ce au prix de quelques risques, voire de quelques sacrifices. Le p'tit dernier, Méryl Croizier, semble s'en tirer au mieux : "Pour La Vrille et le Papillon, les vendanges sont terminées depuis le 4 octobre avec la récolte des cabernet sauvignon. Le gros du travail en cave est passé. Avec un peu de recul, je peux tirer un premier bilan pour 2013 : belles maturités pour les viognier et les merlot. Les fermentations sont en cours, affaire à suivre. Les choix ont été plus difficiles pour la syrah. L'état sanitaire, la maturité tardive (problème principal : l'aciditéélevée) et la météo ne m'ont pas facilité la tâche pour la date de récolte. Les cabernet sauvignon ont bien résisté aux épisodes pluvieux. J'ai vendangéà la maturité souhaitée! J'ai déjà la tête dans la récolte 2014. La construction du bâtiment va bientôt démarrer et je fais le tour de mes "nouvelles" parcelles de merlot et grenache pour prévoir le calendrier de cet hiver."
Son plus proche voisin à Valvignères, Sylvain Bock, n'y va pas par quatre chemins : "2013 est l'année la plus tardive et la plus compliquée qu'on ait eu à gérer à la vigne depuis des décennies (d'après les anciens!) : pression mildiou d'entrée de jeu, grosse pression oïdium également, de la coulure impressionnante chez certains (merlot et surtout grenache), un peu de black rot, un peu de pourriture sur la fin, un peu de grêle, du mildiou mosaïque... La pluviométrie a été généreuse au printemps et durant tout l'été (l'Ardèche du sud n'a jamais été aussi verte!). Heureusement, un peu de répit pendant les vendanges et de nouveau des pluies actuellement... Une vraie année à champignons!..."
"C'est un vrai millésime de vigneron où il fallait être très présent à la vigne du début à la fin. J'ai fait un dernier traitement de cuivre le 17 août (ce qui m'a permis de conserver les feuilles et d'assurer une belle maturation sur la fin) alors que d'habitude le pulvérisateur est remisé fin juillet! La vigne a mis du temps à débourrer et a végété pendant plusieurs semaines. Ensuite, c'est parti plein but et tout le monde courrait pour épamprer et relever. Il a fallu passer certaines parcelles au relevage plus de quatre fois (vent et pluies). Il a aussi fallu travailler les sols et tondre à maintes reprises. Enfin, la différence s'est faite cette année sur l'effeuillage : j'ai commencéà effeuiller les parcelles sensibles à l'oïdium (chardonnay et carignan) et les coins les plus vigoureux. Puis, je me suis mis à tout effeuiller (grenache, merlot puis syrah). Ainsi, les traitements étaient mieux ciblés donc plus efficaces, la vigne plus aérée séchait mieux après les pluies. Par contre, il y a eu une semaine où la grêle menaçait tous les soirs. Et là, quand tu as effeuillé, tu en prends encore plus plein la g...!!! Heureusement, elle n'est pas tombée trop méchamment (5-10% de perte). Mais, dans ces moments, tu serres les fesses et tu te dis que tu as beau faire de ton mieux, la récolte peut être anéantie en quelques minutes..."
"Les vinifications se passent assez bien (millésime à eau, fermentations plus faciles), hormis une bâche de pressoir qui lâche toujours au moment où on en a le plus besoin... Heureusement, Méryl m'a prêté un petit pressoir à cliquet pour les petites cuvées et je suis allé presser au Mazel pour deux autres cuvées. Merci les copains!... Je ne me voyais pas finir les sucres cette année (vendange tardive, deux coups de froid avec chute des températures, peu d'inertie dans le cuvage, car pas isolé). Cependant, les températures clémentes et anormalement douces de ce mois d'octobre l'aident beaucoup (merci le réchauffement climatique!) et devraient me permettre d'aller au bout sur la majorité de mes vins. Évidemment, sans sulfites sur tous mes viens en cours de vinif, les malos se font sur les sucres. D'où la course aux décuvages, mais pas de montée de volatile pour li'nstant. On touche du bois, de chêne d'occasion, on n'aime pas les fûts neufs!... Bref, une année pas facile, mais je m'en tire assez bien et je suis content!... A la prochaine, à Caen peut-être? Avec des huîtres?" [N'oubliez pas, amis visiteurs bretons, ligériens des côtes et normands!] "Je serai les 9 et 10 novembre à Caen, au Salon des Vins Nature et le 24 novembre, à Villeurbanne, au Salon très nature des Débouchées. Enfin, chez L'Amitié Rit, à Montreuil (93), le 1er décembre." Qu'on se le dise!...
Voilà quelques jours, des nouvelles nous sont arrivées en provenance de Pupillin et de la Maison Pierre Overnoy, oùManu et Anne Houillon nous donnent leur sentiment sur cette "année très difficile avec très peu de rendement..." Au passage, ils nous gratifient d'un chapelet de jolies photos du Jura viticole, qui illustrent cet article. "L'année 2013 se marque avec six mois de pluie. Chauffage jusqu'au mois de juin à la maison! Retour du beau en juillet-août. Beaucoup de pression de mildiou, un passage de fleur très difficile pour le ploussard, peu d'influorescence pour le savagnin. Nous avons fini le samedi 12 octobre, à 11h30! Donc, très peu de raisins, c'est allé très vite. Par contre, il faut souligner l'importance de notre équipe de vendangeurs, qui nous ont donné du bonheur. Ils s'investissent dans leur travail, surtout pour la qualité du tri. Ils participent activement à chaque millésime, par leur bonne humeur, leur sympathie. Merci à chacun d'eux! Et pour conclure, à ce stade, le vin fermente, goûte bien."
Restons en moyenne montagne avec Olivier B, sur son Ventoux préféré qui, malgré une certaine expérience, voire une expérience certaine, pour celui qui vit passer en cours, quelques-uns des jeunes talents rhodaniens du moment, ne recule devant aucune expérience, pour peu que la nature lui donne l'occasion de donner... libre cours, à son inspiration de vigneron : "Et voilà, c'est fini... Vendanges des blancs le 12 octobre, avec près de trois semaines de retard par rapport aux autres millésimes. Les roussanne sont parties en sucette en quatre jours, soit deux options : trier fort ou tout mettre pour voir s'il n'y a qu'à Bordeaux que la pourriture est noble?... Option deux choisies et rendez-vous bientôt pour voir, mais on dirait que ça le fait. Sans froid, ça fermente à 23° et c'est presqueterminé".
"Vendanges des rouges, en un jour et demi au lieu de deux et demi lundi 21 et mardi 22. 30% de moins, des vendangeurs en plus et plus de feuilles, ça a envoyé du bois... Maturité différente, inhabituelle, cela faisait dix jours que plus grand'chose n'évoluait. Il fallait le faire, tellement la météo ne nous laissait pas grands espoirs. État sanitaire nickel, meilleurs tannins sur syrah que grenache, on verra ce que ça donne au décuvage. Pas plus d'équipement de froid que pour les blancs et, comme l'an passé, zéro SO2. Cette fois, pas de macération préfermentaire, les cuves sont parties à fermenter en 24 heures. Quand tu as vécu 2002 et 2208, il y a de quoi être optimiste quand même et, pour le coup, faire des vins à 14°, ça ne sera peut-être pas un mal, plutôt que les 15,5° des années passées. On pourra en boire plus, mais dommage qu'il y en aitmoins!..."
La conclusion nous arrive d'un domaine d'un tout autre genre, mais les premières impressions de Paul Pontallier, directeur général de Château Margaux, sur la rive gauche de Bordeaux et au coeur du Médoc cette fois, donnent le ton, en appuyant sur un point important faisant allusion à l'évolution, technique notamment, des soins apportés depuis quelques années, aux vendanges et à la première phase des vinifications : "Les vendanges se sont terminées vendredi 11 octobre, à la fin d'une belle semaine qui nous a permis de récolter sans précipitation les cabernets plus tardifs, ainsi que les petit verdot. Les rendements restent très bas, mais nous sommes tout à fait rassérénés sur la qualité des vins, en particulier des cabernet. Ce millésime difficile aurait probablement donné des résultats décevants il y a trente ans, mais les conditions de travail ne sont plus du tout les mêmes : la précision et la qualité des soins apportés aussi bien à la vendange qu'à la vinification, vont en fait permettre de tirer un parti plus qu'honorable, voire très bon, du millésime 2013."
Encore un grand merci à tous, pour toutes ces informations, qui nous ont permis, parfois, de partager vos inquiétudes, en évaluant, souvent de loin, vos difficultés et les conséquences d'une année comme 2013. Soyez certains, vignerons, que nombre d'amateurs, souvent exigeants, parfois sévères, sont prêts néanmoins à rester à votre écoute et à vous suivre sur les chemins de la découverte, appréciant au passage vos initiatives et vos "cuvées spéciales", plus comme le fruit de la rareté que pour satisfaire tout accès de snobisme. En espérant que l'adage bien connu, ci-après, vous convienne cette année encore : "Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage, vingt fois sur le métier, remettez votre ouvrage!..." Même si son auteur n'est autre que... Nicolas Boileau!...