Quelle plus belle saison que l'automne pour programmer une escapade dans le vignoble bourguignon?... Et quelle plus belle et savoureuse idée que de réunir un comité de rédaction de revue viticole dans la ville de Beaune, afin de sortir du cadre resserré parfois des séances de dégustation, se voulant rigoureuses?... Venant des quatre coins du pays, ou presque et même voire plus loin, les membres de la revue Le Rouge etle Blanc se retrouvaient donc pour deux jours et quelques heures, à l'ombre des célèbres Hospices et face à quelques paysages classiques de la Côte d'Or, pour une cure façon séminaire, forcément salvatrice et motivante.
La Bourgogne est une région patrimoniale par excellence. Beaune, elle-même, possède un charme particulier, avec son boulevard circulaire, sur lequel on découvre les remparts parfaitement conservés de la ville et le siège de quelques grandes maisons beaunoises. D'ailleurs, même nos plus grand(e)s dirigeant(e)s européen(e)s ne s'y trompent guère, puisqu'il arrive que l'attractivité de la ville les conduise jusqu'ici. De notre lieu de villégiature, sur le Boulevard Perpreuil, il nous était donc aisé de gagner quelque bonne table, ou rejoindre le vignoble pour de jolies visites et de très belles dégustations.
La première étape gourmande fût pour La Table du Square, sise 26, Boulevard du Maréchal Foch, c'est-à-dire à une petite quinzaine de minutes à pied de l'hôtel, ce qui s'avère souvent le bon choix, afin d'encourager la digestion. Mais, la qualité de la cuisine et le niveau des vins dégustés (non, vous n'en aurez pas la liste exhaustive!...) devaient faciliter cette dernière et nous permettre de nous réjouir de cette première soirée. Mais, passons aux choses sérieuses...
~ Clos du Cellier aux Moines ~
Philippe Pascal ne cache pas son plaisir de nous accueillir chez lui, à Givry, dans le cadre du très beau décor du Domaine du Cellier aux Moines. Propriétaire depuis 2004, le couple Pascal prend pied progressivement dans un site viticole historique qui, à lui seul, porte l'exigence d'une production sur un tel cru. Ici, chaque pierre, chaque parcelle de vigne est histoire. On peut chaque jour, faire preuve de l'humilité qui sied à ce genre de lieu longtemps monastique, manier l'humour qui se doit et faire face, avec une certaine bonhomie, aux méandres météorologiques auxquels un tel coteau est exposé, on admet volontiers que la survie et au-delà de celle-ci, la transmission souhaitée d'une terre viticole historique comme Le Clos du Cellier aux Moines, n'est pas toujours de tout repos. Lorsque la pluie cesse, il doit être bon de chausser de bons brodequins et de profiter d'une matinée paisible, juste après les vendanges, lorsque les jus sont en cave et de profiter de la vue du haut de ce coteau largement exposé au sud. Pour un peu, on jurerait entendre le bruit des sabots dans le chemin, ou celui des outils heurtant la pierre blanche dans les rangs, à moins que là, ce ne soit la voix du laboureur derrière son cheval, remontant la terre... Pas de doute, nous avons pris pied sur la passerelle du temps...
Il est toujours assez savoureux d'écouter l'hôte d'un tel lieux, lorsqu'il évoque ceux qui l'ont précédé. Même s'il en respecte la chronologie historique bien connue ici et le statut des acteurs successifs, Philippe Pascal nous présente un résumé qui court sur pas moins de dix siècles. Une gageure!... Il nous rappelle donc que l'Abbaye de Cluny, fondée par des moines bénédictins un peu plus au sud et apparue dès 910, semble alors vivre, cent ans plus tard, dans une certaine oppulence, ce qui n'est pas du goût de certains moines. Quelques-uns partent en quête de nouvelles terres, marchant vers le nord et vont ainsi créer l'Abbaye de Citeaux en 1098, fondatrice de l'ordre cistercien. Ce nouvel ordre monastique connaît un essor considérable dans toute l'Europe, mais après avoir construit des bâtiments d'exploitation viticole, puis un noble château au Clos de Vougeot, des moines, dix ans plus tard, toujours en quête de terroirs viticoles (on sait leur abnégation pour les définir) repartent vers Chalon sur Saône plus au sud, pour construire l'Abbaye de la Ferté, en 1113. De là, les moines vont recevoir des terres du Duc de Bourgogne. On sait désormais que vers 1130, la donation de nouvelles terres à Givry leur permet de construire le cellier, base du Clos des Moines actuel. Ce cellier fut remodelé plusieurs fois au fil des années et des siècles, mais les moines l'occupèrent à priori sans discontinuer jusqu'à la Révolution. Nous sommes là dans une ferme et une grange cisterciennes et non pas une abbaye, la chapelle datant de 1840. Le pressoir est daté de 1739, le bois venant de la forêt de la Ferté.
Catherine, bourguignonne d'origine et Philippe Pascal étaient sans doute motivés par une sorte d'envie de retour à la terre. Lui fut pendant sa carrière un éminent capitaine d'industrie, passé par la Sopexa, à New York pendant une décennie, puis par le groupe de luxe LVMH, où il dirigea notamment quelques grandes maisons champenoises. Avant de prendre sa retraite, il s'attacha à développer un groupe de maisons horlogères et joaillères. Mais, l'horloge du temps l'incita à prendre pied à Givry. Un défi qui demandait dès le départ une ambition certaine pour réussir. Depuis l'origine, le Clos du Cellier aux Moines compte 12,5 ha d'un même coteau, mais celui-ci est désormais exploité par trois domaines, la famille chalonnaise qui en était propriétaire depuis 1840 n'en avait gardé que 5 ha, surface achetée par les Pascal.
Les premières années, Philippe Pascal les qualifie volontiers de "rugueuses", à l'image des tannins des premières cuvées. En effet, disposant de vieilles vignes et d'un terroir composé en partie de marnes calcaires blanches en milieu de coteau, le potentiel semble là. Mais, à l'image de Givry, le pinot noir planté sur le clos fut longtemps qualifié de "grossier" et destinéà une production de gros volumes, que l'appellation produisait notamment à destination du bassin minier du Creusot, lorsqu'il était en pleine activité. Le marché pouvait être fleurissant, mais peu propice à la valorisation du cru. Au Cellier aux Moines, fut donc prise la décision dès 2008, de procéder à des arrachages successifs, parcelle par parcelle, de trente à quarante ares, afin de replanter des pinots fins et très fins issus d'une sélection massale attentive. Dans un même temps, des parcelles en coteau furent également plantées, ce qui ne manqua pas d'inspirer quelques voisins, alors même que la plupart de ces secteurs étaient abandonnés depuis la crise du phylloxéra et la Première Guerre Mondiale.
Les axes de progrès enclanchés ensuite traduisent une volonté implacable de s'orienter vers une haute qualité des vins. Dès 2006, arrêt de tout désherbage chimique et reprise des labours et griffages, ainsi qu'une utilisation des fumures organiques en lieu et place des engrais. En 2009, la famille Pascal décide de faire renaître le Clos Pascal Monopole (en tout point remarquable, lors de la dégustation!), dans le haut du vignoble, entouré de mûrs. 27 ares très caillouteux, posés sur une dalle de calcaire oolithique et plantés à 13500 pieds/hectare, conduits en échalas depuis 2016, sans rognage, ceci tendant à se généraliser depuis pour les autres parcelles replantées, sans oublier l'adoption de la taille Guyot-Poussard, à priori déterminante pour protéger les flux de sève. En 2015, arrivée au domaine de Guillaume Marko, en tant que responsable technique. Dès 2016, premiers essais en bio. L'année suivante, l'ensemble du domaine est converti à l'agriculture biologique, avec une première approche de la biodynamie, finalement adoptée dès 2018.
Dans un souci de diversité et d'équilibre global, le Domaine du Cellier aux Moines fait l'acquisition dès 2012 de quelques parcelles de Premier Cru, en Chassagne-Montrachet et Puligny-Montrachet, ainsi qu'en Montagny et Santenay en 2017, soit un total d'une dizaine d'hectares, pour la production de blancs que le vigneron ne souhaite pas produire à Givry. Parallèlement, la pierre angulaire de la priopriété est bien la très réussie cuverie par gravité totale sur quatre niveaux, mise à l'étude et construite entre 2012 et 2015. Un remarquable outil apparu dans l'ancienne carrière même de Givry. Entre la vendange et la mise en bouteille, tout est mis en oeuvre pour que rien ne perturbe la production de grands vins. La dégustation qui vient ponctuer cette visite démontre à quel point le potentiel du Clos est représentatif d'une propriété s'inscrivant comme un référent à découvrir, parmi les grandes propriétés de Bourgogne, toutes appellations confondues. De plus, on peut compter sur toute l'équipe pour activer la part de remise en question (élevages?) propre aux domaines disposant encore de vignes jeunes, tant le terroir de ce cru séculaire offre des perspectives radieuses. En route pour le futur!...
~ Domaine Chandon de Briailles ~
L'ultime matinée nous permit d'apprécier une large dégustation dans le cadre charmant et historique du Domaine Chandon de Briailles, à Savigny lès Beaune, avec au passage, une météo des plus agréables. Je ne reviendrais pas en détails sur ce domaine, largement décrit dans le dernier numéro 142 de la revue Le Rouge et le blanc, avec en plus, une dégustation de Savigny-lès-Beaune, Pernand-Vergelesses, Corton, Corton Clos du Roi ou Corton Bressandes!... Des Premiers aux Grands Crus, une superbe gamme proposée par un domaine historique de la Côte, appartenant à la même famille depuis 1834, ce qui devient plutôt rare à ce niveau.
Large dégustation donc, au cours de laquelle nous (re)découvrons tous ces crus, tout en profitant de la douceur de la matinée, sa lumière mettant en valeur la robe des vins, l'odeur de la pierre blanche et celle quelque peu exhubérante des buis de la cour, sans oublier le vol des bourdons, intrigués peut-être, par les arômes du contenu de nos verres!... Il faut dire que l'ensemble est d'une qualité remarquable. Sans doute, la biodynamie adoptée depuis dix ans, ainsi que les différents choix pris depuis cette dernière décennie par le perfectionniste et autodidacte François de Nicolaÿ portent désormais leurs fruits : travail des sols au cheval (il y en a cinq au domaine) pour les 13,7 hectares, abandon du soufre dans les vignes au profit du lait écrémé, adoption de la taille Guyot-Poussard notamment.
Côté cave, des choix forts également : tri très strict à la vendange, les rouges sont traités par une sorte d'infusion patiente, puis sont élevés lentement en barriques rarement neuves (15%). Pressurage lent pour les blancs, élevages longs en grands volumes (demi-muids ou foudres) et pour l'ensemble une dose de sulfite limitée au strict nécessaire au moment de la mise. Résultat, des vins très accessibles dès leur jeunesse, mais conservant une pureté d'expression remarquable. Ce que l'on peut appeler des vins libres, évitant de vendre leur âme au diable!... N'ayant pu participer à la dégustation organisée dans les locaux de la revue l'été dernier, je dois avouer que la qualité de l'ensemble est bluffante!...
En guise de conclusion, l'étape gourmande du jour s'avérait aussi remarquable : La Ferme de la Ruchotte, située dans la campagne de Bligny sur Ouche (21), ferme-auberge dirigée par Frédéric Ménager, que les gourmets-gourmands ne peuvent pas ignorer!... Un festival de saveurs, une sélection de produits hors du commun et cette formule qui enchaîne... un certain nombre de plats (je n'en dirais pas plus!), acoompagnés de... l'eau vertueuse de Velleminfroy!... Comment ça, vous ne me croyez pas?...