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Château Cazebonne, l'Histoire de Bordeaux en 75 cl!...

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C'est une histoire comme on en connaît d'autres dans le vignoble : un passionné de vin change tout à coup de cap, alors que son activité professionnelle le portait allègrement et part pour d'autres rives. En l'ocurrence, la reprise d'un vignoble, pour en faire peut-être un canon de l'appellation, mais aussi pour se pencher sur les archives et découvrir que Bordeaux, il n'y a pas si longtemps que ça, ne se conjuguait pas uniquement à coup de cabernet, de merlot, de sémillon ou de sauvignon. C'est l'aventure, qu'il faut prendre par le commencement, de Jean-Baptiste Duquesne, créateur naguère de l'un des sites de pointe sur Internet en matière de cuisine, à savoir 750g. Rendez-vous donc au Château Cazebonne, pour découvrir l'ampleur de la tache!...

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Météo hivernale, pour cette fin d'année 2018, dans le Bordelais, mais les sourires s'affichent sur les visages, malgré l'agenda que chaque heure, ou presque, complète et allonge. Un projet un peu fou, mais qui contraste bigrement avec une certaine forme d'immobilisme dans le célèbre vignoble de Gironde. Pas de ceux qui peuvent ébranler sur ses fondations boisé-vanillées cette région phare de la viticulture française, mais peut-être celui qui pourrait réactiver la mémoire locale du vignoble aux trois mille châteaux. Passionné de vin, Jean-Baptise Duquesne l'est depuis longtemps, mais sans doute s'étonne-t-il encore de ce qu'il a pu découvrir dans les archives, par la lecture notamment de soixante ou peut-être quatre-vingt ouvrages évoquant le passé viticole, pas si lointain que cela, d'une région qui chasse les fantômes de sa grandeur, que certains qualifient encore d'éternelle. S'il en avait le loisir (ce sera peut-être le cas dans quelques temps!), il reprendrait toutes ses notes et compilerait celles-ci dans une sorte de mémento du vignoble girondin, à destination de tous ceux (et ils sont nombreux!) qui pratiquent une forme de déni assez caractéristique de notre époque, zappant le moindre espace culturel et la richesse qu'on peut en extraire.

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Ce domaine est né de l'initiative du propriétaire du Château de Landiras, emblématique des Graves, qui dans les années 2012-2013, racheta le Château Cazebonne (15 ha) et le Château Peyron-Bouché (13 ha), tous deux sis sur la commune de Saint Pierre de Mons, afin d'en faire une seule et même propriété, patrimoine destinéà son fils. Mais, ce dernier ne se sentit pas prêt à franchir l'obstacle, si bien que l'ensemble fût remis en vente. Et c'est là que Jean-Baptiste Duquesne intervient, étant à la recherche du support de sa reconversion vers le monde de la vigne et du vin.

A quarante-sept ans, le néo-vigneron des Graves n'a pas pour ambition de véritablement s'ouvir une nouvelle carrière, avec formation et stages divers permettant d'obtenir le statut d'exploitant agricole, indispensable pour s'installer. Toujours impliqué dans le monde des médias et résident parisien, son projet ne peut se mettre en place sans la participation d'un "binôme technique", qui prendra la direction du domaine au quotidien. Déjà fan des vins de David Poutays, il ne tarde pas à lui proposer ce poste essentiel. Celui-ci, ayant découvert la biodynamie et les vins naturels aux côtés d'Alain Déjean, à Sauternes, ne met, en premier lieu, qu'une seule condition : trouver des terres, un domaine à reprendre, dans un rayon d'une dizaine de kilomètres autour de son domicile à Castets en Dorthe et de son Clos de Mounissens, micro-cru d'origine familiale de deux hectares environ, situéà St Pierre d'Aurillac. Ce qui lui permet au passage, d'abandonner son activité professionnelle alimentaire dans une entreprise de la région.

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Arrivés en septembre 2016, les deux hommes et leur petite équipe se mettent au travail d'arrache-pied, afin de remettre de la vie dans ces terres lessivées par nombre d'années de traitements conventionnels. A ce moment-là, il n'y a que mousses et la surface du sol est quasi bitumeux. A peine deux ans plus tard et l'apport de matière organique à haute dose (200 à 300 tonnes à l'année!) notamment, la terre montre à quel point elle est capable de reprendre le dessus, malgré les quantités de produits phytosanitaires ingurgitées. Bien sûr, la première vendange, 2016, est anecdotique. Elle ne permet qu'une sorte de prise en main technique, alors même que le domaine est sous-équipé. Malheureusement, 2017 est frappé par un gel printanier destructeur (-90%!) et 2018 est dévasté par un orage de grêle des plus ravageurs, le 15 juillet, jour de finale. Là, les dégâts atteignent +/-100% pour l'essentiel du domaine. Cela ne pouvait pas plus mal débuter!... D'autant que l'on ne peut attendre guère plus de 30 hl/ha en 2019, si l'année s'avère "normale"!... L'année en 9 sera-t-elle à la hauteur des attentes?...

La découverte du plateau de Peyron-Bouché est aussi l'occasion de constater que, malgré tout, le train du nouveau Cazebonne est bien posé sur ses rails. Dans la partie la plus ancienne du vignoble, un rang sur deux est semé de féverolles et de variétés anciennes de blés de la région, comme le barbu de La Réole ou le blé rouge de Bordeaux, entre autres composantes de l'engrai vert utilisé ici, dans le but de revenir à un bon sens agronomique. Du point de vue des cépages "classiques", le vignoble est composé aux deux tiers de rouges (2/3 de cabernet sauvignon et cabernet franc, plus du merlot et soixante ares de malbec) et d'un tiers de blancs (sémillon et sauvignon), sur à peu près une trentaine d'hectares en production. A terme, l'ensemble devrait atteindre une petite quarantaine d'hectares, y compris quelques parcelles en Entre-Deux-Mers et les huit hectares destinés àêtre plantés en cépages dits anciens.

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Car, cette aventure s'appuie sur une démarche attentive concernant les cépages qui "peuplaient" la région des Graves, au début du XXè siècle. Fort de ses recherches, Jean-Baptiste Duquesne est donc à l'initiative de ce qui pourrait être un bouleversement dans le landerneau viticole. Non qu'il souhaite surjouer un rôle qu'il ne veux pas se donner, celui d'un quelconque donneur de leçons, mais plutôt apparaître, à terme, comme une sorte de lanceur d'alerte : si la viticulture bordelaise fait du surplace, ne pourrait-elle pas se nourrir de ses archives et s'inspirer de son propre passé?... Car le vigneron de Cazebonne le sait désormais et le dit en s'appuyant sur quelques écrits : au tout début du XXè siècle, Saint Pierre de Mons était connu pour ses blancs, très proches des Sauternes. Les rouges étaient qualifiés "d'ordinaires", mais l'encépagement d'alors interpelle : 25% de malbec (ou mauzat), devenu anecdotique dans les Graves, 50% de cabernet et de pardotte (ou pignon ou tripet dans le secteur) et 25% de mancin et de bouchalès (ou picard). Ceci tend à démontrer que le cabernet devenu majoritaire était loin de l'être à cette époque. Ces cépages étaient donc à peu près ceux qui étaient présents en 1936, époque de la création des appellations. A ce moment là, la plupart doivent être arrachés dans un délai de dix ans, mais la Seconde Guerre Mondiale et l'après guerre ralentissent le rythme des arrachages. Si bien qu'en 1956, année du grand gel de février, sous l'impulsion des autorités, ces anciennes variétés disparaissent quasiment, au profit de celles que l'on dit "qualitatives". C'en est donc finit de cette diversité et de cette richesse étonnante, du fait d'une sorte d'effet d'aubaine provoqué par une météo extrême. Cabernets et merlot vont donc régner en maître dans le paysage!...

Par chance, depuis quelques temps et grâce au travail de certains pépiniéristes passionnés, on retrouve des plants de ces cépages anciens. Ici, on trouve désormais un îlot de saint-macaire (appelé parfois moustouzère ou bouton blanc - sic!), mais aussi de jurançon noir (ou enrageat, arribet, nochant, giranson et même petit noir, dégoûtant, voire folle noire!). Non loin de là, on trouve aussi de nouvelles plantations de mancin, de bouchalès, de béquignol, de castets, de penouille, mais aussi côté blancs, du blanc auba et du blanc verdet et même la sauvignonasse (ou sauvignon vert, autrefois présent à Sauternes) appelé friulano en Frioul, Vénétie et en Slovénie. Sans oublier du sauvignon gris surgreffé sur des sémillons, ainsi que du carménère, du petit verdot et peut-être même de la syrah, que Charles Cocks (voir guide Cocks et Ferret) signale, au cours de la deuxième moitié du XIXè siècle, bien implanté en Gironde!... Pour certains de ces cépages, il convient cependant de faire une démarche officielle, annonçant ces plantations, puisqu'ils sont considérés par les instances comme interdits (si ce n'est la plantation en elle-même) et donc, il est impossible d'en vendre les raisins et/ou d'en faire du vin!...

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Tous ces cépages seront plantés à raison de mille pieds minimum, dans un premier temps, afin de les vinifier dans une quantité significative. Ils sont actuellement au nombre de dix, mais seront bientôt complétés de cinq autres : mérille, prueras, gros cabernet, gros verdot et petit péjac. Cela peut ressembler, de prime abord, à un inventaire à la Prévert, mais Jean-Baptiste Duquesne revendique une franche exhaustivité en la matière. Le but étant, à terme de quatre ou cinq ans, de proposer dans un lieu dédié de Cazebonne, des dégustations de vins monocépages permettant de donner une idée de ce qu'étaient les vins de Bordeaux naguère (soit, au total, vingt cépages, y compris les "officiels"). Avant, le duo de vignerons aura acquis la certitude que ces variétés en sont bien représentatives. Certaines autres pourraient les compléter, si elles passent le cap d'une recherche historique attentive, comme c'est le cas du fer servadou (appelé aeyre dans la région et peut-être "importé" par les pénitents du chemin de St Jacques de Compostelle?) ou de cépages issus du piémont pyrénéen.

Il convient de noter également que, contrairement à la démarche de Loïc Pasquet non loin de là, il ne s'agit pas de plantations en franc de pied. David Poutays l'explique simplement en précisant que les sols destinés à cette méthode ne doivent pas dépasser 3% d'argile. Or, les parcelles de Cazebonne sont toutes situées entre 12 et 27% d'argile, ce qui représente un trop grand risque sur la durée, le phylloxera, puceron ravageur, étant encore bien présent dans la région. A terme également, l'acquisition de nouvelles parcelles dans la région de l'Entre-Deux-Mers pourrait permettre de surgreffer les cépages les plus intéressants. Enfin, le choix de planter des porte-greffes au préalable devrait se généraliser pour les parcelles nouvelles.

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Au chapitre de tout ce qui vient conforter la démarche globale du domaine, cette approche des cépages anciens est complétée par la pratique d'une interculture, afin d'éviter la monoculture. C'est le Jardin des vignes!... Ce choix est venu s'inscrire naturellement dans l'ensemble, par l'arrivée dans l'équipe de Francis, passionné de jardin potager et de légumes. Depuis longtemps, il avait envie de pratiquer comme son grand-père : un rang sur deux, grâce à des buttes paillées, quelques légumes sont mis en terre, comme l'ail, les blettes ou encore les betteraves. Une approche qui s'avère possible du fait de la densité moyenne du vignoble, soit 6000 pieds/hectare environ.

Dire qu'il tarde à David Poutays de pouvoir vinifier ces cépages anciens est un doux euphémisme. Il faut dire que ce qui se profile est rien moins que passionnant. En effet, la première hypothèse est que, si ceux-ci ne permettent pas de produire régulièrement des vins de qualité, ou qu'ils compliquent trop la tâche du vigneron, il sera toujours temps de proposer quelque vin primeur, voire même, comme le rêve tout haut Jean-Baptiste Duquesne, de mettre sur le marché un "beaujolais" pour Bordeaux, un de ces vins de copains que l'on met sur la table en toutes circonstances. Mais, il peut aussi s'avérer que l'assemblage de certaines variétés, lorsqu'elles s'expriment joliment, peut offrir un "vin d'antan"étonnant ou passionnant. Enfin, troisième éventualité, que l'on ne peut écarter d'un revers de manche, c'est l'apport qui pourrait se révéler positif, en vue d'assemblages du futur et retrouver ainsi les canons du passé, à l'instar de ce qui se passe à Chypre, où les cépages classiques (cabernet, syrah, merlot...) souffrent de l'évolution des données climatiques et qui, assemblés avec certaines variétés locales identifiées depuis quelques années, peuvent proposer des équilibres satisfaisant pleinement les amateurs.

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Bien sûr, il a fallu s'équiper grandement et repenser la cuverie. Celle-ci est neuve, à raison d'une cuve par hectare, afin de faire du parcellaire, avec vingt cuves en béton pour les rouges et sept en inox pour les blancs. Tout le reste a suivi : pressoir, dynamiseurs et pulvérisateurs dernier cri, entre autres. Pour les élevages, les dolias en grès sont pressenties pour une partie de la production, le tout après l'aménagement d'un local adéquat.

Si les deux vignerons considèrent qu'ils sont aujourd'hui face à une page blanche pour ce qui est des vins du domaine, ils ont néanmoins construit une stratégie commerciale forte. Bon an mal an, c'est une moyenne de 200 000 bouteilles qui entreront sur le marché chaque année. On imagine aisément le besoin d'une cohérence absolue pour tenter de trouver des clients, que Cazebonne n'a pas à ce jour. A priori, pas moins de quatre gammes seront proposées : Entre amis, avec des vins sur le fruit largement distribués, les Grands Vins Classiques, qui se présenteront comme témoins de la plus pure tradition bordelaise, pour ce qui est des cépages notamment, les Parcellaires, bénéficiant peut-être d'un élevage plus attentif et les Vins d'antan, résolument destinés à une clientèle de passionnés sans doute plus confidentielle.

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Avant de trouver cette clientèle forcément exigeante, il faudra aussi trouver sa place et se fondre dans le microcosme de l'AOC Graves. Et les premiers contacts avec les responsables locaux ont apporté leur lot de surprises, comme il se doit... Si David Poutays est plutôt au fait de ce genre de relation et du constat qui va avec, ce n'était pas le cas de Jean-Baptiste Duquesne qui, en homme bien élevé, s'est contenté de serrer quelques mains et de s'ouvrir aux commentaires parfois étonnants, réservant ses réactions à la sphère privée!... Il faut dire que les premières dégustations d'agrément incontournables valent leur pesant de cacahuètes!... Le premier essai de blanc, version 2016, qui n'avait rien pour lui (achat le 5 septembre, vendanges dans la foulée!), obtient malgré tout le label AOC, tout en considérant qu'il entrerait aisément dans la gamme vendue parfois à moins de trois euros dans la grande distribution, alors que les 2017, plutôt originaux gustativement parlant, n'ont pas reçu l'assentiment du jury, ce dernier persistant sur ses positions, malgré le contenu des analyses!... Dans notre beau pays, on n'est pas sorti le c.. des ronces!... Nombre de vignerons peuvent sans doute le confirmer!...

Les deux vignerons de Cazebonne viennent donc d'ouvrir un champ qui s'étend sur les deux prochaines décennies, au bas mot. Cela ne relève pas de la conquête spatiale, mais l'histoire a tout pour être belle. Ils ne devront certes pas manquer de persévérance, de ténacité et on peut leur souhaiter, avant toute chose, de ne pas être confrontés à trop de difficultés inhérentes à la viticulture. Ils ont pris la mesure du challenge, ne manqueront sans doute pas d'humour dans certaines circonstances, leur compétences devant faire le reste, tant techniques qu'en matière d'actions promotionnelles. A propos, vous pouvez suivre les aventures de Cazebonne sur Facebook, puisque les acteurs publient régulièrement des informations, permettant de goûter... leur quotidien, avant même de les rencontrer, verres en main!...


David Poutays, Clos de Mounissens, St Pierre d'Aurillac (33)

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Au sud, la Garonne coule son cours de fleuve tranquille, à quelques encablures de Bordeaux... Saint Pierre d'Aurillac s'étire en montant, pente douce, vers le nord, à partir de la rive droite. La moitié de la surface de la commune est dédiée à la culture de la vigne, en AOC Bordeaux ou Côtes-de-Bordeaux-Saint-Macaire. A mi-pente du premier coteau, c'est là que David Poutays et sa compagne Agnès s'occupent attentivement, depuis la fin 2002, des quelques deux hectares du domaine familial, le Clos de Mounissens. Les générations précédentes disposaient bien de plus de huit hectares, poiriers compris, mais les partages incontournables imposent parfois quelque division, sans compter les décisions européennes, décrétant un "feu bactérien", pour justifier et imposer l'arrachage des fruitiers de la tradition locale. Ici, à Mounissens, fief familial s'il en est, puisque ce sont les ancêtres Poutays (tonneliers, arboriculteurs et viticulteurs) qui donnèrent au lieu son nom, dans les années 1710, alors que, non loin de là, au début même du Siècle des Lumières, Montesquieu, baron de La Brède (où il naquit en 1689), s'apprêtait à devenir l'un des animateurs de l'Académie de Bordeaux et conseiller du Parlement de cette même cité.

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Voilà bien une décennie que l'on me parle des cuvées de David Poutays!... En 2015, à l'ouverture de La Vinopostale, cave dédiée aux vins vivants à La Roche sur Yon, le vigneron de Mounissens était bien sur mes tablettes, comme sur celles de Tronches de vin, parce qu'il faut bien du Bordeaux - que diable! - lorsqu'on veut évoquer les vins du futur!... Mais voilà, même en parcourant les chemins de traverse, il arrive que nos routes ne se croisent pas... Un jour, l'aventure se termine, la cave ferme, la démarche livresque ou guidesque se tarit et l'on passe à autre chose... Et puis, le hasard fait son oeuvre!... Mais y a-t-il vraiment un hasard?...

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Toujours en quête de nouveauté, ou du moins de découverte de nouvelles aventures vineuses, je me retrouve, entre Noël et Jour de l'An derniers, au coeur des Graves, en compagnie de Jean-Baptiste Duquesne, nouveau propriétaire du Château Cazebonne. "Ce projet n'aurait pas pu voir le jour, si celui que je pressentais pour être le directeur du domaine, n'avait pas accepté!... Vous le connaissez peut-être? David Poutays, vigneron à ses heures, à Saint Pierre d'Aurillac!..." En un instant, tout s'éclaire! Celui dont me parlaient naguère, quelques-un de ses fans, nous rejoint pour parler plus en détails de ce projet un peu fou, mais plein d'espoir. Il m'était alors indispensable de découvrir Mounissens et ce "vigneron à ses heures", déjà fort d'une belle expérience dans la production de vins naturels, passionné, fidèle à ses idées et, un temps... salarié de Latécoère, à Toulouse, ce qui ne pouvait que nous rapprocher!...

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Nous sommes au creux de l'hiver, c'est la taille qui s'avère être l'activité principale du moment. A Mounissens, c'est Agnès qui s'y colle, pour l'essentiel. Depuis deux ou trois ans, elle s'attache désormais à restaurer, à re-former les pieds, un à un. Un travail attentif, presque d'orfèvre. En plus, cette année, la plupart des bois sont gros, plus que d'habitude, conséquence des plus de mille millimètres de pluie tombés pendant l'année, mais peut-être aussi contrecoup du gel de 2017 (80% ici) et de la virulence du mildiou en 2018. Les hypothèses ne manquent pas, cette année, quant au diamètre des bois. S'agit-il d'un réflexe d'auto-défense de la vigne?... L'an dernier, David concède qu'il a manqué quelques rendez-vous avec la maladie, par manque de temps, ne traitant qu'à l'occasion de cinq passages seulement, trop peu pour limiter les conséquences. A noter que l'emploi du cuivre est très limité, puisqu'à l'exception de 2013, il n'y en a jamais eu plus d'un kilo à l'hectare.

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Les parcelles les plus proches de la maison sont plantées de sémillon. Un total de 64 ares en deux parties (27 plus 37 ares), plantéà 1,75m. Pas de trace de sauvignon sur le petit domaine. Si, naguère, le grand-père faisait des moelleux vendus au négoce,  à partir de 1982, le père de David, retraité de la fonction publique aujourd'hui, mais toujours bon pied bon oeil, ne faisait que des secs pour Sichel, négoce régional bien connu. De nos jours, un léger travail du sol est pratiqué et des couverts végétaux sont semés à la main en octobre. Sous le rang, un prestataire voisin procède à un léger buttage au moyen du cheval. Lorsqu'il reprend l'ensemble, fin 2002, le vigneron adopte la biodynamie, méthode qu'il a découvert auprès d'Alain Déjean, à Sauternes. Aujourd'hui, David et Agnès confessent la pratique d'une "biodynamie artisanale", ceci étant dûà la réduction du nombre de préparations, pour cause d'emploi du temps bousculé notamment par le "projet Cazebonne" et l'arrivée au foyer d'un petit bébé.

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Dans ce pays plutôt dédié aux rouges, le petit domaine comptait plus de cabernet que de merlot, ce qui est plutôt rare pour la région (qualifiée de "merlocratie" par certains!) et ce, jusqu'à l'arrachage récent d'une parcelle de cabernet sauvignon, située sur des limons, en bas de ce premier coteau de la Garonne. Plus haut, au-delà des sémillons, on trouve donc des merlots (plantés à 2,50m!), qui ne sont guère éloignés du second coteau rejoignant, peu ou prou, la ligne de crête des Premières-Cotes-de Bordeaux, où se situe notamment le Château Tire-Pé de David Barraud. Le total récent de 1 ha 50 de rouges est donc réduit environ à 1 ha 25, en attendant de nouvelles plantations, en lieu et place du cabernet sauvignon, à savoir des cépages comme le saint-macaire (incontournable ici!), le mancin, le bouchalès, peut-être le castets, mais aussi la sauvignonasse et le blanc auba, ce dernier étant l'égal du sémillon autrefois, notamment dans des appellations comme Sainte-Croix-du-Mont.

Dans le secteur, les sols sont essentiellement composés des molasses de l'Agenais, de boulbènes, d'un peu de sable, d'argiles à trois feuillets, ce qui en fait toute la difficulté : trop humides, ils sont extrêmement collants, trop secs, ils ne sont que poussière. La capacité de réaction est donc très importante. Les vendanges sont, quant à elles, manuelles depuis toujours. Les rendements oscillent entre 35 et 40 hl/ha, à comparer aux 80 hl/ha fréquents dans le passé, avec environ 4000 pieds/ha.

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"Ici, l'idée est de faire des vins structurés, pas des glouglous!..." Au début de l'aventure, David ne proposait qu'un rouge et un blanc. Après, s'est installée l'idée qu'une certaine adaptation au millésime s'imposait. Désormais, il laisse libre cours à son ressenti du moment. Il en va de même de l'intitulé des cuvées. Autre évolution notable, le passage de Vin de Table en Vin de France, la réglementation lui permettant désormais d'indiquer le millésime et le ou les cépages. Pour ce qui est des moelleux et liquoreux, là aussi, il est nécessaire d'observer l'évolution de la météo saisonnière. Il n'y a pas si longtemps, l'automne proposait des matinées de brouillard et le vent, quant à lui, était des plus légers. De nos jours, les nappes se cantonnent strictement au fleuve, le plus souvent et il n'est pas rare que des souffles soutenus de sud-est (peu fréquents naguère) viennent assécher la campagne. Ainsi, en 2009, il fallu trois tries (sur un mois et demi) pour ne produire que des demi-secs et 2014 ne permit de faire qu'un moelleux. A l'exeption de 2017, pour cause de gel et 2012, les autres millésimes récents proposèrent quand même des liquoreux, souvent façon passerillage, dans la limite quasi constante de 2000 à 2200 bouteilles de 50 cl par an, soit environ 13 à 15 hl/ha.

50976961_10218142905102093_5539300174410547200_nOn peut dire, sans risque de se tromper, que les vins de Mounissens sont à classer au rang des vins dits naturels et que le vigneron est pour le moins peu, voire très peu interventionniste. Dans le micro chai, les vendanges étant manuelles et pratiquées au moyen de caissettes, les rouges vont vivre leur vie : égrappage sans foulage, fermentation, macération d'une trentaine de jours le plus souvent, remontages fréquents au début, puis plus rares à la fin, écoulage, pressurage au moyen d'un petit pressoir vertical, mise en cuve, notamment pour assembler vin de presse (en totalité) et vin de cuve, puis passage en barriques après un long brassage (30 à 45 mn). Pas de sulfitage, si ce n'est, parfois, un peu de souffre volcanique sur le haut des cuves après assemblage définitif. Ainsi, le 2016 sera soutiré au printemps prochain. Dégustation des vins de chaque barrique. Assemblage des jus avec une partie des lies, pour conserver ce milieu réducteur. Le vin reste alors deux à trois mois en cuve pour une bonne sédimentation des lies, puis mise en bouteilles sans collage, sans filtration ni aucune intervention oenologique quelconque. Le vin reste six mois à un an (voire plus) en bouteille avant mise sur le marché, afin qu'il soit en place lorsqu'il est proposé aux amateurs.

Pour les blancs, un processus soigné est de mise dès les vendanges en caissettes, là aussi, en plusieurs tries selon le botrytis. Un pressoir horizontal relativement vintage mais performant presse lentement les raisins, afin d'éviter toute trituration. Les jus sont alors dirigés vers un garde-vin, placé en hauteur, pour la durée d'une nuit, afin d'obtenir une première sédimentation. Par gravité, le vin est écoulé jusque dans les barriques juste rincées à l'eau froide, pour la fermentation et reste ainsi sur lies, pendant environ un an. Ceci permet aux jus de se stabiliser, puisque les fermentations ne sont jamais stoppées, y compris pour les moelleux et liquoreux. Elles sont donc naturelles jusqu'à 14°, voire 14,5° ou même 14°8. Au terme de cet élevage, un soutirage est pratiqué, un peu de souffre volcanique dans les barriques et retour du vin dans celles-ci pour trois ou quatre mois. Le moment venu, il suffit de coordonner la mise des rouges et celle des blancs, pour pratiquer sans problème une mise directe en bouteilles sans passage en cuve. "Pas de filtration, ni collage, ni flash ceci ou cela, du jus de raisin fermenté!..." C'est simple, non?... Actuellement, un lot de 2016 et un autre de 2018 attendent le printemps...

50494690_10218142906302123_6576959471350710272_nLa dégustation (généreuse!) au coin du feu, proposée par David Poutays et ses parents (avec le petit potage - et le reste - à la mode girondine!) démontre bien toute la diversité de la production. Un seul duo annuel ne pouvait donner satisfaction, tant au vigneron qu'à l'amateur. Dans une logique "blanc sur rouge, rien ne bouge!", découverte des deux cuvées rouges disponibles. En premier lieu, la Cuvée Larrieu, du nom de la parcelle d'1 ha 20 (plus disponible), située à huit cent mètres, près de la voie ferrée. Uniquement du cabernet sauvignon planté en 1968 sur des sables. Dans l'ordre, 2013, qui ne passa qu'un an en fûts après une cuvaison courte, du fait du millésime, puis 2014, ouvert façon fruité légèrement acidulé et 2015, plus structuré et plus puissant, réclamant un peu de patience, mais avec un joli potentiel.

Pour le Clos de Mounissens, les cuvées prennent des noms évocateurs inspirés par l'année et fleurent bon la poésie du vigneron, qui se laisse volontiers porter par les évènements ayant contribuéà la production des vins. Pour mesurer cela, je ne saurais que vous conseiller de visiter le site internet du domaine (voir plus haut) et d'en apprécier la prose, permettant de vous plonger dans la mémoire des millésimes...

Pour les vins disponibles, Sur le fil 2014, un assemblage de 44% de merlot, 38% de cabernet sauvignon et 18% de cabernet franc qui, après une cuvaison de trente jours, passa trente mois sur lies en barriques fermées. Après assemblage, la mise est intervenue en août 2017. Une bonne rondeur, mais un vin solide qu'il faut attendre. Le 2015 se nomme Red Side of the Moun'!... Même assemblage, mais élevage de dix-sept mois cette fois. Structuré, mais solide et fin. Avec le 2010, on entre dans le "surnaturel", mais surtout à cause des évènements!... La cuvée s'appelle La Lumière de l'Existence!... Tout un programme, non?... La plupart des vignerons n'oserait pas proposer une telle cuvée. Pourtant... Le vin est composé de plus de merlot que de cabernet (début de black-rot sur les cabernet sauvignon). L'élevage était d'une durée de vingt-quatre mois, mais le problème est survenu lors de la mise. Une fausse manoeuvre du prestataire renvoie les lies en suspension!... David ne souhaitant aucune filtration, le vin est mis en bouteille tel quel!... Quelques mois plus tard, la question est de savoir si ce vin peut être commercialisé?... C'est alors qu'un passionné d'ovnis de toute sorte passe au domaine : Andrés Conde Laya, de la Bodega Cigaleña, à Santander. Découvrant ce vin dans son verre, ce dernier lui demande avec humour : "Tiens, tu as fait un pinot noir?..." Après l'inévitable éclat de rire, le restaurateur espagnol passe commande. La cuvée mérite donc d'apparaître à la carte, catégorie vins hors normes. Peut-être pas à mettre entre toutes les papilles, mais les amateurs, surpris de prime abord, se régalent et en redemandent!...

50936742_10218142875861362_8176328163358408704_nDu côté des blancs, tous proposés en bouteilles de 50 cl, les surprises ne sont pas rares non plus!... Mise en bouche avec Sur le fil 2014, un blanc sec à base de sémillon vendangé mûr, sans botrytis. Un peu de soufre après le premier soutirage, mais une approche délicate et joliment nuancée. On passe ensuite à un demi-sec, Les Fruits de la Volonté 2009. Pas de botrytis non plus, plutôt du passerillage. Trois tries étalées dans le temps et un seul lot au final. La mise a été effectuée en août 2010, avec 18 g de sucre résiduel. Pas de filtration, ni de collage. Un fruit remarquable et un équilibre qui se tend en finale.

Jolie gamme de moelleux ensuite, avec tout d'abord Sur le fil 2014, un tiers de botrytis et environ 40 g de SR. Une belle dynamique là encore et une certaine délicatesse aromatique. Vient ensuite A quatre mains 2011, passerillage très tardif pour celui-ci et une vendange particulièrement attentive, effectuée par les parents de David. Un équilibre au long cours. Enfin, Le Voile se lève 2015, un moelleux qualifié de très aromatique par le vigneron, avec pas moins de 50% de botrytis. Équilibre, tension, énergie... Pourquoi ne pas mettre tous ces vins à table plus souvent?...

En 2004, c'est le second millésime de David Poutays. Pourquoi ne pas se laisser aller à ce que d'aucuns pourraient qualifier d'excentricité?... En fait, c'est le millésime qui le propose. Le sémillon est vendangé en sec à 12,5°, mais deux barriques présentent une acidité importante. Deux lots, c'est peu et beaucoup à la fois, mais pourquoi ne pas les laisser évoluer... sept ans et demi?... Histoire de faire le sémillon le plus château-chalonesque de Bordeaux!... Voici donc Le Voile de l'Oubli, un vin de voile à faire pâlir les Jurassiens!... A consommer notamment avec quelques fromages à pâtes pressées de belles origines : comté, mimolette, gouda, salers... Les 650 flacons de 50 cl de ce vin ont été mis en bouteilles en même temps que les liquoreux 2011. Ils ne sont donc plus disponibles... Mais, tout n'est pas perdu!... Un assemblage d'une petite partie de liquoreux 2010 et 2011 est parti en voile!... Oubliez le jusqu'en 2020, si vous voulez vous étonner, lors de son apparition au tarif!...

Le Clos de Mounissens, un micro-domaine donc, comme on en voit apparaître de nos jours. Ou comme il en existe quelques-uns, bien cachés dans le vignoble bordelais. Le vigneron est passionné, il a atteint une certaine connaissance, mais ne fait pas étalage de ses certitudes, s'il en a. Il est plutôt du genre à répondre aux défis et à s'interroger quant à l'interdit que certains voudraient lui imposer. S'il avait projeté de s'agrandir en 2012, la petite dimension de son domaine lui va sans doute comme un gant aujourd'hui, alors que Château Cazebonne n'en est qu'au "bal du ciment"!... Un grand challenge dans les Graves, une échappatoire pas trop prégnante, on peut l'epérer, de l'autre côté du fleuve et sans doute la possibilité de vivre presque deux vies en une!... Et ce n'est pas donnéà tout le monde!... Pour les amateurs, de savoureuses perspectives certainement.

David Barrault, Château Tire-Pé, à Gironde sur Dropt (33)

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27 février, la météo perd la boule!... Plus de 25° annoncés pour l'après-midi!... Au pied de la falaise calcaire, la Garonne serpente vers l'Ouest, une fois La Réole passée. Le Dropt ne va pas tarder à la grossir, à quelques kilomètres de là, dans une double confluence, entre deux méandres, comme s'il l'invitait à danser, avant de filer sur les quais de la grande ville. La voie ferrée de Bordeaux à Sète, ainsi que la célèbre RN 113 (D 1113 en Gironde), de Bordeaux à Marseille, traversent aussi la commune dans sa partie sud. Les voyageurs s'y véhiculent depuis des lustres. Pouvaient-ils apercevoir le vignoble sur les hauteurs, lorsqu'ils passaient en diligence ou en train à vapeur, au XIXè siècle, tout en hauts de forme et crinolines?... Du point de vue du vignoble justement, nous nous situons à la limite sud de l'Entre-Deux-Mers, mais on y propose également du Bordeaux, comme il se doit. C'est ce que fait David Barrault, berrichon pure souche, arrivé là un peu par hasard. On aurait tout aussi bien pu le croiser du côté de Madiran ou en Minervois. Mais, c'est àTire Pé qu'il vint construire sa cabane, avec vue sur mer, lorsque le fleuve déborde pour déposer son limon sur les terres maraîchères de la vallée...

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Le Château Tire Pé se situe en haut de la longue côte de Tire Pet, parce que justement, les chevaux devant monter au domaine, avaient coutume de se soulager quelque peu avant l'effort... au risque de contribuer à une augmentation significative des gaz à effet de serre dans le secteur!... L'histoire ne dit pas si les tracteurs post-modernes qui leur succédèrent, fumant et pétaradant (à leur tour!) avaient une autre forme d'influence sur notre santé, ou celle de nos parents... C'est un peu comme le débat opposant ceux qui soulignent la mortalité de certains oiseaux à cause des éoliennes et ceux rapportant que le nombre de couples de certaines variétés ne cesse d'augmenter, en même temps que l'implantation de ces mêmes éoliennes s'intensifie, du fait de la transition énergétique en cours, en Allemagne notamment. Notre rapport à l'écologie n'en est que plus compliqué... certains jours!...

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En prenant pied sur la terrasse de la cabane, on commence par apprécier le paysage, en cette matinée d'hiver qui tire le printemps par la manche. Un endroit hors du commun, où l'on peut apprécier la majesté d'un coucher de soleil estival, partager quelques flacons avec les amis, lire un livre ou y passer les nuits, forcément plus belles que nos jours... Le domaine compte pas moins de douze hectares d'un seul tenant, huit sur le versant sud et quatre au nord de ce promontoire remarquable. En fait, un bloc argilo-calcaire, avec des épaisseurs d'argiles plus ou moins importantes et des sols aux pH très élevés, ce qui contribue à donner aux vins une acidité naturelle notoire. Ça tombe bien, c'est une saveur et un critère que le vigneron apprécie particulièrement. Ce n'est pas une raison suffisante cependant pour proposer des blancs, il n'y en a pas à Tire Pé, malgré les demandes de quelques-uns de ses fans. Il y en avait bien quelques arpents à son arrivée, en août 1997, un mois avant les vendanges, mais ils ont été arrachés très vite et il est peu probable qu'ils réapparaissent.

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Il faut dire que David justifie aussi cela par son choix de prendre quelques jours de vacances, chaque année, au moment où les variétés de blancs arrivent à maturité. Et l'idée de faire une croix sur cette petite semaine qu'il s'accorde, avant le rush des vendanges, lui est profondément insupportable!... Il est comme ça David!... Partir seul en montagne ou sur des chemins de traverse, c'est sa manière à lui de recharger les batteries. Juste une question d'équilibre... Arrivéà Gironde sur Dropt voilà près de vingt ans, après des études de commerce agro, puis un passage en Afrique du Sud notamment, il travaille trois années en tant que salarié de deux domaines bordelais, ce qui lui permet de confirmer ses impressions et de mettre ses envies sur les rails.

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S'il n'y a pas de blancs, on trouve aujourd'hui pas moins de sept cuvées de rouges au domaine, celui-ci étant en culture biologique depuis 2008 et certifié Ecocert depuis 2014. Pour ce qui est de l'encépagement bordelais, le merlot représente 60% de l'ensemble, le cabernet franc 30% et le malbec 10%. Les deux premiers sont présents sur les deux versants, ce qui leur confère des expressions aromatiques et des structures différentes, contribuant à la complexité des vins. A ceux-là, il faut ajouter désormais 40 ares de mancin des palus, 40 de castets et 40 de pineau d'Aunis!... Pour les deux cépages anciens du Bordelais, la plantation est lente, puisqu'il n'a pas été toujours facile, depuis cinq à six ans, de trouver des bois. Enfin, pour ce qui est du "chenin noir", un des surnoms du pineau d'Aunis, il s'agit plus d'une figure de style, recherchant une expression originale de ce cépage, que le vigneron apprécie pleinement avec son profil ligérien. Celui-ci sera disponible après les mises du printemps.

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Après toutes ces années, David Barrault se donne la liberté de modifier le cap, juste pour atteindre une vitesse de croisière satisfaisante. Il procède à un réglage de la voilure afin de régénérer l'aventure peut-être, mais il ne cède en rien au niveau d'exigence qu'il s'est imposé. Cette ouverture vers les cépages anciens du Bordelais, lui permet de rejoindre les initiatives récentes - Cazebonne, Mounissens, mais d'autres aussi, comme Liber Pater et quelques grands crus qui s'y essaient - et d'apporter sa pierre à l'édifice, donnant de l'expérience et du recul à cette région qui, pour un peu, mettrait en évidence son conservatisme, alors même que d'autres secteurs du vignoble français ont quelques coups d'avance, comme par exemple la Savoie. Ici, si on peut tabler sur le fait que le merlot sera probablement moins présent à l'avenir, il ne faut pas y voir une révolution de palais inconsidérée, du fait des considérations justement et des envies du vigneron connaissant bien sa propriété et imaginant aisément ce sur quoi ses vins peuvent encore progresser, tout en restant dans une bonne cohérence économique.

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La gamme actuelle est somme toute très bien construite et du coup, l'appellation Bordeaux, souvent décriée, peut trouver là (et les amateurs également!) un fer de lance valorisant, avec en particulier, une grande exigence pour ce qui est de la qualité des élevages. L'entrée de gamme disponible actuellement, puisqu'il faut la nommer ainsi, c'est Tire Pé Diem 2017, issu d'un millésime qualifié de "normal" par le vigneron, puisque le secteur a échappé au gel. La cuvée est produite grâce à l'achat de raisins de merlot, auprès d'un des voisins de Tire Pé et a, pour vocation, de proposer un vin facile à boire. La seconde, Tire'Vin Vite 2017, est également composée de merlot, mais venant de deux parcelles distinctes. Passant huit à dix mois en cuves béton, elle est plutôt destinée àêtre bue jeune et sans sulfite ajouté. Aux yeux de David Barrault, elle démontre toute son exigence pour proposer des vins restant précis et sans la moindre déviance. Il confesse d'ailleurs quelques déboires, voilà quelques années et la perte de grands volumes due à la présence de brettanomyces, avec lesquelles il ne transige en aucun cas.

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La cuvée référence du domaine reste Tire Pé 2016 (en attendant les prochains millésimes) réunissant les plus vieilles parcelles de merlot. Le plus souvent, l'élevage dure entre dix-huit et vingt mois en cuves béton uniquement. C'est, en quelques sortes, l'aimable mise en bouche, avant d'apprécier les deux vins pour lesquels le vigneron se donne quelques libertés, quant à leur composition et aux choix d'élevage. Après avoir adopté de grands contenants pour ses barriques, David s'est équipé, depuis quatre ou cinq ans, de jarres italiennes tout à fait artisanales, venant de la région de Florence. Sous bois ou sous terre, les élevages durent à peu près un an, avant un passage en cuves de six à huit mois, dans le but d'homogénéiser l'ensemble.

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La Côte de Tire Pé 2015 obéit à ce même rythme. Il s'agit là d'un assemblage de merlot et de cabernet franc, élevé pendant un an dans les grosses barriques (400 et 500 litres), avant le séjour en cuve et la mise en bouteilles. Cette cuvée se doit d'apporter une plus grande complexité et exprimer les meilleurs terroirs. Les Malbecs 2015, qui précèdent bien sûr 2016 - "tout à fait top"! - 100% malbec comme il se doit, ont séjourné en jarres, pour 20 à 30% du volume, pendant un an environ (puis six mois en cuve). Dès 2016, la proportion élevée ainsi est plus importante, avec l'idée d'une progression et d'une belle restitution des argilo-calcaires, dans un millésime au fort potentiel. Néanmoins, il est à noter que cette cuvée doit évoluer à l'avenir, puisque dès 2017, même si elle n'est pas encore en bouteilles, le millésime a incité le vigneron à franchir un nouveau cap, en associant 85% de cabernet franc et 15% de malbec!... Ceci traduisant la volonté de mettre en évidence le cépage ligérien, que David Barrault apprécie de plus en plus.

Bien évidemment, il convient d'évoquer ("discrètement, pour cause d'appel d'air probable!") L'Echappée 2016, premier millésime réunissant castets et mancin, cépages anciens parmi les plus présents jadis dans certains secteurs du Bordelais. Certes, les vignes sont encore très jeunes, mais le vigneron cache mal cette sorte d'impatience qui l'envahit (la même que David Poutays, à Mounissens!), surtout qu'il capte à l'évidence très bien, les progrès que 2017 et 2018 apporteront gustativement à l'avenir. Sans doute, la manière avec laquelle les amateurs recevront cette nouveauté, ne manquera pas d'interpeller ces "nouveaux aventuriers" du vignoble de Bordeaux. Cela ne manquera pas non plus, au passage, de conditionner la décision de nouvelles plantations éventuelles, ainsi que de faire le choix d'élevages d'autant plus attentifs.

Tout cela ne semble pas inquiéter outre mesure David Barrault qui, en à peine deux décennies, a tracé une voie et donné des signes d'une qualité constante, que les amateurs et les professionnels apprécient forcément. Il va sans doute interpréter les données de cette évolution, à caractère historique, avec une certaine philosophie et un certain recul. Il serait étonnant, au final, qu'il ne continue pas à marcher dans la campagne, le moment venu, ou à s'asseoir sur la terrasse de sa cabane, pour y apprécier pleinement la majesté d'un soleil couchant sur la Garonne.

Le printemps est là : cap sur les Baléares!...

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Souvenirs des Baléares!...Les miens se perdent dans une mémoire diffuse, un océan d'à peu près, de brumes maritimes au petit jour... Pensez donc, je n'avais même pas vingt cinq ans!... A cette époque là, on volait sur Iberia et on allait prendre son vol pour Palma à Bordeaux, après être passé par une agence de voyages dans laquelle nous avions nos accointances, parfois tout à fait jolies, d'ailleurs!... On s'était confectionné une sorte de sac en tissu, dans lequel on enfouissait les arbalètes avec lesquelles nous pratiquions la chasse sous-marine, principale activité diurne de nos étés d'alors, entre lever et coucher du soleil. Et Dieu sait qu'en Vendée, ce n'était pas toujours facile!... On portait même notre ceinture de plomb sur notre jean, pour ne pas avoir à l'enfouir dans nos grands sacs Beuchat, tant ils nous allongeaient déjà les bras... Un petit hôtel sur la côte, à Santa Ponsa, non loin de Palma, avec piscine, liqueur 43 (prononcez quarantatrèis!) bien fraîche, plage à portée de tongues et déjà quelques doutes quant à la turbidité de l'eau, en cette fin d'été... Nous étions début octobre, une longue saison de plages, d'un sable gris douteux parfois, le plus souvent envahies d'Européens en villégiature et les bateaux de la marina toute proche avaient fait leur oeuvre... La Méditerranée nous montrait son trouble... On y trouvait pourtant de superbes grandes nacres (pinna nobilis) dans les herbiers de posidonie (posidonia oceanica)!... Je devine que vous avez peine à croire cela!...

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Heureusement, l'un de nous avait fait une remarquable découverte au hasard d'une de ses balades. Après avoir loué deux petites voitures (ce devait être des Fiat 500?), un petit chemin de terre, de pierre et de poussière nous permettait d'atteindre un vague parking sous les arbres. Sur notre gauche, face à la mer, le grillage rouillé interdisant l'accès à une sorte de péninsule réservée aux activités de la marine militaire espagnole. Il fallait le longer, puis gagner un escalier, dont les marches taillées dans le roc nous semblaient inombrables, au point de ne pas en voir, d'en haut, le but pourtant délicieux, dont on se gardait bien de révéler l'existence. La chaleur, les sacs toujours aussi pesants, mais ensuite, des heures douces à passer au bord de l'eau... Nous avions découvert une sorte de plate-forme, dix ou vingt centimètres au-dessus de l'eau, pouvant accueillir six à huit personnes, sur laquelle il était aisé d'étaler nos serviettes et plus encore de se jeter à l'eau, voire de s'y glisser avec volupté!... Là, elle était limpide, profonde et la falaise était à pic jusqu'à dix ou vingt mètres sous la surface. Les murènes se cachaient dans leur trou et nous allions contempler leur profil avec prudence. Nous rivalisions de longues apnées pour passer à coup de palmes, sous une sorte d'arche des fonds marins, qui avait dû servir de défi amical pour les bon nageurs, depuis une éternité... Bien sûr, avec force coups de soleil, il fallait ensuite remonter l'escalier... mais ce sont des souvenirs qui mettent durablement du bleu dans nos rêves... On écoutait alors Génésis, Santana, Clapton, Yes... et on fumait des... pétards Gitanes filtre (rien d'autre, promis!)... Ce qui ne manquait pas de contrarier notre capacité respiratoire!...

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Aujourd'hui, près de quarante années plus tard (eh oui!), mon rêve est tout autre. Le défi de parcourir les îles de Méditerranée et d'y découvrir les vignobles redevient d'actualité chaque année, lorsque les beaux jours pointent leur nez. Tout en espérant vous faire partager ces aventures ici-même, dans quelques semaines et par le biais d'un "guide de voyage" que l'on pose sur sa table de chevet, pour peu qu'un éditeur en saisisse l'intérêt avant longtemps... Et donc, après la Crète, Tinos, Chypre, Patrimonio en Corse et avant même Patmos, Céphalonie, Zante, la Sicile, la Sardaigne, Malte et quelques autres destinations, cap sur les Baléares!... Et plus particulièrement Majorque, même si j'ai déjà quelques regrets, avant même de partir, de manquer de temps pour découvrir également Minorque, Ibiza et Formentera, où la vigne est également présente. Nous verrons cela une autre fois, à n'en pas douter!...

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Ne vous y trompez pas, le vignoble des Baléares est lui aussi à classer au rang des vignobles antiques et ancestraux. On admet volontiers que Phéniciens, Grecs et Carthaginois commercèrent dans les parages avant notre ère. En fait, on connaît mieux la date du début de la présence romaine, souvent déterminante. En 123 et 122 avant J-C, une flotte et les légions du consul Quintus Caecilius Metillus, dit Balearicus, firent la conquête de Majorque et Minorque, afin de mettre fin aux agissements meutriers et ravageurs des pirates et écumeurs des mers de tout poil, qui rodaient dans les environs. Pas moins de trois mille Romains d'Ibérie collonisèrent Majorque notamment. Ils se partagèrent les meilleures terres et c'est à cette époque qu'y apparurent vigne et oliviers. Deux siècles plus tard, Pline l'Ancien souligne que "les vins des Baléares se comparent aux premiers crus d'Italie." Fichtre!... Il y eut bien ensuite l'invasion des Vendales (425), l'occupation byzantine (534), puis la conquête des musulmans (du VIIIè au XIIIè siècle), mais finalement, Jaume Ier, roi d'Aragon, conquiert Majorque. Plus tard, les conflits successifs permettent aux Espagnols, aux Anglais et même aux Français de s'y succéder. Dès 1960, une première vague de "beatniks" débarquent sur Ibiza, bientôt suivis par la déferlante hippie!... Mais, là, c'est une autre histoire!...

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A Majorque, on retrouve deux appellations (DO, Denominacion de Origen), dont la première, Binissalem, au centre-nord et adossée à la Serra de Tramuntana, est apparue en 1991 et compte plus de 600 ha. A cette même date, la plaine située au centre et à l'est de l'île est dénommée Vinios de la Terra, mais en 2001, 250 ha obtiennent le statut d'appellation (DO), sous le nom de Pla i Llevant. Cette dernière est située principalement dans la plaine (le plat) et dans un triangle limité par les agglomérations de Manacor, Felanitx et Porreres, au pied de la Serra de Llevant, des collines culminant à 561m longeant la côte est. Dans ce secteur, la viticulture est très active et quelques vignerons et vigneronnes passionné(e)s, tels Barbara Mesquida Mora et Francesc Grimalt sont des acteurs engagés de la viticulture locale. A voir également, si possible, Toni Gelabert, la Bodega Can Feliu ou encore Can Majoral.

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Au nord, Binissalem longe donc le flanc sud de la Serra de Tramuntana, massif montagneux qui atteint 1445 m avec le Piug Major. C'est dans ce secteur que l'on peut considérer que le vignoble historique de l'île s'est constitué. La Bodega Ribas, à Consell, est une propriété familiale depuis le XVIIIè siècle. Mais, il faut aussi se rendre à Selva, Santa Maria del Cami, où d'autres domaines méritent le détour, sans oublier le versant nord qui offre quelques implantations spectaculaires en terrasses, comme à Banyalbufar, par exemple.

Nombre de ces bodegas ont adopté une viticulture bio et pratique parfois la biodynamie. Quelques jeunes vignerons ont opté pour des méthodes peu interventionnistes. Si les grands cépages internationnaux sont largement présents, tant pour les rouges que pour les blancs, certaines variétés locales sont largement entretenues comme le manto negro (rouge) ou le moll (blanc). On trouve également callet et fogoneu (rouges), mais aussi parellada et malvoisie, parmi d'autres. La vigne, présente dans les quatre îles habitées des Baléares, est souvent regroupée dans le cadre de différentes IGP (Vino de la Tierra Mallorca, Serra de Tramuntana - Costa Nord, Ibiza, Formentera ou Vi de la terra Illes Balears ou Isla de Menorca).

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Un séjour qui pourrait être agrémenté par les spécialités locales qui ne sont pas rares : fromage de Mahon, une spécialité de Minorque, olives et huile d'olive de Majorque, sans oublier l'amande, l'ensaïmada (une pâtisserie typique) et bien sûr la sobrassada de Majorque, une sorte de saucisson de porc, assaisonné de paprika, de sel et d'épices diverses, que l'on peut étaler sur du pain grillé, par exemple, ou la glisser dans une recette de moules marinières, à défaut de chorizo cular!... J'ai en mémoire d'en avoir dégusté dans la cave de Bruno Duchêne, à Banyuls, qui en faisait sécher au plafond de son petit chai!... Dans la catégorie souvenir impérissable, surtout accompagné de La Luna!...

En 2013, près de dix millions de touristes ont visité Majorque, alors que l'île compte environ huit cent soixante quinze mille habitants et Palma près de quatre cent vingt huit mille. On imagine aisément la place prépondérante du toursime dans l'économie locale, mais la "baléarisation", l'urbanisation de masse dédiée à cette activité majeure, se veut désormais maîtrisée par le gouvernement majorquin. Au-delà même de l'apparition de réserves naturelles, protégeant certains espaces, sur la côte notamment, on note les villages agricoles préservés et l'entretien des traces de cultures passées. De plus, l'art, la culture, la marche, la randonnée ou la gastronomie sont devenus des motivations de séjours très prisées. Donc voilà! Moteur!... Crème solaire en poche!... See you soon!...

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Baléares : des pistes à suivre à Majorque!...

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Un village majorquin typique, avec blanches (ou ocres) façades et rues à angle droit : Vilafranca de Bonany. La voie rapide menant de Palma àManacor (ville natale de Rafael Nadal!... 6-4, 6-2, 6-4!) évite largement le centre par le sud, dans la plaine que l'on nomme le Pla et pour cause, vu que les dénivellations y sont rares, sauf à y remarquer quelques collines, sur lesquelles on aperçoit quelque monastère, ermitage ou sanctuaire!... Le matin même, peu avant midi en fait, j'ai rendu visite àFrancesc Grimalt, non loin de là, à Felanitx. Sa jeune collaboratrice, Mar, s'exprimant parfaitement en français, s'inquiète de mon éventuelle découverte de la cuisine locale et typique pendant mon séjour. Lui indiquant que je n'ai pas trop d'adresses sous le coude, ni dans mon "zap book", elle me suggère S'estanc vell, tout près de la petite placette, au coeur du village. En fait, Pere Gari Ferriol en est l'heureux propriétaire depuis quatorze ans. Depuis la première moitié du XXè siècle, c'était le bureau de tabac de la petite cité, un peu comme ce qu'on appelle chez nous, "La Civette"!... C'est devenu un lieu de rendez-vous incontournable, où les meilleurs vignerons de la DO (Denominacion de Origen) Pla I Llevant (et les autres!), regroupés pour la plupart dans un triangle Manacor-Porreres-Felanitx, viennent en famille ou entre amis.

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Grâce aux informations d'un autre commerçant du village, Alls I Melons, dans une boutique, que dis-je, un capharnaüm inouï, je trouve le bar à vins sans difficulté. Je n'en suis pas moins surpris par l'accueil du maître des lieux, d'autant qu'il s'adresse à moi en anglais : "Ah, vous venez de chez Barbara?..." Je lui rétorque amusé que non, puisque ça, c'était la veille! Là, j'arrive en droite ligne de chez Francesc!... Mais, ce n'est pas une véritable surprise pour lui, puisqu'il connaît bien tous les vignerons qui comptent à Majorque!... Je devine qu'il est probable que je passe un bon moment dans cette salle et ce bar, où femmes enceintes, mamans accompagnées de leur bébé dans un landau ou ouvriers de passage viennent apprécier le menu du jour.

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Il est environ quatorze heures, ce qui est un horaire raisonnable en Espagne pour prétendre à déjeuner. Cela commence par une soupe, avec force riz et morceaux de calamars. C'est parfumé juste comme il faut et très peu salé, selon les choix faits ici. Pas ou peu de sel dans les plats, pas ou peu de sucre dans les desserts, rien que la qualité des produits mise en évidence. A noter qu'ici, aux Baléares, le pain n'est pas salé. Après cette mise en bouche pleine de saveurs, mais quelque peu roborative malgré tout, le plat principal est composé d'un chou farci avec de la viande de porc, servi avec quelques pommes de terre sautées. Vous comprendrez aisément que j'eus pu faire l'impasse sur le dessert mais, le maître des lieux me propose un petit flan caramel si vite avalé que je ne l'ai même pas pris en photo!... Quelle entrée en matière avec la cuisine locale!... Et tous ces vins qui valent le détour!... Pour l'occasion, un Château Paquita 2016.

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Dialogue amical, échange d'adresses de Provence pour Pere et de Binissalem, entre autres, pour moi. Mon carnet de bons vignerons est désormais bien rempli, je vais pouvoir sillonner la campagne majorquine!... Au passage, rendez-vous est pris pour vendredi soir, juste avant de quitter l'île le samedi midi. Je soupçonne Pere d'avoir quelques capacités à m'étonner et je ne vais pas être déçu...

J'arrive donc vers 19h30, ce qui est très tôt ici!... Mais, il y a matière àéchanger, à propos de mes impressions sur mon séjour et des quelques nectars dont il dispose. Le bar est désert, mais quelques flacons sont ouverts, en guise de mise en bouche.

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Un bon nombre viennent de Catalogne, mais pleins de ressources!... Surtout, accompagnés d'une sobressade locale (voir ci-dessous), dont je réclame quelques petits toasts en guise de coupe faim, parce que je subodore que la soirée pourrait être longue et que le risque de croiser au retour la Guardia Civil n'est pas absent, même si mon GPS (toujours présent dans mes bagages!) n'ignore rien des "routes à quatre grammes" et que je n'ai qu'une douzaine de kilomètres à parcourir par de petites routes bordées de solides murs, façon piste de bobsleigh vous ramenant toujours au centre (c'est une image bien sûr!), largement empruntées par les cyclotouristes pendant la journée!... Après trois ou quatre échantillons, verres diront certains, le wine merchant passionné de S'estancvell me demande si j'ai un peu de temps devant moi... Et on se dit là que la soirée ne fait que débuter!... Comment dit-on embuscade en catalan?...

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Nous voilà installés sur une petite table. Mon hôte a décidé de partager une partie de ce repas avec moi. Dans nos verres, un joli pétillant catalan, Cru Mari 2009, 100% xarel-lo, avec une légère teinte rosée, qui va accompagner heureusement tout le repas. L'entrée, c'est pop amb ceba, en fait une salade de poulpe avec des oignons, servie tiède. Une petite merveille!... Puis, braç de mè, une épaule d'agneau absolument fondante, issue d'une cuisson lente et patiente, dans une préparation composée notamment de sauce tomate. C'est absolument succulent!...

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Je peux difficilement échapper au dessert, un tiramisu, mais proposé sur une ensaïmada, une pâtisserie typiquement majorquine se déclinant sous diverses formes, façon brioche élaborée avec farine, eau, levain, oeuf, sucre et saindoux!... Cette gourmandise est accompagnée d'un moelleux catalan d'Eduard Pié, de Sicus toujours, Meliterrani 2012, lui aussi composé de xarel-lo exclusivement. Un pur régal là encore!... Je peux désormais prendre congé, après avoir avalé un joli expresso, afin de laisser désormais Pere travailler, parce que quelques clients sont arrivés et il va devoir exprimer avec eux la même passion, tant de la cuisine que des vins. S'estanc vell, une adresse à ne pas manquer, si vous courrez la campagne majorquine!...

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Parmi les suggestions de Pere, l'un de ses fournisseurs attitrés, où il est possible d'acquérir notamment quelques variantes de sobressade (douce, piquante ou mi-piquante), la célèbre sobrasada de Majorque, une des meilleures de l'île. On découvre aisément le laboratoire de Can Not au coeur du village de Porreres, non loin de la mairie. Pas moins d'une petite dizaine de produits divers y sont produits et proposés, dans la plus pure tradition familiale et locale depuis 1984. La finca, la ferme, est propriété de la même famille depuis le XVIè siècle. Les porcs y sont engraissés en liberté, avec une alimentation à base de céréales et de tout ce qui compose les pâturages. Depuis 2009, Can Not cultive deux épices essentielles : le piment doux "tap de corti" et le paprika épicé"cidereta".

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Mon seul regret du jour est de ne pas avoir trouvé la "finca", non loin de la route de Vilafranca, malgré les quelques indications glanées sur place, afin de saluer les cochons noirs typiques, dans leur élément naturel. Néanmoins, nous allons, dans les prochains jours, pouvoir donner libre cours à notre imagination, en vue de la préparation de jolies recettes : moules marinières à la sobressade, pétoncles, sans oublier les petits toasts grillés qui enjolivent forcément vos apéritifs sur la terrasse. Dès qu'il fera une température plus douce!...

Après cette entrée en matière gourmande à souhait, rendez-vous est pris, ici-même, afin d'évoquer plus largement les vignerons rencontrés, ceux de Binissalem, de Manacor, de Felanitx, de Porreres, de Selva, d'Algaida ou de Consell, histoire de mesurer à quel point cette contrée, très facile d'accès finalement, offre de passionnantes découvertes, verre en main. See you soon ou hasta pronto!...

Baléares : Majorque, biodynamie à Porreres

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Avant de partir pour Majorque et y découvrir ses vins, il est indispensable de faire quelques recherches afin de savoir, un tant soit peu, où on va poser ses pataugas, ou ses baskets. Il faut dire que le paysage viti-vinicole de l'île a bien évolué au cours des dernières décennies, puisque, si on y recensait entre quinze et vingt domaines familiaux et traditionnels au début des années quatre-vingt, on approche désormais de la centaine!... D'aucuns ont gardé un certain sens de la tradition, mais d'autres sont apparus en défrichant le terrain avec des moyens considérables, du fait de la présence notamment d'investisseurs allemands, suisses ou suédois par exemple, certains subodorant le fort potentiel économique et spéculatif des Baléares viticoles. Mais, quelques grandes familles locales se sont également inscrites sur ce chemin. Il faut dire qu'il y a encore peu de temps, le tourisme n'avait de sens, pour les visiteurs, que par sa façade maritime, béton compris. On venait ici prendre le soleil, nager dans des eaux claires et relativement poissonneuses et donc pratiquer le snorkeling (ou PMT dans notre langage commun, soit palmes-masque-tuba). Mais, parfois, les quelques occupants privilégiés de yachts à voile ou à moteur fréquentant ces eaux en juillet-août ont, depuis quelques temps, laissé entendre que, pour eux, ces îles n'étaient pas de simples cailloux incultes et qu'ils apprécieraient de découvrir les autres activités locales. Parmi celles-ci, bien sûr, la vigne et le vin. Sans être encore devenue une destination strictement oenotouristique (comme Barolo ou St Émilion par exemple), elle a un potentiel alliant découverte de jolis vins et de beaux domaines (dont certains s'inscrivent ostensiblement dans une démarche de "viticulture écologique", revendiquée par les instances locales), d'une cuisine savoureuse, mais aussi de valeurs que les Majorquins ne sont pas prêts à mettre au rancart, ou à oublier au fond d'un vieux foudre délabré dans un vieux cellier, au coeur du village, fut-il pittoresque. Et figurez-vous, oh surprise! que les deux domaines officiellement en biodynamie Demeter, à Majorque, sont situés dans le même village, Porreres, à un kilomètre l'un de l'autre!...

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 ~ Mesquida Mora ~

Porreres est une petite ville au coeur de la plaine de Majorque et de l'appellation Pla i Llevant. De très bonnes terres que les Romains furent les premiers à exploiter, plantant vigne et oliviers dès le Premier siècle de notre ère. Ici, on comprend aisément que nous sommes là dans un système qui se veut équilibré. L'agriculture locale est rarement une monoculture, même si désormais, certains cherchent à produire du vin, rien que du vin. Mais, Barbara Mesquida Mora accueille ses visiteurs en précisant, de prime abord, que nous sommes là dans une ferme d'une vingtaine d'hectares. On y trouve des animaux, des artichauts, des abricots, ces derniers étant les plus réputés de l'île, surtout consommés secs. Si, au cours de tels périples, il arrive que l'on passe à côté de certains domaines méritant le détour, je ne risquais pas d'oublier Mesquida-Mora, présenté par tous mes contacts comme un des fers de lance de Majorque.

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Cette réputation, le domaine le doit sans doute en grande partie à Barbara. Elle évoque très vite son enfance, au milieu des barriques, des bouteilles, des tracteurs... "Je suis née dans un petit coin de paradis, je suis une chanceuse!" Elle est un peu la fille de la mer et du soleil, de la vigne et du raisin. Le destin sur lequel on s'appuie, trouve parfois ses origines dans une sorte de mythologie... Mais, elle exprime vite son karma : "Le vin, c'est ma vie, je sais le sens que je veux lui donner!" C'est un peu ce qu'elle affirmait sans doute, dès 2012, lorsque, au terme de ses études de littérature, elle bascule dans le vin. Elle devine alors que cette production vinicole doit se situer dans un équilibre global. Il est hors de question de faire la guerre à la nature. Cette finca, cette ferme qu'elle prend alors en main, doit symboliser cet équilibre. Quelque part, un mur écroulé ouvre le regard vers l'avenir...

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Depuis le milieu des années 2000, on évoque aux Baléares les préceptes de la biodynamie. Mais, entre 2007 et 2012, il n'est pas simple de prendre résolument une telle option. Pas de conseiller sur place, quelques rares conversations pour alimenter les doutes et un peu de littérature. Pourtant, Barbara va adopter la méthode dès son retour, sans étape intermédiaire par une agriculture biologique. Elle le reconnaît désormais, ce n'est pas forcément la bonne méthode, du moins, elle n'est pas certaine de le recommander aujourd'hui à quiconque. Mais, elle devine que le jeu en vaut la chandelle, si elle veut proposer des vins dans un style méditerranéen, mais non dénué de fraîcheur.

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Pour aller plus loin dans l'évocation de la démarche adoptée au domaine, la vigneronne de Porreres propose à ses visiteurs, une petite découverte de quelques unes des huit parcelles composant l'ensemble, dont certaines sur le village voisin de Felanitx. Plus que d'entrer dans le détail de la composition des sols par forcément très différents (nous sommes là, pour résumer, sur des argilo-calcaire plus ou moins rougeâtres), Barbara présente ces vignes comme étant celles du passé (Pou de sa Carrera), du présent (Son Porquer) et du futur (Cami de Felanitx). La première est composée de vieilles vignes de callet (67 ans) cultivées en gobelet. Selon la vigneronne, le gobelet (qui permet de protéger les raisins en cas de forte chaleur estivale) fait partie du paysage de Porreres, tout comme la présence des abricotiers dans les parcelles anciennes. L'agroforesterie est une réalité conservée ici, puisque dans d'autres secteurs, ce sont les amandiers qui sont présents.

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Dans un large espace, le futur est représenté par ces parcelles plantées en partie de porte-greffes, ces derniers devant recevoir différents cépages d'origine locale et même certains dits "interdits", au bout de deux ou trois années. On peut y voir une sorte de symbolique, puisque Barbara précise au passage que, parfois, certaines de ces nouvelles plantations se situent sur les parcelles même du domaine, où furent plantées par ses parents, il y a quarante ans, les variétés françaises : cabernet sauvignon, merlot, syrah, pinot noir, chardonnay... Or, désormais, on y privilégie prensal blanc (ou moll dans certains villages, ou pensal blanco selon le Galet!), parellada, giro pour les blancs, ou callet et mantonegro notamment pour les rouges. Pour le moment, il n'est pas question d'arracher les vieilles vignes bien implantées de merlot et autres, la dimension patrimoniale étant malgré tout bien présente dans l'esprit de la génération qui a repris les rênes, même si on atteint maintenant 60% de cépages locaux au domaine. Mais, l'idée est bien de ne planter à l'avenir que des cépages majorquins, voire quelques variétés très rares, faisant partie du patrimoine.

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On peut penser que désormais, le domaine a pris son rythme de croisière, avec les créations de gammes différentes et cohérentes. Bien sûr, tout n'est pas figé et nombre de cuvées pourraient apparaître à l'avenir. On peut présupposer sans crainte que l'imaginaire fertile de Barbara et l'évolution des choses vont nous valoir quelques belles surprises à l'avenir. Actuellement, ce qu'on peut qualifier d'entrée de gamme, c'est Sincronia, dans les trois couleurs, issus des jeunes vignes. "Sincronia, c'est la magie de la vie. Ces choses que nous vivons comme quelque chose de négatif, alors qu'elles sont une chance. Ces choses qui ont lieu en même temps que d'autres choses. C'est en synchronie que naissent les vins les plus jeunes de Mesquida Mora, en même temps que leurs frères Acrollam, Trispol et Sotil."

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L'étiquette de Sincronia blanc (chardonnay, premsal, parellada et giro) est illustrée par un bateau, symbole de l'envie de sillonner de nouvelles mers. Le rouge (merlot, cabernet, callet et syrah), c'est un phare, pour ne pas oublier le port d'attache et le rosé (assemblage identique au rouge), une étoile de mer, fascinante par ses couleurs et sa capacitéà se régénérer. Ensuite, Acrollam (anagramme de Mallorca) en blanc (cépages locaux) et rosé (vieilles vignes de cabernet sauvignon et merlot) seulement. Là encore, une étonnante symbolique explique le choix des étiquettes et du nom lui-même. Enfin, pour les rouges, Trispol (cabernet, syrah, callet et mantonegro), c'est le ciment indispensable à tout projet de vie, la référence à la Terre. L'étiquette est la représentation exacte du carrelage ancien de la maison de ses grands-parents maternels, sur lequel elle marchait pieds nus dans sa prime jeunesse!... Pour finir, Sotil (la surface qui sépare deux étages d'une maison ou l'espace sur lequel sont posées les tuiles). Le ciel en quelques sortes. Sur l'étiquette, on trouve le bleu du ciel de la Méditerranée et parfois quelques petits nuages, afin de combattre l'idée même de l'uniformité. Il s'agit là d'une sélection des meilleurs raisins de callet vielles vignes le plus souvent.

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Si vous disposez d'un peu de temps, vous découvrirez quelques spécialités locales, voire d'autres cuvées quasi expérimentales, comme ce Premsals 2018 mis en bouteilles avec les lies, absolument superbe, illustrant la dynamique remarquable que les vins de Mesquida Mora atteignent désormais, ainsi qu'une excellente maîtrise technique. Ils sont indéniablement au niveau des tous meilleurs. Comme j'ai pu le dire précédemment, il est regrettable que de tels nectars ne soient pas disponibles en France. Et c'est le cas pour nombre de ceux que j'ai pu découvrir pendant ce séjour. Bien sûr, les producteurs locaux ne courent pas après le marché français, du fait notamment que 70% de la production est consommée sur place. Avec ce niveau de qualité, ce n'est pas étonnant, après tant d'années où les touristes de passage n'avaient aucune considération pour les vins de Majorque, à l'image des rosés quasiment absents de l'offre pendant très longtemps. La proportion des vins du domaine qui sont exportés le sont, le plus souvent, vers la Catalogne continentale, parfois vers deux ou trois autres destinations. Même si ce n'est pas encore la priorité absolue, comme indiqué plus haut, une certaine forme d'oenotourisme permettra de découvrir de tels domaines, capables de s'organiser pour recevoir des clients de passage. De toute façon, à Porreres, vous pourrez faire coup double, puisqu'en passant derrière les installations de Mesquida-Mora, vous n'aurez qu'à prendre une route étroite qui vous mènera, en droite ligne, jusqu'à un autre domaine, en biodynamie lui aussi, avec peut-être une approche un peu différente, mais qui ne mérite pas d'être négligé.

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~ Can Feliu ~

L'expérience montre que, parfois, on peut prendre le risque de sonner aux portes de certains domaines, même quand on n'a pas pris le soin de prendre rendez-vous et même s'il figurait dans ma short list. Il faut dire que la chance était de mon côté en cette après-midi, en la personne notamment de Kate, la jeune stagiaire américaine de la Bodega Can Feliu, pas mécontente de me faire découvrir l'ensemble, plutôt que de se confronter seule à quelque tâche administrative dans le cadre, notamment, de sa formation en oenotourisme. En plus, elle s'exprime dans un excellent français, ce qui me permet de laisser au vestiaire mon anglais à peine suffisant!... Avant toute chose, j'apprends au passage que Kate, venue du Colorado, avait précédemment travaillé dans un domaine de cet état - Balistreri Vineyards - dont l'approche semble être très intéressante, du moins à la lecture de leur site. "Mais, vous savez, il y a de la vigne et du vin dans tous les états, aux USA!" Eh bien voilà, mon insuffisance culturelle en la matière est mise en évidence dès les premiers échanges!... Et l'envie de franchir l'Atlantique du même coup réactivée!... Mais, ceci est une autre histoire...

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Can Feliu est une propriété qui s'est inscrite, voilà quelques années, dans une sorte de renaissance pour le moins ambitieuse. A la fin du XIXè siècle, il y avait là un vignoble, à deux ou trois kilomètres du centre du village de Porreres, dont l'origine remonte à 1793. Mais, vers 1891, le phylloxera atteint Majorque, une trentaine d'années après la France. L'île fournit alors de grandes quantités de vin à notre pays puisque, en 1890, on y compte 27 000 ha de vignes (80% des surfaces agricoles) et 500 000 hectolitres produits, pic de la production et de l'exportation. Mais, le puceron ravageur détruit le vignoble majorquin en quelques années. On sait alors comment le reconstituer, mais jusqu'en 1895, la vague d'émigration est telle que nombre de bodegas baissent les bras et optent pour d'autres productions : amandiers, abricotiers, oliviers ou ferme laitière. Pour information, on recensait 6 000 ha de vignes en 1900, 8 000 en 1930 et... 2000 seulement en 1958, à cause des effets de la guerre civile et d'une dictature...

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A l'aube naissante du troisième millénaire, la famille Feliu regarde d'un autre oeil sa Finca Son Dagueta. Pourquoi ne pas recomposer ce vignoble historique?... Néanmoins, les races majorquines de vaches et de cochons n'en seront pas chassées. La ferme restera dans le paysage avec toute sa diversité. En 1998, les premières plantations interviennent et pendant vingt ans, les vingt-cinq hectares vont voir se développer syrah, merlot, cabernet sauvignon, cabernet franc, chardonnay, sauvignon blanc, viognier, mais aussi callet, giro ros et prensal blanc. Le label "agriculture écologique" est aussitôt adopté. Le domaine obtiendra ensuite le label Demeter dès 2011. En 2004, le nouveau bâtiment apparait sur la base des anciennes constructions agricoles, puis il est amélioré et complété, afin de passer d'une production de 9 000 litres de vin à 80 000 désormais.

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Le joyau de la propriété tient dans le très beau caveau (que je n'ai pas vu, photo ci-dessus Can Feliu) remontant au XVIIIè siècle, au coeur du village, permettant encore de prolonger certains élevages dans de bonnes conditions, malgré la modernité du chai actuel. Il faut dire de Can Feliu s'inscrit pleinement dans une offre oenotouristique (dix chambres sont disponibles sur place) et l'image de la tradition séculaire ne peut être que mise en valeur avec ce bâti ancien. Néanmoins, le domaine a pris quelques options permettant une production de qualité, avec un minimum d'authenticité (utilisation de levures indigènes seulement) sans faire appel à tout artifice techno-oenologique. Notez cependant que blancs et rosés sont stabilisés à froid, après la fermentation alcoolique. Les vins rouges sont tous élevés en fûts de chêne français pendant dix mois environ, dès la fin des fermentations alcooliques et malolactiques.

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Avec somme toute quelques moyens investis, Can Feliu est composée d'une équipe qui se veut attentive à la mise en valeur des sols et des microclimats, qu'illustre la douzaine de parcelles composant l'ensemble. La gamme est attractive, proposant souvent des assemblages réunissant variétés locales et internationales, à l'exception de trois des rouges, issus à 100% de cabernet, de merlot ou de syrah. On devine qu'un business plan bien étudié est suivi à la lettre, même si les aléas du climat, relativement rares ici et vécus avec moins d'intensité qu'en France, rappellent la dimension artisanale de toute production viticole. Aux Baléares, si le gel printanier est peu fréquent, c'est désormais davantage la sécheresse que l'on craint, surtout quand elle semble s'installer très tôt dans l'année, comme c'est le cas en 2019.

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Cette première journée me permettait de découvrir deux beaux domaines, s'appuyant sur le respect de la biodiversité et la dimension écologique du vignoble majorquin. Nous allons pouvoir constater que, dans d'autres secteurs et appellations, cette préoccupation est loin d'être absente, avec en plus, la passion de certains vignerons pour une démarche "nature", inspirée en partie par certains acteurs de la Catalogne continentale. Nous ne sommes donc pas au bout de nos bonnes surprises!...

Baléares : Pla i Llevant, de Manacor à Algaida

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On peut considérer que le coeur agricole de Majorque est bien là, dans cette plaine qui s'étend de Manacor à l'est à Algaida à l'ouest, en y intégrant les communes de Porreres et de Llucmajor notamment, soit sur une étendue de trente kilomètres sur vingt-cinq environ, composée donc du Pla et limitée par la Serra de Llevant, une série de petite collines la séparant du rivage. Du point de vue strictement viticole qui nous intéresse, la Denominacion de Origen Pla y Llevant est apparue en 1999, voilà vingt ans donc. Elle regroupe dix-neuf communes et on y recense treize bodegas et soixante dix viticulteurs, sur un total de 444 hectares. Une région calme, aux paysages apaisants, avec ses routes étroites qui mènent à différentes exploitations agricoles ou à un habitat plutôt éparpillé. Et qui donne aussi la possibilité de découvrir des vigneron(ne)s passionné(e)s, qui effectuent un remarquable travail depuis des décennies.

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~ Francesc Grimalt, 4 kilos Vinicola ~

Cap sur Felanitx tout d'abord, petite ville à une quinzaine de kilomètres de la mer et des jolies calanques de la côte est, que vous pourrez atteindre en vous faufilant entre les collines de la Serra de Llevant et découvrir ainsi Portocolom, Cala d'Or et autre Cala sa Nau. De Portocolom, le port de Felanitx, des quantités considérables de vin et d'alcools issus de la distillation furent exportées au XIXè siècle, notamment vers la France, faisant de ce secteur de Majorque un des centres les plus importants de l'activité viticole. Mais, le phylloxera ruina la région en à peine quelques années.

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Francesc Grimalt n'a pas encore cinquante ans, mais avec un peu plus de vingt-cinq ans d'expérience dans le monde du vin, notamment majorquin, il peut être considéré comme un référent en la matière. C'est d'ailleurs ce que pense de lui nombre de ses confrères. Il a sans doute consolidé cette expérience par une réflexion approfondie sur beaucoup de sujets évoquant la culture de la vigne, la production de vins et les limites d'un art, la viniculture, dont il puise tous les ferments dans le sol natal de son pays et de son village. Sans doute pense-t-il qu'il n'y a pas forcément de limites en la matière d'ailleurs, pour peu qu'on prenne les choses par le bon bout. En 1994, il crée Anima Negra avec deux autres "fous du vin", comme on les qualifie alors. L'objectif clairement affiché est de rendre leur lustre d'entan aux cépages indigènes, notamment le callet, à cette époque, un aimable faire-valoir du cabernet sauvignon, par exemple. Un quart de siècle plus tard, Francesc est considéré comme à la base de sa réhabilitation dans l'île de Majorque et sans doute, son plus éminent spécialiste, quitte à bousculer les à priori.

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Le début des années 2000 va installer en lui, la volonté de passer à autre chose, de donner à sa passion une autre dimension. Les évènements se déroulant dans le vignoble espagnol continental ne manquent pas de l'interpeller. C'est l'époque où, jusqu'en 2006 principalement, se multiplient les projets parfois pharaoniques de construction de nouveaux chais, dont l'étude est alors confiée à d'éminents architectes, en Ribera del Duero, Rioja ou Priorat notamment. Francesc ne manque pas alors de s'interroger : "Est-ce la solution pour produire de grands vins?..." Sa perplexité est grande, mais pour lui, "le plus important, c'est le vignoble et le vigneron!"

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En août 2006, se forme un duo de choc, sur la base d'une franche amitié et d'une solide confiance. Francesc Grimalt et Sergio Caballero créent 4 kilos Vinicola. Le second est un musicien barcelonais et fondateur du festival Sonar, de musique avancée et d'arts mutilmédias. Il prend en charge la gestion de l'image de la nouvelle société et la création des visuels. Pour le reste, la production de vins, Francesc a les mains libres. "C'est sans doute mieux quand les deux partenaires ne sont pas dans le même secteur d'activité..." En guise de mise de départ, les deux amis mettent au pot deux "kilos" chacun. Un kilo, dans le langage commun populaire, c'est un million de pesetas, dans l'ancienne monnaie de l'Espagne. Soit quatre millions de pesetas pour lancer le projet, environ 24 000 euros, ce qui est très peu, au regard des sommes faramineuses englouties dans certaines wineries à cette époque.

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Pour les vendanges 2006, 4 kilos produit son premier vin en s'installant dans le garage d'un autre vigneron, avec peu de ressources mais d'excellents raisins. Fermentation et vinification se déroulent en partie dans un tank à lait et des barriques ouvertes de 225 litres. Après un élevage de quatorze mois, le vin est lancé sur le marché. Dès 2007, ils procèdent à diverses plantations et convertissent une vieille ferme ovine en petite cave. A partir de ce moment, Francesc donne libre cours à sa réflexion et à toute sa sensibilité. Le cépage n'est pas une fin en soi, mais le concept repose plutôt sur la combinaison variété-sol-climat-vigneron. Dans une des parcelles à proximité de la cave, une sélection de soixante pieds issus d'une sélection massale en provenance de différentes parties de l'île a été multipliée. On trouve là entre 60 cm et 2 mètres de sol, ce qui permet de mesurer les effets de l'un et de l'autre sur la plante. De la même façon, si des cépages tels que callet, mantonegro et gorgolassa étaient complantés naguère, cette plantation permet d'associer cépage primeur et sol tardif, ou inversement, afin de tenter d'uniformiser les maturités. De plus, une grande attention est portée sur le type de sol. Les variétés locales étant plantées de préférence sur ce qu'on appelle ici cal vermell, des argiles rouges marquées par l'oxyde de fer ce qui, à priori, leur procure un plus de concentration. Les sols plus argileux sont réservés au cabernet ou à la syrah.

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Mais, les grands axes de travail de Francesc Grimalt prennent plusieurs directions. Tout d'abord, l'agroforesterie, "un mouvement important en ce moment!" Dans certaines parcelles, on trouve désormais différentes variétés d'arbres (amandiers, abricotiers...) mais aussi des légumineuses et même de la lavande. Il s'agit d'alimenter et de préserver la biodiversité des sols vinicoles. Depuis une douzaine d'années, le vigneron de Felanitx s'est donné aussi quelques libertés, sur la base d'une idée essentielle : c'est la qualité des raisins qui commande, dans toute leur variété et les composantes propres à chaque millésime. Ainsi, les élevages peuvent varier, tant pour ce qui est du contenant que de la durée. Aucune règle n'est fixée, c'est le vin qui donne le la!... Pour donner toute cette liberté aux vins, le vigneron dispose désormais d'une cuve de fermentation en béton naturel produit avec le sol de Majorque et tous ses constituants, parfois même des restes de végétaux issus de la terre, que l'on distingue en s'approchant. De la même façon, les amphores en céramique utilisées sont produites sur l'île.

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Dehors, la tramuntana souffle fort, au point qu'il est difficile de rester hors les murs. On déguste deux ou trois vins, forts de leur personnalité. Francesc Grimalt évoque ses débuts, mais aussi quelques rencontres déterminantes (Gérard Gauby, Cos, Occhipinti...). En collaborant et en achetant des raisins à plusieurs vignerons (dans un rayon de 10 ou 12 kilomètres autour de la cave, mais aussi à Binissalem), il mesure toute la difficulté pour les producteurs de passer le temps voulu dans les vignes, au regard de ce que leur impose la démarche en bio qu'ils ont choisie. "Cette quantité de travail de bureau est un problème!..."

Surpris, depuis mon arrivée, de ne trouver aucune vigne plantée sur les quelques coteaux environnants, le vigneron me confirme que c'est cette plaine argilo-calcaire qui a toujours été privilégiée et ce, depuis des siècles et même des millénaires!... La montagne est trop dure à travailler, très calcaire et réservée aux oliviers. De plus, on peut considérer que la brise, soufflant ici assez souvent, a un effet proche de ceux constatés sur une vigne plantée à 300 mètres et plus. Ce n'est donc pas une option pour le futur. Si Francesc Grimalt a contribué, au cours de ces dernières années, a une évolution importante de la qualité des vins produits sur Majorque, on perçoit chez lui quelque inquiétude, quant à l'arrivée récente de nombre d'investisseurs. Les prix d'achat de raisins pratiqués par ces derniers pourraient laisser apparaître quelques difficultés. Le défi relevéà l'aube du nouveau millénaire, de remonter la qualité des vins, en engendre peut-être un autre. Il faut souhaiter à ces vignerons d'y faire face avec conviction et sincérité. Et à nous, de croiser la route de ces cuvées!...

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~ Can Majoral, à Algaida ~

Un très joli domaine là encore, où deux générations s'activent sur les deux parties du vignoble, l'une au nord, Son Reus, sur la route de Pina, l'autre, Son Roig, au sud du village, vers Llucmajor, au pied du Puig de Galdent, qui culmine à 420 mètres. Apparu en 1979, Can Majoral est né de la passion du père de Mireia Oliver, sans que l'on sache vraiment s'il y avait à la base une quelconque stratégie, qui ferait du domaine un des excellents référents de la région. S'agissait-il d'une expérimentation, d'un divertissement?... Quelques années plus tard, le projet est devenu grand, notamment parce qu'il s'est aussitôt inscrit dans une démarche respectueuse de l'environnement.

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Le domaine s'étend aujourd'hui sur dix-sept hectares, le plus souvent composés de ce sol d'argile chargé d'oxyde de fer, le cal vermell, notamment pour la partie dite Son Reus. Pour Son Roig, il s'agit plutôt de sols argilo-calcaire, où les vignes, sur un sol légèrement ondulé, sont souvent entourées d'amandiers, de figuiers et de rares caroubiers. Pas moins de quatorze cépages y sont plantés à ce jour. L'ensemble est contrôlé par le CBPAE (Conseil Baléar de la Production Agricole Écologique), organisme de contrôle public, chargé de veiller au respect de la réglementation européenne 2092/91, concernant les produits biologiques. Can Majoral fut le premier domaine viticole certifié dans ce cadre aux Baléares et le second en Espagne. Les bâtiments, construits grâce aux efforts de toute la famille, sont disposés de façon harmonieuse et pratique. A noter, un chai à barriques enterré et climatisé, que l'on atteint par un étroit escalier en colimaçon, afin de mener au mieux les élevages, installation plutôt rare à Majorque.

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Après m'être laissé guider dans une partie du vignoble par Andreu, le cousin de Mireia (Andreu est aussi le prénom du père de Mireia, fondateur du domaine), un large tour d'horizon me permet de découvrir une bonne partie de la production. Dans la gamme "Can Majoral", les huit cuvées disponibles sont proposées en appellation Pla i Llevant. Au passage, le terme de "Majoral" n'a rien à voir avec le patronyme familial. En fait, il s'agit d'une sorte de surnom attribuéà la famille depuis des décennies, voire des siècles, évoquant souvent l'activité reconnue d'un ancêtre. C'est une façon de désigner tous les membres de cette famille, à travers le lieu où ils vivent. C'est aussi une tradition plutôt répandue aux Baléares.

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On commence par la gamme dite Butibalausi. C'est le nom que donnaient les Maures àSon Reus, avant le XIIIè siècle et la conquête chrétienne. Le blanc 2018, en DO Pla i Llevant également, se compose de chardonnay additionné de prensal et parellada. Un vin très réussi, avec une expression droite et homogène, malgré la jeunesse des vignes. A suivre, dans la gamme Can Majoral, le Giro blanco prélevé sur cuve, avec une jolie personnalité. Fermentation en cuve inox pour celui-ci. Il passe ensuite six mois sur lies fines, puis est mis en bouteilles au printemps. Galdent 2017 illustre le soin apporté aux élevages. Il s'agit là d'un viognier. Pressurage après une macération pelliculaire de huit heures, puis fermentation en barriques neuves avec contrôle des températures à 16°. Sur lies pendant six mois, avec batonnage. Reste pendant un an en cave après la mise. Est-ce le point déterminant? Le vin est en place et l'expression ne montre aucune exubérance, ni variétale ni boisée. A noter que seules les levures indigènes sont utilisées.

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On passe ensuite àGorgolassa 2017. Vinification en cuve inox avec de légers remontages, puis chapeau immergé pendant deux semaines à 25°. Après la fermentation malolactique, élevage de neuf mois en barriques de 500 litres de chêne français pour 70% du volume, le reste passant en céramique. Là encore, une belle expression et une sensation de pureté. Pour le Callet 2016, même process de vinification que le précédent, si ce n'est que seulement 20% du volume est passé en céramique et toujours le sentiment d'un vin pur et droit. Enfin, avec Turgent 2014, on passe à la gamme sensiblement plus puissante, notamment du fait de ses 15°!... Vinification voisine des deux premiers, si ce n'est que la macération avec chapeau immergé a duré trois semaines et que l'élevage est de douze mois en barriques neuves et d'un vin de chêne français. Indiscutablement, un bel ensemble, avec certainement une approche très fine et nuancée du potentiel de ces vins et, au final, une gamme très cohérente. Pour conclure, citons Idris al-Yamân, un des rares poètes musulmans évoquant la terre de Majorque : "Les verres étaient lourds quand ils sont arrivés à nous, mais en se remplissant de vin pur, ils se sont allégés et étaient sur le point de voler avec leur contenu, tout comme les corps sont allégés avec les esprits."

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~ Toni Gelabert, à Manacor ~

Une maison posée sur la plaine, au milieu des vignes. Je ne pouvais passer à côté de ce domaine figurant sur ma short list, d'autant qu'il était situéà trois cents mètres, à vol d'oiseau, de mon hébergement pendant cette semaine!... Petits inconvénients : la forte tramontane de cette matinée et le fait que je ne parle pas espagnol, alors que Toni Gelabert ne parle pas anglais!... Les langues, les langues, que diable!... Je pousse la porte du petit cuvier et me retrouve face au vigneron en compagnie de deux ou trois de ses employés, en train de prendre une petite collation et une boisson chaude, vu le ressenti à l'extérieur. Il me demande de patienter quelques minutes et me rejoint ensuite devant la porte principale.

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Il s'agit donc là d'un petit domaine qui ne dépasse pas six hectares actuellement. Il a été créé en 1979. Comme pour le cas de Can Majoral, tout a commencé par une sorte d'expérimentation basée sur la passion du vin et sur l'idée qu'il était possible de produire ici de jolies cuvées. Petit à petit, avec le soutien de sa famille et de ses amis, Toni Gelabert a donné une plus grande dimension à l'ensemble. En 1999, alors qu'est créée la DO Pla i Llevant, le vigneron de Manacor fait construire cette nouvelle cave dite des Trois Ermites, sur ces terres de Son Fangos. Dans cette plaine calme, le vigneron trouve la lumière, le vent, l'eau et l'énergie propres à ce secteur de Majorque.

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De très nombreuses variétés (quinze si je n'en ai pas omises!) vont être plantées au fil des ans, tant locales qu'étrangères. Les vignes sont palissées, mais toutes sont taillées selon la méthode du cordon de Royat. Toni Gelabert a très vite opté pour une viticulture écologique, s'appuyant notamment sur les phases de la Lune, puis en adoptant les préceptes de la biodynamie (non certifiée). En quelques mots, on sent le vigneron en phase avec l'énergie du lieu, qui semble encore plus concrète, un jour de forte tramontane. Nous avons du mal à converser vraiment, mais j'apprends quand même qu'il dispose d'une "petite vigne très spéciale" du côté de Colonia de Sant Pere, petit village donnant dans la Baie d'Alcudia, dans le nord de l'île. Une sorte de jardin secret, sans doute...

Les vins de Toni Gelabert (quatorze cuvées actuellement) se sont taillés une excellente réputation depuis quelques années, mais au hasard de diverses conversations, l'homme semble avoir aussi l'image d'un excellent vigneron, prenant particulièrement soin de ses vignes, au point que certains n'ignorent pas que l'on peut faire chez lui de très belles sélections massales, notamment avec les variétés indigènes, toutes présentes ou presque. Indiscutablement, un personnage au fort caractère, mais que quarante années de viticulture majorquine ont renforcé dans ses convictions et les moyens à mettre en oeuvre, pour atteindre une belle qualité de produits authentiques et sincères. Prenons désormais la direction du nord et de Binissalem pour en découvrir d'autres aspects.

Baléares : Binissalem, patrimoine et innovation

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L'essentiel du patrimoine historique viticole de Majorque se situe à Binissalem. Non que cela tienne au simple fait que ce secteur du vignoble majorquin fut le premier à obtenir la Denominacion de Origen en 1991, mais parce que le coeur du village possède quelques vestiges de sa grande prospérité passée. Le nom de Binissalem viendrait de l'arabe Bin Selim (le fils de Selim) et fut d'usage à partir du XVIè siècle. Du XIIIè siècle (conquête espagnole) au XVIè, la ville était plutôt connue sous le nom de Robines, qui désigne aujourd'hui le centre ville de Binissalem et son église Notre-Dame de Robines. Celle-ci est située sur l'antique route qui reliait les deux colonies romaines de Palma et de Pollença, ainsi qu'Alcudia, au nord-est. Entre le XVIIè et le début du XIXè siècle, la ville a connu une certaine prospérité du fait de sa production vinicole. On y voit aujourd'hui nombre de grands hôtels particuliers, que les riches propriétaires terriens faisaient alors construire, comme s'ils allaient défier la capitale Palma, à vingt-cinq kilomètres. Ils étaient bâtis de cette pierre blanche calcaire typique de la région. La DO Binissalem couvre aussi les communes voisines de Santa Maria del Cami, Sencelles, Consell et Santa Eugenia, soit environ 400 hectares.

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~ Bodega Ribas, à Consell ~

A moins de trois kilomètres de Binissalem, la petite ville de Consell cache un référent historique du vignoble majorquin. C'est là, en 1711, dans cette maison même, que Pedro Ribas de Cabrera créa la cave et le vignoble. De nos jours, c'est la treizième génération qui anime l'ensemble, faisant désormais de cette bodega, la plus ancienne d'Espagne, catégorie domaine familial, puisque les deux autres supposées encore plus anciennes, en Espagne continentale, appartiennent désormais à de grands groupes internationaux. Deux quadragénaires, Araceli et Xavier Servera Ribas, sont aux commandes, forts de leur formation d'oenologue suivie à Tarragone, dans le Priorat et de quelques voyages en Californie ou en Nouvelle-Zélande.

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On peut penser qu'une des grandes forces de cette famille opiniâtre et volontaire à travers les siècles, c'est sa capacitéà faire face aux évènements. En effet, lorsque survient la crise du phylloxera en Europe, le vignoble majorquin est d'abord protégé pendant près d'une trentaine d'années. Mais, vers 1890, la mouche destructrice fait son oeuvre et dévaste les vignes locales. Même si, à cette époque, on connaît le remède, la plupart des domaines existants opte pour un arrachage des vignes (on imagine les bûchers dans les campagnes...) et la plantation d'amandiers, de caroubiers ou d'abricotiers (plutôt du côté de Porreres et Felanitx pour ces derniers). Cependant, les vignerons de Can Ribas décident aussitôt de replanter de la vigne, afin de continuer l'histoire séculaire de Binissalem et de Consell.

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Ici, comme au sein d'autres domaines majorquins, on sent une dynamique clairement soutenue et confortée par les études et la curiosité de la nouvelle génération, qui ne souhaite pas, à l'évidence, rester dans un carcan institutionnel. Pour preuve, le choix que font certains de proposer la plupart de leurs cuvées sous le label Vi de Terra Mallorca, plutôt que sous les appellations Binissalem ou Pla i Llevant. Quelque chose qui rejoint sans doute, ceux qui optent, dans le Roussillon, pour l'identitéCôtes Catalanes, plutôt que Côtes-du-Roussillon. Autre aspect non négligeable se confirmant ici, la valorisation évidente des variétés locales, dont on maîtrise parfaitement désormais les caractéristiques, souvent décriées par le passé.

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Est-il nécessaire de rappeler que, voilàà peine une vingtaine d'années, les vins de l'île n'étaient pas plébiscités par les Majorquins, au point que ceux-ci consommaient plutôt des crus de la Rioja ou de Ribera del Duero, les cartes des restaurants n'en proposant alors aucun? Il en était d'ailleurs de même pour la gastronomie locale, mais nombre de restaurateurs ont désormais compris que l'association de la cuisine familiale et traditionnelle avec les meilleurs crus issus de mantonegro, de callet ou de prensal, correspondait bien à une tendance très forte de notre époque. D'ailleurs, dans le cas de la Bodega Ribas, 65% de la production est consommé sur place, pour 35% à l'export (Suisse, Allemagne, Suède, Danemark, Belgique, Hollande, un peu aux USA et au Japon, mais pas en France ni en Italie!...), alors que c'était exactement l'inverse voilà seulement six ans!...

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N'ayant pas pris le soin de prendre rendez-vous (je suis incorrigible!), mon passage en matinée me permet d'être cependant reçu dès quatorze heures par Sylvia Ottmann, guide d'origine franco-allemande et donc parlant parfaitement français, me permettant au passage de capter l'atmosphère du lieu. Elle dispose de quelques dizaines de minutes avant l'arrivée d'autres visiteurs, mais me confie un plan du secteur m'offrant la possibilité de découvrir le vignoble. Il s'agit de quarante hectares d'un seul tenant, labellisés bio depuis cinq ans, réunis là depuis plus de deux décennies, suite à la construction de l'autoroute doublant l'ancienne nationale, qui nécessita une forme de remembrement. Avant, quelques parcelles étaient proches de la finca. Une bonne partie du vignoble est âgée de 55 à 65 ans, si ce n'est les cépages étrangers plus jeunes. Le tout est planté sur une plaine composée de pierres poreuses et de gravier, avec une texture limono-sablonneuse et donc, une bonne capacité de drainage. Pour information, nous sommes làà une altitude de 155 mètres environ, les précipitations annuelles moyennes étant de 450 mm (surtout en automne).

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Lors de ce passage au coeur du vignoble, mon imaginaire prend la poudre d'escampette... J'imagine aisément la chaleur qu'il peut faire ici, en plein été. Sans doute peut-on y apercevoir quelques mirages, lorsqu'on se tourne dans certaines directions, quand le soleil est au zénith. Pour un peu... ma vue se trouble... n'est-ce pas là-bas, sur l'horizon, les silhouettes de Don Quichotte et Sancho Pança en villégiature, chevauchant dans la plaine brûlante, leurs montures soulevant une poussière qui retombe immédiatement, incapable de profiter de la moindre brise?... Je devine qu'ils vont m'inviter à poursuivre la visite et à me délecter de quelques nectars... dont je ne crains pas les effets secondaires, pas plus que ceux du soleil et du vent!...

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Ici aussi, à ce stade, on évoque volontiers le passé, le présent et le futur. L'image du passé tient dans ses bâtiments anciens, aux mûrs épais, sensés protéger de la chaleur et du froid. La superbe cuisine typique, au coeur de la maison construite en 1776, habitée naguère par les arrière-grands-parents de la génération actuelle, est utilisée désormais pour certaines dégustations. Bon nombre des 15 000 visiteurs annuels (sur rendez-vous, non compris les spontanés!) recensés par l'équipe chargée de l'accueil, peuvent avoir une idée et une vision de ce patrimoine irremplaçable. Mais, la Bodega Ribas se conjugue aussi au futur, puisqu'un nouveau bâtiment va permettre de lire plus aisément dans l'avenir. Si, depuis une quinzaine d'années, des aménagements techniques ont pu faire progresser les vins (contrôle des températures, anciennes cuves en béton vieilles de soixante ans revêtues intérieurement d'epoxy...), il fallait tendre vers une autre dimension. C'est chose faite, puisqu'un nouveau chai est sorti de terre, avec 400 m² en surface et 400 m² en sous-sol, le tout bénéficiant de toute la technologie de pointe actuelle. C'est l'oeuvre d'un éminent architecte espagnol, Rafael Moneo. Le degré d'avancement des travaux ne manque pas d'inquiéter ces temps-ci les acteurs du domaine, puisque tout doit être opérationnel pour les prochaines vendanges manuelles, qui débutent à la mi-août et dès le mois de mai pour installer le matériel.

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Si l'antique chai actuel compte à ce jour pas moins de 259 barriques, contenant tous les rouges du millésime 2018 (85% en chênes français et 15% en chênes américains), dont quelques grands volumes (500 litres) destinés aux cépages autochtones, le futur bâtiment permettra d'utiliser aussi quelques foudres venant, à terme, compléter et diversifier les élevages, peut-être même des amphores de diverses origines.

La conversation se termine verre en main, comme il se doit. Le temps de découvrir quelques cuvées, comme ce Ribas rosé 2018 (mantonegro à 92%, plus callet et gorgolassa), symbole de l'évolution de la production locale. En effet, alors que les rosés de Majorque étaient peu appréciés naguère, ceux issus de pressurage direct et donc peu colorés, sont de plus en plus réclamés par les consommateurs de l'été. Depuis ces dernières années, la proportion de rosés produite au domaine double à chaque millésime!... A suivre, Soma 2018, 100% viognier. 20% élevé en fûts pendant cinq à six mois, le reste en inox. Un jolie personnalité et de la fraîcheur.

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Un second blanc à suivre, Sio 2018 (60% prensal, cépage appelé moll dans le village voisin et 40% viognier passé en fûts), avec une belle dynamique et une franche pureté, pour lequel l'expression aromatique n'a rien d'exubérant ni de déséquilibré. Le premier rouge, Ribas Negre 2017, se veut principalement l'expression du mantonegro (50%), fierté locale, issu de jeunes vignes (25-30 ans), soutenu par un peu de cabernet sauvignon, merlot et syrah, le tout élevé en barriques de deux à trois ans, dont certaines en chêne américain. Pour finir Sio 2017, avec 60% de mantonegro cette fois et une proportion variable des trois autres cépages ci-dessus. Les vignes ont cette fois entre 55 et 65 ans. L'élevage d'une douzaine de mois est pratiqué dans des barriques neuves et d'un an. Un plus de complexité et de structure, souligné par des arômes joliment épicés et un fruit assez opulent.

Parmi les éléments de langage et de communication entendus ici - on compte 160 000 pieds de vigne et 160 000 bouteilles produites chaque année - on devine qu'une très grande attention est portée à la qualité et chaque phase de la production ne peut souffrir d'aucune approximation. Mais, cette rigueur a sans doute conforté la réputation ancienne et le succès des vins de domaine. Il semble même que désormais, la production annuelle soit écoulée au cours de l'année suivante!... Au regard de bien d'autres domaines de Binissalem, la Bodega Ribas est une sorte de vaisseau amiral de la flotte locale mais, avec sa dimension familiale, elle reste un témoin des progrès accomplis et des étapes franchies vers une qualité optimale.

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~ Can Verdura, à Binissalem ~

Après la découverte du patrimoine historique de la viticulture locale, retour à Binissalem pour essayer de montrer à quel point une dynamique forte s'est enclenchée dans le paysage de Majorque. On peut considérer que cette dynamique prend parfois une dimension militante, avec certains vignerons pas loin de reprocher aux générations précédentes d'avoir céder aux sirènes des cépages internationaux dits "améliorateurs". Ils l'affirment, leur identité tient dans cette terre chargée de galets roulés descendus de la montagne au fil des millénaires et surtout dans ce mantonegro, qui s'exprime ici à son meilleur. Parmi ceux-ci, Tomeu Llabrès, jeune héritier de six générations de vignerons ayant toujours oeuvré sur cette terre de Binissalem.

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Avant de parcourir les vignes alentour, le vigneron exprime le souhait de prendre un café au bar voisin, habitude somme toute très couleur locale. Rentré de Madrid à trois ou quatre heures du matin et levéà sept, la journée s'annonce longue... Avec en plus ce Français qui veut tout savoir!... Le jeune homme s'appuie sur une histoire familiale, semble savoir ce qu'il veut, mais n'a pas encore beaucoup de recul, plutôt des rêves et des envies en perspective, lui qui est officiellement installé depuis 2012. C'est à cette date que fut aussi aménagé un ancien garage, au coeur de Binissalem, désormais la cave de Can Verdura propose des "vins de garage", sans que ce soit péjoratif!... Deux ans plus tôt, à peine sept cents bouteilles furent produites, issues d'une vieille vigne de mantonegro appartenant au grand-père...

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Ce besoin de prendre l'air en cette matinée, revendiqué par Tomeu, va en fait me permettre d'appréhender mieux la diversité du vignoble. Avec la seule approche visuelle et quelque peu lointaine que l'on peut avoir, lorsqu'on connaît mal la région, il est quasiment impossible de mesurer tout ce qui différencie telle ou telle parcelle de sa voisine : les pentes (légères!), l'orientation, le mode de culture, la granulométrie des pierres, la couleur de l'argile. Nous retrouvons là le call vermell, dont les nuances dues à la présence d'oxyde de fer, parlent autant aux vignerons du cru, qu'un pantone aux peintres en bâtiment. Au passage, je devine que le vigneron de Can Verdura est très attaché au parcellaire, au point qu'il recherche, avec certaines de ses cuvées, toute la variété d'expression du mantonegro, cépage vedette de l'appellation.

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Au total, le domaine compte huit à neuf hectares environ. Une partie issue du patrimoine familial, le reste patiemment réuni par Tomeu Llabrès, après avoir procédé, pour certaines parcelles, à l'achat des raisins au moment des vendanges. Ces vignes éparses, de 70 ares à 1,2 ha le plus souvent, laissent rarement le vigneron indifférent, surtout lorsqu'on y voit de très beaux et très vénérables gobelets. Les vignes palissées, taillées en cordon de Royat, n'ont guère son assentiment. Le domaine est désormais en agriculture biologique. Pour l'achat de raisins, le vigneron admet qu'il est difficile d'obtenir un label, mais certaines vignes sont de véritables joyaux, où les produits chimiques n'ont pas droit de cité depuis des lustres.

La gamme se répartit en deux axes principaux : Supernova, en blanc, un 100% moll (ou prensal), avec un élevage sur lies fines de cinq mois. Rouge et rosé (pressurage direct) sont issus à 100% de mantonegro. Élevages en foudres et en cuves, passage d'une partie des volumes de blanc et de rouge en barriques de 500 litres. Ces trois vins proviennent de plusieurs petites parcelles dans l'ensemble de l'appellation Binissalem. C'est aussi le cas pour Can Verdura rouge, dont le millésime 2017 est composé de 60% de montenegro, 25% de monastrell et 15% de callet. La moitié du volume élevée en cuve, l'autre moitié en barriques de chêne français de 225 et 500 litres pendant huit mois, plus une petite partie passant en fûts de chêne américain. Viennent ensuite les deux parcellaires : Can Xicatlà, un blanc de noir issu de mantonegro cabellis, une variété très ancienne de mantonegro, qui fût le plus souvent abandonnée, du fait de son irrégularité de maturité. En effet, il n'était pas rare de ramasser des grappes blanches, rosées et rouges sur un même pied!... Les vignes n'ont pas moins de soixante ans et sont plantées sur une seule et même parcelle de 1,01 hectare située Cami Vell de Muro, un espace sous l'influence parfois d'une légère brise de mer, qui donne un caractère très original à cette très belle cuvée. Enfin, Son Agullo, 70 ares de mantonegro plantés àPlà de Buc, sur la commune de Santa Maria del Cami, également âgés de soixante ans, bénéficiant aussi de ces bouffées de vent maritime appelées ici "embat". Des élevages très attentifs en grands volumes pour ces deux cuvées, peu d'intervention, tant à la vigne qu'au chai, sulfitage réduit au minimum et peu ou pas de filtration. Les volumes sont assemblés après élevages, séjournant en cuves, puis en bouteilles, avant leur commercialisation. Comme on le voit, tout est mis en oeuvre ici, pour proposer des vins authentiques et respectueux d'un idéal que Tomeu Llabrès veut désormais porter. Nul doute qu'il faut voir là de belles perspectives d'avenir, pour un vigneron et des vins qui ont quelque chose à dire. A suivre absolument!...

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~ Binigrau, à Biniali, Sencelles ~

Juste quelques mots pour évoquer rapidement un autre domaine de Binissalem que je n'ai pu visiter... En effet, Binigrau est souvent cité parmi les très bons domaines de l'appellation, à la pointe des avancées technologiques, mises au service d'une certaine idée de la tradition locale. Il s'agit d'une propriété d'une trentaine d'hectares créée en 2002 par Miguel et Mathias Batle Pastor. Il semble même qu'un troisième frère participe à l'affaire, leurs compétences allant de la banque à l'informatique, en passant par l'oenologie. Viticulture biologique, pratiques biodynamiques pour mantonegro, callet et prensal, mais aussi merlot, syrah, cabernet sauvignon et chardonnay.

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Le bâtiment étonne par son esthétique et ses matériaux, mélange de modernité et d'architecture traditionnelle. Malheureusement, je ne pourrais qu'en découvrir la face visible et seulement apercevoir la face cachée en pleine effervescence. En effet, la petite équipe du domaine est mobilisée ce matin pour le début des mises en bouteilles devant durer pas moins d'une semaine!... Et Miguel est à Palma pour quelques démarches commerciales... Pas de chance!... Le haut de la gamme se compose de deux cuvées : Obac (mantonegro, callet, merlot, cabernet sauvignon et syrah) et Nounat (assemblage de prensal et de chardonnay). Un ensemble qui donc reste à découvrir, à une prochaine occasion. Confirmation du dynamisme de la région et indiscutable prise de conscience de la nouvelle génération, dont les acteurs portent haut l'étendard de ce cru.


Baléares : Carlos Rodriguez, à Selva, vignes, vins, histoire et rock'n'roll!...

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Il faut partir vers le nord pour rencontrer Carlos Rodriguez Furthmann et s'approcher de la montagne, la Serra de Tramuntana, rempart naturel pour tout le vignoble plus au sud. Selva est un joli village à flanc de colline, peut-être même à flanc de montagne... Petites places et rues pavées, maisons blanches sous le soleil, très appréciées des cyclotouristes qui peuvent aborder ainsi la "moyenne montagne"!... Et faire une pause très agréable à la mi-journée sur une terrasse ensoleillée. Mais, là aussi, il est possible de débusquer des "vins de garage" tout à fait passionnants. Garez-vous sur la Placeta Valella, descendez Carrer de Sant Josep, une autre petite place triangulaire apparaît, avec un calvaire en son centre, que vous laissez sur votre gauche pour prendre Carrer de sa Creu. Sur la droite, au numéro 30, un portail en bois et un panneau du même métal, Selva Vins, vous êtes arrivés.

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Lorsque vous franchissez la porte, deux choses peuvent vous surprendre : pas moins d'une douzaine de bouteilles posées sur une table, comme autant de cuvées, au visuel identique ou presque et un fond musical en provenance d'une radio diffusant les plus grands standards du rock'n'roll!... Les premières traduisent la liberté du vigneron, qui se lance volontiers dans diverses expérimentations,  comme ce pétillant rosé en méthode ancestrale, ce clarete façon Cigales (non loin de Valladolid) ou ce blanc élevé en barriques de chataigniers, entre autres, les seconds s'expliquant par sa passion pour cette musique des années quatre-vingt (n'a-t-il pas lui même joué de la batterie dans sa jeunesse?...). Quand la musique est bonne... "Suis-je un amateur de rock? Oui! Non seulement j’adore le rock and roll, mais la musique, la soul, le blues, le reggae, le jazz, Mozart ou Beethoven… mais j’ai vraiment la passion du rock et je l’ai toujours eue." Et de citer un groupe dont il était fan à quinze ans : AC/DC!... Mais, ce serait oublier une autre passion, comme le montrent ses parutions sur sa page Facebook, pour l'Histoire de Majorque à travers les siècles. Avec peut-être la rédaction d'un livre sur le sujet dans quelques années... En d'autres temps, nous l'aurions volontiers classé au rang des Tronches de vin, notamment du fait de cette production de nectars, catégorie vins naturels!...

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Depuis l'âge de vingt-deux ans, soit voilàà peu près deux décennies, Carlos Rodriguez s'est occupé des vignes des autres et notamment, dans un premier temps, de celles de son père, plantées dans le triangle Binissalem-Biniali-Biniagual. C'est là que se trouve la maison familiale et où il vit désormais avec son épouse. C'est aussi à cet endroit que se trouve le coeur de son projet personnel : la création d'un domaine qui ne soit pas uniquement viticole, mais plus une finca, selon le terme local qui convient. Il y aura un vignoble bien sûr - il est en train de greffer trois mille pieds de gorgolassa - mais aussi des oliviers, des arbres fruitiers, des animaux, un verger, des fleurs, des abeilles, "a total biodynamic concept!..." En attendant, le vigneron de Selva expérimente beaucoup grâce aux raisins achetés çà et là, dans plusieurs secteurs de Majorque : Manacor, Felanitx, Pollença, mais aussi Estellencs, près de la côte nord et à 160 mètres d'altitude, où il dispose d'une vigne qu'il entretient depuis quelques années, appartenant à des amis de son partenaire Riginald Ward, néo-zélandais distribuant des vins espagnols au Royaume-Uni depuis vingt ans, devenu un ami fidèle, au cours d'une longue soirée passée naguère dans un bar à vins de l'île!... De plus, à Selva même, il loue des vignes, qui peut-être deviendront un jour sa propriété. Tous les achats de raisins se font un peu au feeling, fonction des conditions du millésime et de la qualité de la vendange. Pour le prensal par exemple, il s'agit d'une collaboration en pleine confiance, une famille de vigneron (père et fils) entretenant leurs vignes remarquablement, pour un partenariat durable.

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Ce projet est donc né en 2015, au moment où il trouve ce "garage" au coeur du village, lui permettant de s'équiper et de s'installer pour donner libre cours à ses envies. 2018 est donc le troisième millésime produit là et les quelques amateurs et professionnels qui ont eu le loisir de découvrir cette douzaine de cuvées n'ignorent pas que Selva Vins est bien né!... Qui plus est, avec cette tendance à l'innovation qui ne manque pas d'interpeller!... Mais, les grands axes de cette production sont frappés du sceau de l'exigence : intervention minimale, avec priorité aux variétés locales, fermentation spontanée avec levures indigènes, aucun additifs oenologiques, doses de sulfites réduites au minimum. Résultat : des vins que d'aucuns qualifient ici "d'audacieux", avec dès le début, les premiers essais, pour certaines cuvées, d'élevage en jarre d'argile majorquine!... A noter que certains vins ne sont guère disponibles, puisque produits dans des quantités très limitées, soit moins de cinq cents bouteilles. L'essentiel de la production est vendu à Majorque ou à Barcelone. Néanmoins, Carlos Rodriguez est ouvert à l'idée d'exporter vers la France. Qu'on se le dise!...

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Lorsque débute une séance de dégustation avec Carlos, on ne sait pas trop où cela va nous mener!... Parce qu'il y a ce qui est en bouteilles et ce qui est en cours d'élevage. Non qu'il faille se lancer dans une comparaison systématique, puisque les éventuels assemblages peuvent varier d'une année à l'autre, parce qu'ici, c'est le raisin qui commande. Ainsi, L'Orange 2017 est un duo de prensal (70%) et de maccabeu (30%), dont la macération et la fermentation ont duré un mois. Des arômes délicats et du volume. Mais L'Orange 2018 est composé de prensal et de giro ros. Actuellement en cuve, il propose une expression très agréable et généreuse. La gamme des blancs est très complète, multiple et variée. Blanco 2017 ouvre joliment la série, avec sa dominante de prensal et de maccabeu, plus un peu de malvoisie, illustrant les différentes origines géographiques des raisins. Premsal 2017 et Premsal Castano 2017 offrent de belles alternatives, gardant chacun leur expression particulière. Giro Ros 2017, élevé sur lies pendant quelques mois, est doté d'une belle personnalité.

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Très joli Clarete 2017, un rosé composé de prensal et de mantonegro , suivi de Clarete 2018, assemblage de prensal et de gorgolassa cette fois. Un vin qui se veut produit dans la plus pure tradition des clarete (clarets) de Cigales. Les deux malvoisies de Sitges en provenance des terrasses d'Estallencs ont également de très beaux arguments : Malvasia 2016 (11,5° et un pH de 6,5) et Malvasia 2017 (13° et un pH de 5,5) sont de véritables gourmandises, avec un équilibre très flatteur. Elles sont élevées pendant neuf mois sur lies. Le pétillant Ancestral rosé, associant callet et mantonegro, est une excellente transition vers les rouges. Le Callet 2016 n'est pas exempt de caractère, avec une agréable rondeur et un joli fruit, tandis que Gargo 2016 (100% gargolassa) élevé en partie en barrique de 500 litres et en cuve inox exprime une belle complexité. Enfin, Rosado 2016, un merlot moelleux titrant pas moins de 15°, nous emmène sur d'autres rives, lorsque l'heure des instants de méditation est venue...

Pas de doute, les débuts de cette nouvelle aventure laissent supposer une prolongation des plus remarquables. Plus que se forger une solide expérience pendant vingt ans, Carlos Rodriguez a renforcé toute sa sensibilité et défriché un chemin de traverse qui vaut bien mieux, sans doute, que certaines routes toutes tracées. Après tout, n'a-t-on pas coutume de dire que, plus que le but à atteindre, c'est le chemin parcouru qui compte le plus... Et même peut-être, les détours pou y arriver!...

Escapade en Centre-Val de Loire

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A l'invitation de Maryline Smith, vigneronne àQuincy et de l'Association Vigneronne des Cépages Rares du Berry et de la Sologne, je me rendais fin avril dans un petit bourg de la Champagne Berrichonne, Sainte-Lizaigne, aimable village de 1190 Liciniens (selon le recensement de 2016), qui connaît depuis une dizaine d'années, une baisse de sa population, malgré les efforts de son maire, Pascal Pauvrehomme, conteur berrichon à ses heures. Située entre Issoudun et le vignoble de Reuilly, la commune parie désormais sur ce qui contribua jadis à sa réputation : la vigne et le vin. D'ailleurs, au moment de la Révolution Française, ne s'appelait-elle pas Vin-Bon?... Et figurez-vous qu'on y trouvait le cépage genouillet sur près de neuf cents hectares!... La petite commune vient d'acheter seize hectares de bonne terre et mille pieds de cette variété ont été plantés pour former la vigne du Clos aux Prêtres, labourée en cette journée par Pauline Fortin et sa jument Caramel. A terme, le premier édile de Sainte-Lizaigne souhaite que six hectares soient plantés dans les meilleurs délais. Il faut dire qu'une véritable dynamique est née depuis quelques années dans la région et la création de cette association de passionnés en 2016, s'appuyant sur ces cépages rares qui ne l'étaient pas naguère. En plus du genouillet, la région proposait romorantin, pineau d'Aunis (également conviés à cette première Rencontre des Cépages Rares), mais aussi gascon, gouget noir, meslier saint françois et orbois, voire tressailler (ou sacy) non loin de là, dans l'Allier, de quoi booster le futur viticole du Centre-Val de Loire.

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Dans son discours de bienvenue, le Maire de Sainte-Lizaigne insiste sur le fait qu'il ne faut surtout pas voir dans sa démarche, une quelconque initiative à caractère passéiste. C'est peut-être le risque, en effet, pour cette petite commune de l'Indre, à moins de dix kilomètres d'Issoudun, sous-préfecture d'origine médiévale, qui elle aussi connaît quelques difficultés du point de vue démographique (et de l'animation commerciale). Mais, cette façon d'illustrer une forme de retour vers le futur permet d'appuyer sur la dimension patrimoniale des trois cépages rares mis à l'honneur à cette occasion. Et qui dit patrimoine ne dit pas forcément chef d'oeuvre en péril!... Même si certains qualifient volontiers ce genre d'initiative de rétrograde et parfois, de contre-productive, il semble, au vu de ce qui se passe dans nombre de pays, que la réhabilitation de toutes ces variétés anciennes soit bien plus qu'une tendance ou qu'une mode éphémère. Il n'est qu'à prendre le temps de découvrir les options prisent par les vignerons de Chypre, des Îles grecques ou des Baléares, par exemple!... Au point que l'on arrive à se demander si notre système d'appellations (que le monde nous envie, diront certains!) n'a pas atteint une rigidité (que d'autres, plus radicaux, qualifieront de cadavérique!) pouvant la mettre en péril, ou freiner l'objectivité de ses responsables et décisionnaires. Ceci dit, rares sont ceux, parmi ces passionnés, à vouloir renverser la table!... Ils préfèrent de loin y poser quelques verres, en vue de passionnantes dégustations!...

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Avant de passer à ce stade pour ce qui est des cépages genouillet, romorantin et pineau d'Aunis, quelques spécialistes et référents en la matière étaient invités à prendre la parole. Le maire avait fait valoir la nécessaire biodiversité, mais aussi le besoin de remettre toute une partie de la population au contact de productions agricoles multiples. Là où les dernières générations ne font le constat que d'une monoculture autour des céréales, le blé principalement, dans un paysage de coteaux parfois, comme c'est le cas autour d'Issoudun, où la vigne était largement présente jadis (pas moins de 3000 hectares), beaucoup réclament la possibilité d'avoir des regards multiples dans leur paysage quotidien. Si truffières et trufficulture ont refait leur apparition dans la région depuis une dizaine d'années, la vigne a donc quelques espoirs de réapparaître, plus qu'au titre de la rubrique de l'anecdote locale dans la Nouvelle République!...

58444953_10218889925097126_6143287243265015808_nLe premier intervenant n'est autre que Benoît Roumet, directeur du BIVC (Bureau Interprofessionnel des Vins du Centre) qui, de façon didactique, rappelle la place des cépages dans le monde du vin, ce qui a conduit certains de ceux-ci à une prépondérance évidente dans moult contrées et ce qui préside à la réintroduction de variétés anciennes. Même si parfois les mots laissent entendre qu'une biodiversité révolutionnaire n'est pas pour demain, on peut supposer que les instances régionales ne sont pas insensibles à ces récentes initiatives. Il faut dire que le Centre-Val de Loire est plutôt bien loti avec quelques cépages déjà présents dans le paysage (romorantin, pineau d'Aunis), ceux-ci ayant démontré toutes leurs qualités depuis quelques années, voire décennies.

Ensuite, c'est àBertrand Daulny de revenir plus en détail sur l'origine des trois cépages. Ce dernier, ancien directeur du Sicavac (Service Interprofessionnel de Conseil Agronomique, de Vinification et d'Analyse du Centre) à Sancerre, connaît bien le milieu régional de la viticulture, ayant eu à répondre à nombre de domaines viticoles, ainsi qu'aux diverses structures locales (syndicat, appellation...), la mission de ce service allant de la recherche au conseil, passant par l'expérimentation, la promotion, la communication et la formation. Néanmoins, l'objectif principal reste la bonne conduite de la vigne, d'amener le raisin à maturité mais, désormais, dans le respect de l'environnement.

Pour l'occasion, il est assisté de Henri Galinié, un archéologue spécialiste de la transition entre l'Antiquité et le Moyen Âge, faisant également autorité en matière d'archéologie urbaine mais qui, depuis sa retraite, se consacre à l'étude historique des cépages du Val de Loire. S'appuyant sur la lecture, voire le déchiffrage, de textes anciens, il n'a pas son pareil pour traduire ceux-ci et ainsi conforter (ou pas!), non sans humour, ce que chacun pense savoir de l'origine et de la lignée des cépages. Dans le milieu, certains le surnomment affectueusement le "briseur de légende"!... Je ne peux que vous conseiller la lecture de son blog Cépages de Loire, complément historique indispensable au Dictionnaire encyclopédique des cépages de Pierre Galet, voire aux recherches sur l'ADN des cépages de José Vouillamoz, détective ès-cépages.

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Photos : La Rabouilleuse d'Issoudun

Pour ce qui est du Pineau d'Aunis, les plus anciennes mentions du cépage remontent à la seconde moitié du XVIIIè siècle. On parle alors d'auny (présent à La Turballe et Guérande en 1755!?), d'aunis ou d'onis (dans le Lochois, en Touraine en 1808) ou encore d'ony. Mais point de nom composé!... En 1845, Alexandre-Pierre Odart, polytechnicien et ampélographe bien connu, "crée à tort, une "tribu" des pinots de Loire suceptible d'être opposée aux pinots bourguignons. Ses confrères de l'époque le contestent quelque peu mais, les noms de chenin noir et de pineau d'Aunis sont restés dans les esprits. La réalité historique impose de plutôt nommer ce cépage aunis." Selon certains, il descendrait du gouais (comme beaucoup d'autres) et partagerait des liens avec le pé de perdrix du Béarn. Originaire du Sud-Ouest, il a peut-être transité par l'Aunis (le port de La Rochelle?), dont il aurait gardé le nom. Simple hypothèse à ce jour. Dans le cas de ce cépage, il n'est pas rare également de lire ou d'entendre qu'il est originaire d'un prieuré d'Aunis, dans le Saumurois (qui n'a jamais existé!) et que son apparition serait liée à Henri III Plantagenêt (qui du coup, serait aussi à l'origine du terme clairet) au XIIIè siècle, expédiant, soi-disant, ces vins en Angleterre, alors que le vin n'existait pas sous cette forme, en tout cas pas sous ce nom, aucune preuve ne l'attestant!... Les légendes ont la vie dure!...

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Et que dire de celle qui concerne le Romorantin?... Présent sur onze communes et soixante hectares environ de l'appellation Cour-Cheverny (qui intégrera cette année le tout nouveau vignoble du domaine du Château de Chambord, sur 7,5 ha), on dit volontiers qu'il serait présent dans la région, à l'initiative de François Ier. En effet, selon un acte de mars 1518, ce dernier "fit venir 60 000 (80 000?) pieds de vigne de Bourgogne (des plants de Beaune, qui sont indiscutablement du pinot noir) pour les faire prospérer non loin du château de sa mère, Louise de Savoie, à Romorantin, d'où son nom."Évidemment, en cette année 2019 au cours de laquelle on célèbre la mort de Léonard de Vinci et le début de la construction de Chambord, il était opportun de fêter également les 500 ans de la Renaissance en Centre-Val de Loire. Il semble que les "synonymes" de framboise dans l'Orléanais et dannery dans le cours supérieur de la Loire (Allier) furent usités dès le XVIIIè siècle et peut-être même dès le XVIIè. Le terme de romorantin n'apparaissant que bien plus tard (première moitié du XIXè siècle), en même temps que sa légende, dont nous aurons inévitablement quelques échos cette année!...

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Photos : Domaine de Villalin

Quant au Genouillet, cher à Maryline et Jean-Jacques Smith, à Quincy, sa renaissance va bon train, autant que la nature le permette. Il serait issu d'un croisement du gouais blanc et du tressot noir. Selon Henri Galinié, "c'est un cépage modeste dont l'origine n'est pas entourée de fables!... Il apparaît dans le Berry au milieu du XVIIIè siècle. Il existe depuis une date antérieure inconnue." Très largement présent dans la région d'Issoudun au moment du phylloxera, il semble qu'il ait disparu suite à cette crise, du fait des difficultés de reprise sur certains portes-greffes utilisés à l'époque et notamment le rupestris. C'est pour cette raison que des cépages hybrides lui furent préférés, ce qui s'avera une décision stratégique locale absolument calamiteuse, du fait de leur interdiction future. La région se tourna donc vers les grandes cultures céréalières. Ce cépage, qui n'en fut pas moins primé lors de l'Exposition Universelle de 1900 à Paris, notamment pour ses qualités supposées de garde, avait donc disparu jusqu'à sa réapparition au cours des années 90, lorsque trois pieds en furent identifiés dans une ferme au lieu-dit Les Bordes, près d'Issoudun. D'abord multiplié et replanté dans le cadre de la vigne conservatoire de Tranzault, dans laquelle pas moins de cent six variétés sont réunies, Maryline et Jean-Jacques Smith se voient autorisés par l'INRA à replanter le genouillet dès 2005. Depuis, cinq hectares sont confirmés, tant à Quincy, que Reuilly ou Chateaumeillant et cette surface devrait être doublée dans les prochaines années. En toute connaissance des difficultés dues au type de porte-greffe, le Domaine de Villalin a donc effectué divers essais sur les portes-greffes SO4 et 3309. Finalement, c'est avec ce dernier que les plantations sont désormais effectives. Au passage, nous suivrons avec intérêt le projet de domaine en cours de création d'Amy O'Reilly, jeune vigneronne qui dispose actuellement de 1,2 hectares à Quincy et Reuilly, également intéressée par le genouillet.

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Au terme de la matinée, une dégustation façon "speed tasting"était proposée aux participants, permettant de découvrir plusieurs millésimes de genouillet et quelques cuvées composées de romorantin (dont celui du Domaine de Montcy, cher à Laura Semeria, la plus Ligurienne des vignerons de Cheverny!) et de pineau d'Aunis. Le soir, un joli repas proposé par l'Auberge de la Cognette de Jean-Jacques Daumy, à Issoudun, était servi pour une centaine de personnes, ce qui témoigne d'un savoir-faire certain à ce niveau de qualité. Après une délectable mise en bouche, se succédaient trois recettes tout-à-fait goûteuses : tartine végétale de lisette au raifort, fraîcheur d'herbes, puis un confit de boeuf et sa mousseline curcuma au pineau d'Aunis, précédant une Dacquoise amande au praliné, sauce Bourbon. Fermez le ban!... Demain, quelques kilomètres de footing vont s'imposer!...

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Pour agrémenter cette longue route en direction de l'Indre, une étape du côté de Cheverny s'imposait. Il faut dire qu'en quittant l'autoroute, on est parfois surpris par la proportion de vignes tourangelles désherbées chimiquement. En plus, à cette époque de l'année, impossible de masquer les choix d'une viticulture conventionnelle. Pour une région qui fait valoir son progrès vers le bio (sans doute incontestable!), on peut dire que cela fait tâche dans le paysage. Pour avoir évoqué cela avec un ou deux vignerons participant à cette journée de Sainte-Lizaigne, adeptes de ces pratiques peu environnementales (c'est peu de le dire et de le rappeler!), on devine que les options commerciales sont déterminantes. Ainsi, ce vigneron proposant un Cour-Cheverny, donc issu du rare romorantin, à moins de dix euros!... Un prix plafond pour ce domaine écoulant une très grande proportion de ses vins en vrac ou à destination du négoce local, se faisant fort de diffuser de médiocres vins sous appellation Touraine!... On peut penser qu'une assistance en matière de commercialisation et de marketing serait utile à certains, la pratique de prix très bas n'étant sans doute pas la meilleure façon de promouvoir son travail et de mettre en valeur la rareté de certains produits.

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Première étape chez Laura Semeria, pour découvrir le Domaine de Montcy, où l'on peut remarquer, de prime abord, une très jolie parcelle de pinot noir se portant à merveille. Pas moins d'une trentaine d'hectares pour cette propriété, qui est en fait l'ancien vignoble du Château de Troussay. Les trois couleurs, blanc (sauvignon et chardonnay), rouge et rosé (pinot noir, gamay et malbec ou plus souvent côt dans la région), sont proposées en AOC Cheverny , le romorantin étant réservé, comme il se doit, à l'AOC Cour-Cheverny. Deux cuvées (blanc et rosé) sont également produites en Crémant de Loire. Quelques vins de cépages de différentes (parfois lointaines) origines apparaissent également dans l'offre. Installée depuis douze ans, Laura a su diversifier les activités du domaine, puisqu'on y fait également des confitures. Les visiteurs peuvent aussi y trouver un hébergement au coeur des vignes et le bâtiment moderne et original permet d'accueillir des réceptions et même des mariages, sans oublier l'oenotourisme, sous forme de balades dans le proche vignoble. Originaire d'Imperia, non loin de San Remo, en Ligurie, Laura Semeria a su donner ses lettres de noblesse (dans ce petit village aux vingt-huit châteaux!) a un domaine passé en agriculture biologique dès son arrivée. Son développement a parfois été motivé par les aléas climatiques, qui ne manquent pas de toucher la région certaines années. Mais, la vigneronne de Cheverny ne manque ni de caractère, ni de détermination et les progrès constatés par les amateurs comme par les professionnels, en à peine plus d'une décennie, plaident en la faveur du Domaine de Montcy, devenu un indiscutable référent de l'appellation et du secteur. Autant que je m'en souvienne, les vins ont toujours proposé une pureté d'expression et une grande élégance.

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Non loin de là, à moins d'un kilomètre, on trouve sans la moindre diffciulté le Domaine Philippe Tessier. Une viticulture paysanne revendiquée sur pas moins de vingt-quatre hectares. Le domaine repris en 1981 par Philippe, fut créé en 1961 par son père Roger. Il semble désormais acquis que le fils de Philippe, Simon, rejoigne l'équipe d'ici les toutes prochaines années. Les vignes apparaissent sur trois communes (Cheverny, Cormeray et Cellettes) et sur quatre types de sol principaux : silico-argileux (sables de Sologne), silico-argileux-calcaire, graviers sur faluns (ancienne sédimentation marine) et argilo-marneux, ce qui motive le plus souvent l'assemblage des vins. Quelques jeunes vignes de moins de vingt ans, mais aussi d'autres pas loin d'être centenaires. Les premières sont enherbées, les secondes labourées et cultivées. Depuis 1998, le vignoble est certifié Ecocert.

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Là aussi, les Cheverny sont proposés dans les trois couleurs : le blanc est majoritairement composé de sauvignon, mais aussi de chardonnay et parfois d'orbois. Le rouge se compose surtout de gamay et de pinot noir, parfois de côt. Le rosé est une association des deux premiers. Comme les précédents, le Cour-Cheverny (100% romorantin) se décline en deux ou trois cuvées, y compris deux parcellaires bénéficiant d'un élevage prolongé en demi-muids et/ou foudre tronconique et cela, selon l'âge des vignes. Certaines années, lorsque les conditions climatiques le permettent, les vieilles vignes offrent la possibilité de produire quelques flacons d'exception : le moelleux Roger Tessier 2015 en est la plus évidente expression, tout comme Les Sables 2008, fort de son acidité assez remarquable ou même le 2005, le plus jurassien des Cour-Cheverny!... En rouge et donc en Cheverny, apparaissent aussi parfois des cuvées 100% pinot noir (Point Nommé), ou gamay (Nota Bene) et même sauvignon en blanc (DéDé).

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Lors de cette période, lorsque le printemps propose quelques belles journées stimulantes pour la vigne, on ne manque pas d'évoquer les risques de gel, parce que parfois, les matinées sont glaciales. En 2017, le père de Philippe Tessier, âgé de 92 ans, disait : "On ne gèlera pas, deux années de suite, cela ne s'est jamais vu!..." Et pourtant... Entre le 19 et le 27 avril se succèdent gel noir (-6°) et forte gelée blanche (-3°à -4°), avec gros givre et grand soleil au lever du jour!... Les tours antigel ont limité les dégâts sur environ cinq hectares, pour le reste 80 à 90% sont détruits. Il ne reste alors aux vignerons qu'à se tourner vers l'avenir, même si l'on sait que l'année va être difficile à tous points de vue... On compte alors sur le millésime 2018, mais d'autres difficultés surviennent : le gel du début mai n'occasionne pas (ou peu) de dégâts, mais cette fois, les fortes pluies de juin provoquent un mildiou sur grappe destructeur!... Ce millésime sera qualifié d'exceptionnel, tant en qualité qu'en quantité, mais le moindre retard dans les traitements aura eu des conséquences très forte. Les vendanges seront précoces (début le 6 septembre, elles le sont de plus en plus!) et permettront de rentrer de beaux raisins, même si certains blancs n'auront pas forcément leur "caractère ligérien" cette année. Ce qui ne nous empêchera pas, de rechercher ces cuvées d'exception, ces trésors que le Centre-Val de Loire cache encore. Précipitez-vous avant que ces vins ne deviennent excessivement rares, au vu de la demande internationale désormais!...

Baléares : Bodegas Vi Rei, paradoxe majorquin

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Lors de mon récent séjour à Majorque et après la découverte de quelques domaines passionnants, aux mains de vignerons artisans, je m'offrais le luxe d'une après-midi touristique, afin de découvrir les calanques de la côte est, signalées dans le Routard et notamment Cala Pi. Dans ce paysage où se succèdent cultures et espaces naturels, quelle de fut pas ma surprise de voir surgir, au-dessus de la végétation, une bouteille façon Bordeaux d'au moins six mètres de haut!... Démarche publicitaire?... Non point! Plutôt une borne gigantesque, posée sur la limite d'un domaine viticole hors normes!... Bienvenue àBodegas Vi Rei!...

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Le lieu s'appelle Sa Bassa Plana. En fait, le bâtiment flambant neuf, construit en 2014, est l'oeuvre de RafaelMunar, architecte majorquin bien connu. Ces installations viticoles sont elles-mêmes situées à quelques centaines de mètres d'une ferme du XVIIIè siècle restaurée pour en faire un lieu de villégiature hors normes, classé"chic" dans le même guide du Routard. Il y est précisé que la propriété s'étend sur 250 hectares et qu'elle est principalement plantée de citronniers et d'amandiers (et sans doute de quelques oliviers!), où même, dans un très vaste enclos, s'ébattent des cerfs. C'est sans compter le vignoble qui s'étend à perte de vue. Selon les sources, il est de quatre vingt cinq hectares, voire même de cent et le tout, d'un seul tenant. En se tournant vers le sud, on distingue le bleu de la Méditerranée, mais là, il s'agit d'un océan de vignes!...

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Dans un article paru en juillet 2014, Andreu Manresa, journaliste pour El Pais, évoque le boom viti-vinicole constatéà ce moment-là aux Baléares. Les exemples sont alors nombreux de nouveaux domaines, aux proportions parfois étonnantes, qui voient le jour grâce à des capitaux étrangers, notamment allemands. Ici, il s'agit plutôt d'une initiative majorquine, puisque ce sont les frères Miguel et Toni Pascual, de Binissalem, propriétaires notamment d'une chaîne hôtelière et "que hicieron su fortuna sirviendo copas a alemanes", qui ont investi dans cet espace remarquable, en défrichant le paysage et concassant quelques cailloux, pour en faire un vignoble tiré au cordeau, propre... absolument propre... malgré la proximité de la mer (deux kilomètres à peine), l'environnement protégé, les faibles pluies et parfois l'amplitude thermique constatée entre jour et nuit.

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En franchissant le portail, largement dimensionné pour admettre des cars chargés de touristes, je ne suis pas certain d'être le visiteur-type pour ce domaine... En plus, pour tout dire, personne ne parle français ici. On peut toujours se vanter et croire qu'on est les meilleurs!... Ceci dit, l'accueil y est tout à fait courtois, très professionnel, même si la charmante personne à laquelle je m'adresse en déclinant ma blog-identité, doit quelque peu faire preuve de persuasion auprès de la responsable de l'accueil, afin de me consacrer aimablement le temps voulu pour un petit tour d'horizon, que les visiteurs solitaires doivent rarement faire. Il faut dire que la dimension commerciale de cet accueil est optimisée, il suffit de consulter le website pour en avoir une idée... Il n'y a que quelques voitures sur le parking en cette après-midi de la fin mars, notamment celles du personnel, sans oublier le petit train véhiculant les visiteurs, passant de leur car pullman au succédané de wagon pullman, sans même avoir à changer de quai. On imagine le nombre de selfies présents sur les réseaux sociaux, pris à bord de cet Orient-Express d'un nouveau genre... Mais, après tout, connaissons-nous de nombreux exemples comme celui-ci en France?... Pas sûr!... D'autant que certains de nos grands crus ferment leur porte à tout visiteur lambda, au point qu'on se demande parfois s'ils ont quelque chose à cacher et que certains passeports sont désormais les bienvenus, en rapport avec la population supposée des pays concernés. Suivez mon regard!...

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Finalement, peu importe de savoir si nous avons là, sous les yeux, quatre-vingt cinq ou cent hectares. Une bonne partie de ces vignes a été plantée en 2012, soit deux ou trois ans avant la construction du bâtiment, ce qui témoigne d'un pragmatisme économique et financier certain. A l'instar des domaines artisans visités pendant la semaine, on me signale la présence de chardonnay, sauvignon blanc, merlot, syrah, cabernet sauvignon et malvoisie, mais l'accent est mis sur les variétés autochtones, à savoir, prensal blanc, giro ros, mantonegro et callet. Certes, Miguel Pascual, le fondateur du domaine, est majorquin, mais là aussi, il semble que la mise en valeur des cépages locaux, soit un axe important, voire primordial pour l'avenir. Ce qui me laisse à penser (suis-je trop indulgent?) que derrière un projet, fut-il gigantesque comme Vi Rei et malgré les contingences économiques d'un business plan que l'on imagine volontiers survitaminé, la passion est bien présente ici aussi. Notons néanmoins, que c'est Ignacio de Miguel, célèbre oenologue espagnol, "disciple" de Michel Rolland, qui a présidéà la création de la gamme et que la winemaker du domaine est Silvia Lazaro, bien connue du côté de Valladolid et en Espagne. Notons au passage que cette dernière, dans un interview radiophonique, n'écartait pas l'idée, en juin 2017, d'une évolution vers une viticulture biologique... Ceci restant à démontrer dans le temps.

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Si la salle de réception est du genre surdimensionnée, les installations ne manquent pas de l'être, avec des halls façon Airbus Industrie. On s'étonne de la dimension de certaines cuves, mais curieusement, du fait sans doute de la présence de palettes de bouteilles destinées aux prochaines mises, certains espaces semblent déjà trop petits!... Finalement, tous les domaines viticoles connaissent ces périodes difficiles, au cours desquelles les manutentions sont compliquées. Sans doute maladroitement (du fait de mon niveau d'anglais), je me risque à quelque plaisanterie, associant dans mon cerveau machiavélique (mais ne suis-je pas devenu un représentant de la Perfide Albion, à force de tenter de parler la langue anglaise?...), la dimension des contenants en inox et la possibilité d'y entreposer les cailloux calcaire du décor, afin d'obtenir une "minéralisation" de certaines cuvées!... Mon guide sourit encore (it's serious or not? bacon or pig?) et finit par me convier à une petite dégustation dans l'immense salle dédiée à l'accueil, les speed tasting... et la vente de souvenirs divers.

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Pas moins d'une petite quinzaine de cuvées sont disponibles, mais seule une petite partie est proposée à la dégustation, rien de plus normal, me direz-vous!... En revanche, le petit en-cas est fort sympathique, avec ses saveurs et ses arômes. Est-il nécessaire de rappeler que toutes les vignes du domaine sont extrêmement jeunes? Tirer des conclusions définitives et formuler un jugement relèverait de la malhonnêteté intellectuelle... et gustative. On peut penser que tout est mis en oeuvre pour produire des vins de qualité"en introduisant les dernières technologies dans les processus de vinifications." C'est simple, donnons quelques années à cette propriété, afin de découvrir dans le futur, ce qui peut donner une âme aux vins de ce cru. Miguel Pascual a placé la barre très haute : "Le but est la restauration et la revitalisation du secteur viticole de la région de Llucmajor." La première région de l'île où, dit-on, les Romains plantèrent leurs premières vignes... Du coup, j'en ai même oublié d'aller voir Capocorb Vell, tout près de là, un site archéologique talayotique, qui fût habité mille ans avant J-C!...

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Ceci dit, Cala Pi valait le détour!... Au loin sur l'horizon, se profile l'Île de Cabrera, la plus grande île de Méditerranée qui soit inhabitée. Elle fut néanmoins de tout temps, une escale pour les navigateurs de toutes origines, phéniciens, carthaginois, romains, byzantins... Dès le XIVè siècle, une forteresse tenait lieu de poste avancé défiant les pirates. Épisode moins connu : après sa défaite en Andalousie en 1808, l'armée napoléonienne fut livrée aux mains des Espagnols et de leurs alliés britanniques. Neuf mille hommes furent envoyés à l'isolement, sur cette île désertique. Seuls trois mille six cents survécurent et revinrent, après signature de la paix en 1814.

Pour conclure à propos du sujet qui nous intéresse, cette découverte met en évidence une sorte de paradoxe entre la production artisanale de quelques vignerons, défendant l'idée de cépages autochtones, de micro cuvées, voire de parcellaires et ces géants apparus depuis à peine quelques années, remplaçant par des options qui se veulent qualitatives, les coopératives d'antan, avec leur bouteille uniforme (je ne veux voir qu'un seul goulot!) et leurs visuels minimalistes. Il s'agit là de marques, comme d'autres créées par certains de ces investisseurs, avec des niveaux de gammes (et de prix!) pour toutes les formes de distribution, que l'on retrouve aisément dans le paysage touristique des Baléares, des supermarchés au coeur des villages aux terrasses ensoleillées des ports de plaisance. Gageons que ces deux mondes sont partis pour tracer leur avenir sur des routes parallèles, même s'ils affichent leur origine commune, en l'occurence, Pla i Llevant ou Vi de la Terra Mallorca. Pas de doute, aux Baléares, il y en a pour tous les goûts et pour toutes les humeurs!...

Henri Duporge, Château le Geai, à Bayas et Guîtres (33)

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Comme les lecteurs de La Pipette aux quatre vins (ou de Tronches de vin) ne peuvent l'ignorer, Bordeaux cache quelques vignerons artisans qui méritent le détour. Quel meilleur moment que la semaine de Vinexpo pour sortir des sentiers battus et découvrir ce qui fait honneur à la diversité bordelaise?...D'autant que la météo fraîche et humide du moment contribue à mettre en évidence la beauté des paysages, mais aussi à freiner le développement de la vigne et des maladies telles que le mildiou, très présent en 2018, dès que les températures se sont élevées. Henri Duporge, installé au Château le Geai en 2000, domaine familial plus connu naguère sous le nom de Château Touzet, a appris à faire le dos rond, après des gels printaniers destructeurs comme ceux de 2016 et 2017, dans une moindre mesure en 2018 et 2019 mais, comme d'autres, il aspire sans doute à une production normale, qui ne serait pas soumise aux caprices d'une météo parfois extrême.

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En découvrant les vignes du domaine situé sur la commune de Bayas et ses coteaux dominant l'Isle, jolie rivière serpentant mollement dans la campagne, avant de mêler ses eaux à celles de la Dordogne sous le tertre de Fronsac et au coeur de Libourne, on qualifierait volontiers cette grosse quinzaine d'hectares de "pépite" du Bordelais. Le vignoble se décline en trois parties assez distinctes. La première autour de la maison appartenant à la grand-tante du vigneron, demeure construite au début du XXè siècle, dont une parcelle est plantée de cabernet franc, mais aussi, au-dessus de la maison, d'un joli coteau exposé sud, dominant la rivière, où l'on retrouve notamment la carménère plantée en 2000, que Henri bichonne particulièrement, cépage si difficile à travailler et à sélectionner, la meilleure variété de celui-ci ne devant pas produire de gros volumes à des degrés élevés, contrairement à ce qui est dit parfois. Le sol se compose pour l'essentiel d'argiles bleues (marnes, issues d'un fer en réduction), une composante plutôt difficile à travailler également, mais dont il est très intéressant de tenter de restituer les caractères, par des élevages attentifs.

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A peine quelques kilomètres à parcourir, pour rejoindre un deuxième secteur, de l'autre côté de la rivière et du village de Guîtres, commune de 1585 habitants (en 2016), où le grand-père d'Henri créa à la fin des années 30, la cave coopérative locale, qui n'a disparu que depuis quelques années. Cette partie lui vient de sa famille maternelle, un très beau coteau là encore de 4,80 ha, exposé est et totalement isolé, dont la pente boisée est entretenue par un petit troupeau de chèvres. Dans la partie supérieure de cet ensemble se trouve le cabernet sauvignon, dans la partie inférieure, le merlot, le tout planté dès 2000 et 2001, dans ces prairies jadis couvertes de vigne, dont le sol est aussi composé des fameuses crasses ferriques (fer en oxydation), chères à certains crus de Pomerol notamment. Un troisième secteur se situe sur le plateau dominant la vallée côté Bayas, très largement planté de merlot, dont le volume est vinifié et vendu en vrac.

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Actuellement, le domaine propose pas moins de sept ou huit cuvées de rouge exclusivement, puisque le sauvignon n'est pas en odeur de sainteté ici, non plus que le rosé!... Mais d'autres vins pourraient apparaître à l'avenir, pur cabernet sauvignon et pur cabernet franc, mais aussi, dès les prochaines vendanges, un blanc de noir issu de merlot!... Notez qu'aux cépages déjà cités, il convient d'ajouter une petite proportion de malbec, variété très présente naguère dans les assemblages de cette partie du vignoble, mais quelque peu oublié depuis.

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Au fil de cette vingtaine d'années, en ce début de XXIè siècle, le vigneron de Bayas et de Guîtres a tenté d'exprimer la libertéà laquelle il aspirait depuis la reprise du domaine familial et la création du Château le Geai, dont le premier millésime est 2003, par forcément un cadeau pour débuter, surtout lorsqu'on s'oriente vers le bio (la biodynamie) et la production de vins naturels, dans le sens d'une utilisation la plus réduite possible de sulfites. Le "sans soufre", pour lequel il opta résolument jusqu'en 2009, lui valut quelques déboires, au point qu'il s'est résolu alors à plus de protection, avant de revenir à ses premières amours dès 2012. Cette liberté revendiquée l'a aussi incitéà choisir des contenants d'élevage différents, comme ces amphores italiennes, lui permettant notamment de pratiquer la technique du marc immergé, sans le moindre remontage, grâce aussi à la mise au point du "glougloutage", dispositif évitant quelques vinifications perturbées, mais surtout autorisant le minimum d'interventions.

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Il faut donc découvrir ces cuvées originales et expressives, telles que Les Argiles de Pauline, assemblage de merlot et de malbec élevé en amphores pendant douze mois (4000 bouteilles), ou encore Ultra Bleue, la dernière née, 100% malbec, qui vient de passer deux ans en barriques, mise dans 1100 bouteilles sans soufre!... On ne saurait oublier la Carménère ou encore Fusion, quelque peu atypique et dédiée à Robert Parker, vinification intégrale en barriques neuves, mise en magnums uniquement, sans soufre, ni filtré, ni collé, avec un petit volume passé en amphore. Pour l'anecdote, tous ces flacons sont cirés et tamponés à la main, histoire de souligner le sacerdoce absolu et la passion non moins absolue du métier de vigneron!...

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Pour vous permettre de faire un tour d'horizon plus complet de la production du Château le Geai, il vous reste l'option de participer au salon de l'ami Antonin Iommi-Amunategui, avec Rue89 Bordeaux et Nouriturfu, Sous les pavés la vigne, qui se déroule donc à Bordeaux, les samedi 25 et dimanche 26 mai 2019, pour la troisième année consécutive. A ne pas manquer!... Et n'oubliez pas d'aller voter!...

Irouléguy, Domaine Bordatto, à Jaxu (64)

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Lorsqu'on quitte Saint Jean Pied de Port (et ses randonneurs sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle), en allant vers le sud, l'est, l'ouest ou le nord, on a parfois le sentiment de pénétrer un monde nouveau. Et lorsque le bleu du ciel des montagnes se mêle aux couleurs du drapeau basque qui fassaye dans la brise des pentes, vous ignorez alors si vous allez avoir le privilège de percer les secrets du pays mais, en prenant un peu votre temps, en goûtant aux vins, aux cidres et aux produits locaux, vous devinez que votre séjour est sur la route des légendes, celle des cimes vertes et des vallées mystérieuses. Ici, aucune rencontre n'est anodine. Écoutez la langue basque chanter le nom des montagnes : Oylarandoy, Jarra, Munhoa, Itchachéguy... Asseyez-vous et reprenez un peu de ce vin de pomme, accompagné de truite de Banca... Pas de doute, vous êtes... ailleurs!...

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Premier rendez-vous, lors de ce séjour, avec Pascale et Bixintxo Aphaule, au Domaine Bordatto, à Jaxu (Jatsu en basque). Pas à proprement parlé des inconnus pour les amateurs et lecteurs de Tronches de vin, puisqu'ils figurent en bonne place dans le tome 2 du célèbre guide paru en 2015, un des co-auteurs, Olivier Grosjean, ne manquant pas une occasion de traverser la France, pour faire quelque séjour ici, de temps en temps.

Pascale et Bixintxo, tous deux natifs de Saint Jean le Vieux, un peu plus bas que Jaxu, où ils vivent aujourd'hui, ont une formation d'oenologue, les prédestinant à la production de vin. Mais, en 2001, au moment de s'installer, les vignes sont rares dans cette région d'élevage. Moins d'un hectare de tannat, en appellation Irouléguy cependant, est disponible. Pourquoi ne pas se tourner vers la pomme, "histoire de faire quelque chose à boire"?... "Le vin, c'est pour la récré!" ajoute Bixintxo, non sans humour. Un bon moyen de positiver face aux difficultés. A ce propos, je ne peux que vous recommander la lecture de leur "Petite et véritable histoire de la pomme et du cidre", sur leur site internet!... Où l'on apprend que la recette du cidre, forcément basque, fut échangée naguère en Normandie et en Bretagne, contre un peu de beurre et trois crêpes!...

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Les pommiers ont donc pris immédiatement, une part importante dans le projet. Il était alors assez facile de trouver des pommes à ramasser dans le pays, même s'il s'agissait souvent de pommes à couteau. A force d'une observation patiente, ils dégottent des vieux vergers, parfois des arbres isolés dans les haies ou dans le paysage, qui sont riches de variétés locales : Anisa, Eztika, Eri Sagarra, Mamula et tant d'autres, aujourd'hui pas moins d'une trentaine, classées dans une dizaine de familles selon les périodes de maturité (entre fin septembre et mi-novembre), la forme de l'arbre, la souplesse des bois... Encore, faut-il préciser que toute cette classification est à relativiser, du fait des sols changeants et des vallonnements. On est ici sur ce qu'on peut appeler le "vieux socle pyrénéen", avec ses schistes noirs, la pierre carrée, les vaines de dolomies, les ophites ou les grès rouges... Bien sur, les greffages, surgreffages et nouvelles plantations s'en suivent. Désormais, ils disposent de quatre hectares de vergers et de deux hectares et demi de vigne, y compris un et demi hors AOC, planté de marselan (croisement de grenache et cabernet sauvignon) en 2015 et 2016, inspiré quelque peu par l'Uruguay ou Fronton.

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Mais, ce qui caractérise peut-être le plus le Domaine Bordatto, c'est une tenace volonté de partage, avec les amis, les visiteurs... Le sous-sol de la maison est aménagé en une grande salle de réception, ouvrant sur un verger et la montagne alentour. Là, au Bistrot Paysan, vous pourrez découvrir une gamme passionnante de cidres, de vins de pommes et de vin d'Irouléguy. En même temps, Bixintxo ne manquera pas d'évoquer les personnages issus de la mythologie locale, qui font partie, bien plus qu'on ne le pense, du quotidien des habitants : le souffle d'une brise devant l'entrée d'une grotte, un outil qui casse, la fraîcheur d'une boisson appréciée au pied d'un arbre vénérable... Il se trouve que, par le plus grand des hasards, je viens de retrouver dans un placard, Contes et Légendes du Pays Basque, mon Prix d'Entrée en 6è, millésimé 1967 (lorsque j'étais un bon élève!), oeuvre de René Thomasset, qui y présente Michel le Basque, Chiquito de Cambo et d'autres personnages incontournables du pays. A l'époque, ce fût la récompense la plus opportune qui soit, puisque les vacances à venir allaient se passer entre Cambo et Hasparren!... Là même où deux frères de mon âge, dans une ferme d'Urcuray, m'initièrent à la pelote basque à main nue et ne manquèrent pas de me convier à une activité prisée des petits Parisiens de passage : la chasse au dahu!... Peut-être un peu comme celle que Pascale et Bixintxo proposaient voilà peu aux touristes, à l'occasion des Balades nocturnes, lanterne en main, histoire de déambuler dans les chemins à la nuit noire et peut-être croiser Laminak, Basajaun ou Basandere...

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Dégustation dans la bonne humeur comme il se doit et entrée en matière singulière avec Txalaparta, un vin de pommes (deux variétés), élevé en partie en barriques (de Jurançon à partir de 2004) et en partie en amphore (à compter de 2017). Après un lent pressurage, débourbage, puis fermentation alcoolique en barrique pendant cinq mois, levures indigènes. Bâtonnage des lies fines. Pas de prise de mousse, ce qui le différencie d'un cidre. Un léger perlant peut apparaître, mais pas de reprise de fermentation. Les millésimes les plus riches sont plus vineux et tranquilles. Peut-être bien le porte-étendard du domaine, mais pas de doute, une très belle réussite que l'on peut mettre sur la table tout au long du repas.

Ensuite, les deux cidres : Basa Jaun, un brut sec, composé d'une vingtaine de variétés, selon les années. Le nom de la cuvée, c'est celui de l'homme sauvage de la montagne, dans la mythologie locale. Celui qui élève la voix parfois, mais qui fait les travaux du verger. Le second, c'est Basandere, la dame sauvage. C'est toujours une jolie fille qui vit à l'entrée de monde souterrain (les gouffres sont nombreux dans la montagne!). Au Pays Basque, la maison est sacrée dans la culture locale. Elle est tenue par les femmes, "qui s'entendent parfois avec les charpentiers, pour composer les mariages!" (sic). C'est fruité, très agréable. "Avec Basandere, on se fait toujours avoir!..."

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Mokofin est un vin de pommes moelleux, avec 7° d'alcool et 75 gr de SR. C'est le nom qu'on donne ici, aux fines gueules qui se lèchent les doigts et trient leur assiette. Il est issu de pommes tardives surmûries, ramassées par terre, voire flétries par les premiers froids de l'hiver, qui ouvrent la palette aromatique des fruits. Premier millésime en 2014, mais pas en 2018, année précoce, mais au cours de laquelle, la froidure automnale fut absente. Ici, la fermentation s'arrête d'elle-même. Pas besoin de soufre sur la pomme, même si on peut en mettre un gramme ou deux à la mise en bouteilles. Un vin qu'il faut goûter avec les truites de Banca, relevant encore ses arômes de coing et de caramel au beurre salé!... Quelques mots à propos de Bihotz (jeu de mots pour le coeur ou double froid) ramassé fin décembre, avec passage au froid, pour une forme de cryo-extraction, grâce au gel du jus après le pressoir. Il s'agit d'une fermentation oxydative, en barriques non pleines et ouvertes, mais sans voile jurassien!... On cherche ici moins l'acicité que les tannins. Étonnant!...

Côté vin (la récré!), un rappel rapide précise quelles sont les difficultés inhérentes à la région. Le week-end précédent notre passage, pas moins de 175 mm de pluie sont tombés en deux ou trois jours. On note 1500 mm en moyenne chaque année et plus de 2000 en 2018!... L'Irlande française!... Les pluies sont plutôt concentrées au printemps, avec des orages estivaux apportant aussi de grandes quantités d'eau, entre des périodes qui peuvent être très chaudes. "On vit un peu avec le mildiou ici!..." L'an dernier, nombre de petites vignes, dans les jardins, ont été arrachées, tant elles étaient atteintes, aux yeux de leur propriétaires!... Même les tomates sous serres eurent à subir l'ambiance quasi tropicale!...

Après avoir cherché des petites parcelles dans les environs, souvent plantées d'hybrides, Pascale et Bixintxo ont donc opté pour la plantation de marselan, sensé mieux résister aux maladies. C'est désormais la cuvée Auzo Ona (le bon voisin, en basque) sorte d'intermédaire au cours du repas, façon "vin de picole" entre le cidre et l'Irouléguy, composé lui de tannat. Peu disponible en ce moment, du fait d'une coulure dévastatrice en 2018. Le pur tannat lui, c'est Lurumea (le petit de la terre), un joli vin soyeux et structuré malgré tout, comme il se doit avec ce cépage. La dernière gourmandise, c'est Joko!... Issue de la même parcelle, cette sélection est destinée à la réalisation d'un rouge moelleux particulier. En effet, la vendange est éraflée, la maturité phénolique doit être optimale. Jus muté sur marc avec une eau de vie de cidre, selon une "recette" particulièrement attentive, inspirée sans doute par une divinité locale quelque peu... joueuse!... Imaginez les accords avec fromages à pâte persillée et chocolat!... Une superbe série donc, dans un domaine à ne pas manquer, si le PaysBasque est inscrit sur votre carnet de voyages, ou s'il est une option très envisageable pour vos prochaines vacances!... D'autant qu'Irouléguy cache encore quelques pépites, telles les cuvées blanches de Battitt Ybargaray et de Paul Carricaburu, domaines vivement conseillés par Bixintxo Aphaule, que vous pourrez découvrir ici prochainement!... A suivre!

Irouléguy, Domaine Xubialdea, Battitt Ybargaray, à Lasse (64)

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Pour trouver Battitt Ybargaray, il faut partir vers le sud, laisser le petit village de Lasse sur la droite, suivre le cours de la Petite Nive et mettre le cap sur Roncevaux et l'Espagne. A guère plus de quatre cents mètres de la frontière, une petite route vous mène à Erratchuenea. Une ferme proche d'un petit torrent, vous y êtes!... Nous sommes là en Basse-Navarre, pas très loin de la forêt d'Iraty, séparant cette partie là du Pays Basque de la Soule, le pays de Mauléon. On dit que les grands seigneurs de Navarre et de Castille fichaient une paix royale aux vicomtes de Soule, protégés qu'ils étaient par leurs montagnes... et par leur sale caractère!... Une légende, indiscutablement!... En découvrant ce paysage sous mes yeux, j'ai une pensée pour le Rallye des Cimes, institution soulétine, créée au début des années cinquante. Il s'agissait bien d'une course automobile, qui réunissait alors les bergers du crus, lancés dans une compétition les regroupant au volant de leurs jeeps, sorties tout droit de la Seconde Guerre Mondiale et du Débarquement!... C'est Sauveur Bouchet, maire de Licq, qui est alors à cette initiative, l'un des buts étant de montrer le besoin de désenclaver la région!... Des chemins improbables, que seuls les moutons et les brebis parcourent, des pétarades dans la boue des orages, des paysages à couper le souffle et un groupe de bergers intrépides, refusant alors de mettre le casque, parce qu'il les empêchait de garder leur béret!... Et tout finissait par des chansons lors d'un grand bal public, le dernier jour!... Vous avez dit nostalgie?...

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Au coeur de l'appellation Irouléguy, qui compte environ 240 ha classés en AOP, se trouvent quelques micro-domaines comme le Domaine Xubialdea. De l'artisanat absolu, qui se construit à la force du poignet et avec de bonnes jambes!... Il y a une dizaine d'années, lorsque son oncle décède accidentellement, Battitt se propose pour reprendre la ferme, même si son métier premier est bien la vigne. Mais, il s'agit alors de prairies (bio) et d'un troupeau de brebis laitières, qu'il gardera jusqu'en 2015, malgré le surplus de travail et les difficultés pour conjuguer le tout. Il créé néanmoins le domaine dès 2008, arrache quelques vignes familiales et plante en trois ans le seul hectare dont il dispose (plus 24 ares non loin de là, destinéà la production d'un moelleux, quand c'est possible), sur un superbe coteau exposé sud-sud-est, avec 50% de petit manseng et 50% de gros manseng (à eux deux, 17% de l'appellation, en 2016, avec un peu de petit courbu). Le sous-sol est principalement composé d'ampélites très riches (schiste noir), voire même de quelques filons affleurants de celle-ci, eux-mêmes riches en aluminium, posant parfois des problèmes pour le gros manseng.

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Particularité de cette vigne, une plantation à 10 000 pieds/hectare. Cette décision fut prise sous le seau du pragmatisme et d'une logique liée à la bonne connaissance du lieu. D'abord la richesse du sol, qui nécessite de bien canaliser la plante et qu'une telle densité peut permettre, même si l'enherbement total y contribue également. Ensuite, une certaine prévoyance, au vu et au su des éventuelles difficultés climatiques. En cas de catastrophe soudaine, Battitt espère sauver une part non négligeable de raisins. Ainsi, en 2018, la pluie du printemps, sévère et durable, a déclenché une coulure très importante, si bien que 40% des pieds étaient vides!... Ce qui ne l'a pas empêché de produire à hauteur de 27 hl/ha. Les travaux à la vigne sont pratiqués au moyen d'un chenillard ou d'un treuil (câble et canadienne), parfois à la main, pour ce qui est de la tonte et du passage du rotofil (dont le vigneron est désormais expert!) au moins six fois à l'année, "ce qui est excellent pour renforcer le haut du corps"!...

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Depuis quatre ans, le vigneron de Lasse pratique une complantation par sélection massale, dans le but de remplacer les pieds qui meurent, notamment avec du petit courbu (difficile à garder sain jusqu'au bout), mais aussi pour "mélanger" les cépages dans la parcelle, appliquant au passage les préceptes de Deiss en Alsace, croyant à la notion de "photo du lieu à un instant T". D'une manière générale, les vendanges, au cours desquelles tout est ramassé en même temps, sont plutôt tardives (vers le 20 octobre), alors que plus bas, d'autres, tel Paul Carricaburu, récoltent un mois plus tôt. Nous sommes ici dans un climat de montagne, avec des hivers froids et une exposition à dominante est, provoquant des nuits fraîches même en été, ceci étant renforcé par la présence des torrents dévalant de la montagne. A noter qu'en 2017, la parcelle fut vendangée dans des conditions rares et optimales. Pendant une semaine, le froid du matin était remplacé, dès la mi-journée, par un vent de sud rentrant pour la durée de l'après-midi (effet de foehn?). Au final, forcément un grand millésime!...

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Le temps passé ici, au coeur d'une journée ensoleillée de printemps, permet de mesurer à quel point cet espace est protégé, naturel. Dans la vigne, chaque année, sept ou huit couples de chardonnerets nichent entre les fils. Le reste des terres de la ferme est désormais loué, sous forme de bail de carrière. On trouve là un maraîcher bio et un éleveur de poules et de porcs bio également, comme il se doit. Depuis quelques temps, une maison proche de la seconde parcelle a été vendue à un boulanger proposant du pain au levain bio. Une production pas si éloignée de la vigne, puisque Battitt envisage de remplacer deux rangs de petit courbu, s'il ne donne pas satisfaction, par des raisins de Corinthe qui, une fois séchés, permettront au boulanger de proposer de succulents pains aux raisins!... Déjà que son pain aux figues bio...

Après avoir travaillé quatre ans dans le Bordelais et deux années au Domaine Arretxea, chez Michel et Thérèse Riouspeyrous (sur le point, d'ailleurs, de passer la main à leurs enfants!), indiscutables fers de lance de l'appellation et phares de tous les jeunes vignerons passionnés du cru, Battitt Ybargaray ne manque pas de projets. Parmi ceux-ci, défricher et aménager le haut de la parcelle, afin d'y planter du savagnin sur échalas!... Inspiré par Luc de Conti, au Château Tour des Gendres, qui en aurait planté un hectare, il devrait prochainement mettre en terre les porte-greffes, avant de greffer les bois du cépage jurassien par excellence, d'ici quelques années. "Ce sera mon plan d'épargne : deux barriques de savagnin ouillé, que je commercialiserais une fois à la retraite!..." Et peut-être un vin de voile qu'il associera alors à l'ossau iraty que produit sa belle-mère!... Un fromage de brebis longuement affiné, qu'elle ne présente plus dans les concours, tant elle collectionne les médailles d'or!... J'en vois qui salivent, à la lecture de l'écran de leur ordinateur!...

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La production ne dépassant pas cinq mille bouteilles, cuvier et chai se résument à la plus simple expression. De quoi faire du sur mesure, selon le millésime. La fermentation se déroule en cuves inox, au terme de laquelle il ajoute une très petite dose de sulfites, puis plus rien jusqu'à la mise. Bâtonnage sur lies totales, y compris pour la barrique de 400 litres, utilisée uniquement dans le cas d'années mûres et rondes. Pour les millésimes qui se caractérisent par une bonne tension et de la finesse, seul l'inox est utilisé. L'élevage dure onze mois, la mise en bouteilles intervenant à l'automne. S'interressant à la biodynamie (le label Demeter étant envisagéà l'avenir, sous réserve d'une baisse significative des doses de cuivre), toutes les interventions sur le vin se font en jours fruit, les vendanges en jours racine, si possible. Actuellement, le vigneron utilise à la vigne des stimulateurs de défense naturelle, tout en pratiquant nombre d'essais.

Séquence dégustation avec Ardan Harri 2017 (pierre à vigne en basque), composée d'izkiriota tipia (petit manseng) et d'izkiriota handia (gros manseng) comme il se doit. Pureté et délicatesse au programme. Remarquable démonstration qu'Irouléguy compte aussi de superbes blancs secs. Le parti pris de garder ce vin un peu plus longtemps (seuls Arretxea et Xubialdea proposent ce millésime à la vente) est un pari gagnant. Foncez!... Le moelleux issu d'un franc passerillage (500 bouteilles), Goiz Ala Berant 2017, est doté d'une belle dynamique. Ses 90 g de sucres résiduels étant servis par une belle trame acide et une finale à l'avenant, ou du même tonneau, si l'on préfère!... Pour ce qui est du 2018, il ne sera commercialisé qu'au printemps 2020. Et encore, faudra-t-il peut-être vous rendre sur place!... En effet, la plupart des bouteilles proposées ne franchit pas la Garonne!... Quelques-unes à Bordeaux, à peine six cent à Toulouse et cent vingt sur quelques bonnes tables parisiennes!... A l'export, aucune, la moitiéétant dédiée à quelques professionnels locaux, l'autre partie aux particuliers qui viennent sur place, donc souvent de la région. Il ne faut y voir aucune forme d'idéologie, mais l'emprunte carbone de cette production est très limitée. Parce qu'ici, tout s'appuie sur le pays, ses couleurs, ses habitants, ses montagnes... Ces dernières, Battitt y court dès que possible, de novembre à mars, lorsque la vigne se repose, parce qu'il sait que dès le printemps revenu, il faudra mettre les bouchées doubles, pendant le reste de l'année. Un monde qui vous rend fier, fort mais aussi authentiquement humble. Autant de traits de caractère qui permettent alors de tirer la quintessence de la vigne, comme on peut le constater ici, dès la première visite, qui en appelle forcément d'autres.

Irouléguy, Paul Carricaburu, Espila, à Ascarat (64)

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Comme pour Battitt Ybargaray, c'est Bixintxo Aphaule qui nous conseilla de rencontrer Paul Carricaburu, à Ascarat. Ces dernières années, la presse, locale et même nationale, a évoqué la nouvelle vague de vigneron(ne)s trentenaires qui bouscule quelque peu le landerneau d'Irouléguy. Les domaines à suivre s'appellent Bordaxuria, Ilaria, Gutizia, Ameztia, Bordatto et Xubialdea, entre autres. Les jeunes vignerons reprennent parfois le vignoble familial, notamment pour sortir de la coopérative, ou mieux encore, en créent un nouveau de toutes pièces. Mais, à Ascarat, Paul Carricaburu qui, avec 2018, propose son premier millésime, aurait pu être leur professeur, au lycée agricole de Saint Palais. Une activité qu'il met petit à petit de côté, pour consacrer plus de temps à la vigne et au vin.

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Avec Paul Carricaburu, nous ne sommes pas, à proprement parler, dans une logique de succession familiale, quoique... Ses petites parcelles qui, pour la plupart, ne dépassent pas trente ares, sont comme les timbres-poste collés sur des cartes postales illustrant le vignoble basque. Les rangs de vigne dégringolent les pentes, comme les longs cheveux de Marianne. Entre Saint-Jean-Pied-de-Port et Saint-Étienne-de-Baïgorry, Irouléguy et ses hameaux sont implantés dans un paysage qui mérite le détour. "Une vue... nom d'une pipe de nom d'un bois!..." réagit ma passagère!... En Euskadi (ou Euskal Herria), il y a les légendes, mais aussi l'histoire. Celle des vallées, celle des villages... Le vigneron d'Ascarat n'en connaît pas forcément tout, se contentant de ce qu'on se transmet dans les familles, la transmission orale ayant parfois ses imperfections, mais pas de doute, lorsqu'un Basque l'évoque avec vous, il entrouvre la porte de sa maison. Avant de parler ou de voir les vignes de Paul, il faut faire connaissance avec Espila, cette noble maison millésimée 1763, comme on le découvre dans la pierre qui domine la porte... et comme on le verra plus tard sur l'étiquette (dessinée par Philippe Sahucq, un ami sociologue ariègeois) de son premier vin, Espilako Xuria 2018. Lorsqu'on fait quelque recherche sur Internet, on apprend que Paul Carricaburu cultive aussi des céréales, des légumineuses et des graines oléagineuses. A ses heures, il est aussi éleveur de pottocks, les petits chevaux du Pays basque. A y regarder de plus près, ne serait-il pas aussi celui qui génère et qui souffle sur les nuages blancs qui volent au-dessus de Sorhueta ou d'Itharaco, tant il semble imprégné de son pays?...

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Vignoble d'Irouléguy

Mais, lorsque l'on sait d'où l'on vient et ce qu'on doit aux générations précédentes qui ont animé la vie de son village, on ne souffre jamais d'un manque d'humilité. Si Paul Carricaburu consent à parler de lui, c'est pour revendiquer son statut de citoyen du monde, que personne n'oserait lui contester, après nombre de séjours sur la planète, notamment pour une ONG installée au Pays basque espagnol, Mundukide, affiliée à MCC (Mondragon Corporacion Cooperativa). Un engagement quasi permanent, presque un idéal.

Au Pays basque, on s'étonne parfois de la couleur des volets de ces grandes maisons typiques. Certains villages ont visiblement choisi une grande uniformité, un rouge foncé dit parfois coeur de boeuf ou évoquant la couleur du piment d'Espelette séché, suspendu dans nos cuisines. D'autres, plus rares, ont opté pour un vert anglais très classe. Mais, la vraie couleur des maisons ne se décode pas de prime abord ou au premier coup d'oeil. Pour cela, il faut pénétrer la chronique locale. Espila, la maison de Paul, celle de sa mère, est rouge, malgré son blanc immaculé. Les blanches (les xuris) qui l'entourent sont celles habitées par des familles proches de l'Eglise, des curés, par opposition aux rouges (les gorris), qui sont des laïcs depuis des lustres, plus proches de l'Est, à certaines époques. C'est Don Camillo à la mode basque!... Inutile de dire que cette première cuvée apparaissant sur le marché, Espilako Xuria, a valeur de clin d'oeil malicieux à Ascarat!... "Espila, xuri ala gorri?... mahainean goxagarri, ahosabaian dantzari mundukideen kantari..." Espila, blanc ou rouge?... agréable à table, il danse dans votre palais au chant des citoyens du monde...

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Si la maison fait référence à la femme dans la culture basque, la vigne, c'est davantage l'affaire du père, même lorsque la mère participe à la plantation. La première parcelle que nous découvrons, c'est Mahastittipia (petite vigne en basque). "C'est la terre de mon grand-père, la seule parcelle qui m'appartient!" confie Paul Carricaburu. Trente ares et 1200 pieds de petit manseng, plantés à 5000 pieds/hectare en 2008 (la plus ancienne!) par des amis, en son absence!... En effet, à ce moment-là, le vigneron d'Ascarat est en Guinée Équatoriale. Son séjour en Afrique est entrecoupé de petites séquences au pays. En mars 2008 donc, il rentre pour planter cette vigne, mais impossible, tant il pleut pendant une semaine. Finalement, ce sont quelques amis qui s'y collent, lorsqu'il est obligé de repartir. Quel symbole, là aussi!... Ici, nous sommes sur des grès ou faciès lapitza.

Seconde parcelle visitée, Sorhueta, lieu-dit du village d'Irouléguy. Plantée en 2009, elle couvre environ soixante ares où sont plantés 1300 pieds de petit manseng et 1300 de petit courbu, à environ 5500 pieds/hectare. Nous sommes là sur des argilo-calcaires et un sous-sol composé de dolomies ou dos d'éléphant (l'Afrique n'est jamais très loin!...).

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Photos : Paul Carricaburu

A suivre, Uhaldia, nom d'un lieu-dit également. Trente ares plantés en 2013 de 1600 pieds de gros manseng, à 6500 pieds/hectare. Ici, nous sommes sur une roche volcanique, l'ophite de Keuper, selon le terme exact. Enfin la quatrième, la plus pentue (parfois 80% au Pays basque!) s'appelle Itharaco. Trente ares encore, plantés en 2010 de 1500 pieds de gros manseng. Nous sommes là encore sur des grès dits faciès lapitza. Particularité : elle est visible de la maison, montrant la pente extrême, histoire d'en capter toute la difficulté. Selon le vigneron, il est probable que celle-ci figure stylisée sur l'étiquette du vin dessinée par son ami.

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Depuis quatre à cinq ans, le domaine est passé en bio, 2019 étant l'ultime année de conversion et l'année du premier millésime labellisé AB. Depuis 2010 et jusqu'en 2017, Paul a vinifié et élevé l'équivalent d'une barrique, témoin de chaque millésime, avec des fortunes diverses. Le reste des raisins étant vendus au Domaine Brana, qui composait alors une cuvée particulière, la vinifiant à part, dans le cadre de son activité de négoce, Albedo. Avec 2018, il entre dans la cour des grands!... Il a fallu s'équiper, de cuves inox notamment, faire des choix, décider de l'assemblage, même si l'avis de quelques autres vignerons (curieux!) et amis a permis de choisir le chemin. Cette première cuvée est composée de 70% de petit manseng (50% sur grès, 50% sur argilo-calcaire), 20% de petit courbu sur argilo-calcaire et 10% de gros manseng sur ophite de Keuper. On peut dire que le cocktail a quelque chose d'explosif, puisque certains des confrères n'hésitent pas à le mettre très haut dans la hiérarchie des blancs d'Irouléguy de l'année!... Au point d'ailleurs que la cuvée est citée dans la RVF de ce mois de juin 2019, le seul blanc avec l'un de ceux du Domaine Arretxéa!...

N'ayez crainte! Tout porte à croire que Paul Carricaburu n'est pas homme à perdre la tête à cause d'un premier coup de maître!... Lui, comme d'autres vignerons sur place, sait bien que les difficultés peuvent surgir, surtout lorsqu'on fait le constat des conditions climatiques du moment : des tombereaux de pluie sont tombés depuis notre passage, avec un fort vent du sud plutôt inhabituel... Si la fleur devait se passer dans de telles conditions, le millésime à venir serait bien compromis. Nul doute que les personnages de légende de la mythologie locale vont prendre sous leur aile la douzaine de vignerons (et les quarante-cinq regroupés dans le cadre de la cave coopérative) qui, sur le territoire de la quinzaine de communes de l'appellation apparue en 1970, portent haut l'étandard de la vigne et du vin basques. Pour le reste, conservant juste ce qu'il faut de sérénité et d'humilité face aux évènements climatologiques, le vigneron d'Ascarat se replongera volontiers dans la lecture de la bande dessinée d'Étienne Davodeau, Les Ignorants, dont il est un fan absolu!... Gageons peut-être, qu'il aurait même bien aimé jouer le rôle de Richard Leroy dans cette aventure!... Au nom de l'humanisme dont il sait faire preuve, sa modestie dut-elle en souffrir.


La Paulée de l'Anjou 2019 : de la Coulée aux Greniers

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Une semaine de canicule sur la France n'a pas freiné l'enthousiasme des quelque cinq cents invités et participants de la 8èédition de la Paulée de l'Anjou!... Pourtant, chacun admettait, en ce dimanche 30 juin, que les températures extrêmes des deux jours précédents auraient pu sans doute perturber son bon déroulement si, d'aventure, elles s'étaient confirmées... Pensez-donc! La découverte pédestre du célèbre Clos de la Coulée de Serrant, "grand cru" ligérien, imposait eau fraîche et brumisateur, voire chapeau de paille ou ombrelle... Sportif et propice àévacuer quelques toxines!... Avant même de passer aux choses sérieuses et de déguster les vins de plus de cinquante domaines de l'Anjou noir et de l'Anjou blanc, dont une bonne partie issue de ce que l'on a coutume d'appeler plus précisément le Saumurois. Mais, tous fans de chenin!...

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Le traditionnel rendez-vous de la Paulée de l'Anjou noir a donc pris un audacieux tournant dans sa récente histoire, puisque la réunion au caractère très champêtre de ces dernières années, au cours de laquelle cent, voire deux cents personnes d'un panel assez large, allant du journaliste spécialisé au bon client amateur, se retrouvaient autour de quelques jolies cuvées et un cochon grillé, souvent accompagné de légumes anciens, a muté en un raout quelque peu mondain, ou nombre "d'influenceurs" internationaux se devaient d'être présents. Il faut dire que cette Paulée faisait figure d'entrée en matière opportune, voire de mise en jambes quelque peu physique, papilles comprises, au 1er Congrès du chenin (CBIC, Chenin Blanc International Congress, comme on dit dans la langue des plus éminents dégustateurs anglo-saxons!) se déroulant à Angers, du 1er au 3 juillet. Que tout le monde ait apprécié ce changement de paradigme, c'est une autre histoire, mais le chenin, cépage des plus remarquables et les vins de la région, dont certains peuvent certainement prétendre au sommet de la hiérarchie gustative, méritent bien ce genre de grand'messe. D'autant que l'initiative, rappelons-le, en revient voilà sept ans, à un groupe de vignerons passionnés et militants, ayant petit à petit laissé de côté ses divergences, pour faire valoir toute sa diversité et entretenir l'idée même de la biodiversité devenue la préoccupation d'un plus grand nombre.

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A la demande des vigneron(ne)s du cru eux-mêmes, un homme nouvellement arrivé dans la région (et déjà adoubé par ses pairs ligériens, semble-t-il!) pouvait contribuer à ce nouvel élan. Ivan Massonnat, "financier parisien, ambitieux et passionné", selon la description qu'en fait le journal régional Ouest-France du 29 juin, en avait la carrure, même si de toute évidence, il ne tire pas dans la même catégorie (sportivement parlant!) de celui qui l'a convaincu de poser et d'exprimer sa passion du chenin. En effet, depuis quelques semaines, Ivan Massonnat a repris le Domaine Pithon-Paillé et du même coup le Coteau des Treilles, cher àJo Pithon, admirable cru connu pour sa pente vertigineuse composée de roches volcaniques, spilites et grès, voire poudingues carbonifères!... Et même, au passage, quelque dix hectares du Domaine Laffourcade situés en appellation Quarts-de-Chaume. Un véritable défi, surtout lorsqu'on tient compte des difficultés àécouler ces grands liquoreux du Layon!... L'ensemble est devenu le Domaine Belargus, tirant son nom d'un petit papillon bleu présent dans la réserve naturelle du Pont Barré toute proche. L'homme ne manque certes pas d'ambition, ni d'enthousiasme, puisque lors de son discours, au moment de l'apéritif au Musée Jean Lurçat, à Angers, Ivan Massonnat faisait part de deux scoops à l'auditoire : l'organisation de la prochaine Paulée, en 2020, dans le cadre du Saumurois, notamment à l'Abbaye Royale de Fontevraud, haut-lieu du tourisme régional, mais aussi richesse incontestable du patrimoine ligérien et sans doute, d'un épisode new-yorkais pour cette même Paulée de l'Anjou!... Une sorte de nouvelle conquête de l'Ouest, ce qui peut se révéler tout à fait opportun, tant la demande de vins blancs secs de la Loire semble croître de façon quasi exponentielle outre-Atlantique, dit-on!...

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Après un petit parcours Angers-Savennières effectué en car (ceci évitant le stationnement de dizaines de véhicules sur le site) et la récupération des badge, carnet de dégustation, bouteille d'eau et chapeau de paille pour ceux qui le souhaitaient, de petits groupes se sont aventurés dans le cadre remarquable de la Coulée de Serrant. C'est Nicolas Joly qui présente le lieu, avec toute sa dimension historique incontestable. Il rappelle les jalons principaux de l'Histoire : 1130, plantation de la vigne par des moines cisterciens installés dans le monastère tout proche et faisant partie de la propriété, puis les trois batailles (sic!) essentielles : 1214, bataille de La Roche aux Moines, opposant Capétiens et Plantagenêts, dont on sait qu'elle n'eut pas vraiment lieu, puisque Jean sans Terre, roi d'Angleterre, vit ses alliés se dérober à l'approche des armées de Louis (qui deviendra pour la postérité Louis VIII le Lion) et de Philippe Auguste, venues libérer la forteresse construite en 1206, subissant un siège impitoyable. En 1592, pendant les Guerres de Religion, elle sera largement démantelée, au point que seule la grande allée de cyprès (dite Cimetière des Anglais), remontant au XIIè siècle, subsiste de nos jours, là-même où se déroulait la dégustation des crus de la région.

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Bien sur, le maître des lieux se devait de nous éclairer quant à la troisième bataille... Elle est en cours, selon lui et pour la définir, Nicolas Joly explique qu'il s'agit de celle que mène "l'agricuture conventionnelle à celle respectant le vivant et le goût du lieu, pour ce qui est des vins", théorème que les vignerons présents ici ont adopté sans rechigner. Il nous explique au passage que pour savoir si un vin exprime sa terre et son lieu d'origine, il suffit d'ouvrir une bouteille et d'en consommer un petit verre chaque jour pendant deux semaines. S'il reste le même, voire s'il s'améliore sur la durée, vous serez là en présence d'un flacon qui exprime "les forces ventrales du vin"!... On peut dire qu'il s'agit là de vivre la passion vineuse avec ses tripes!...  Mais, l'heureux propriétaire du célèbre cru de sept hectares qui, avec 2018, en est donc à sa 888è vendange, évoque aussi, non sans humour et de façon anecdotique, ces jours où il s'équipe d'un détecteur de métaux et se lance à la découverte des témoins du passé, à savoir les pièces qui traversent l'histoire dans les sables et les schistes du domaine, démontrant que le temps n'a pas de prise sur un tel lieu.

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Après cette entrée en matière, la promenade bucolique concoctée par les organisateurs, nous permettait de descendre au fond de la coulée perpendiculaire au lit de la Loire, puis de s'attaquer au versant sud pour atteindre son sommet. Une première pause permit à deux jeunes spécialistes de nous présenter un des auxiliaires du vivant local, à savoir les chauves-souris, très utiles pour lutter contre certains ravageurs (ver de la grappe, ou cochylis). On y apprend que vingt-et-une espèces de chiroptères sont présentes en Pays de la Loire (34 en France, 39 en Europe et 1000 à 2000 dans le Monde), dont la Pipistrelle de Kühl, l'Oreillard ou les Rhinolophes, qui ne sont pas rares dans la contrée. Après avoir hiberné, les femelles se rassemblent en colonies plus ou moins importantes (les mâles étant tenus à l'écart!) afin d'assurer une bonne gestation des petits. Équipées d'une sorte de sonar, elles se déplacent aisément la nuit, afin de se nourrir d'insectes divers, sachant également que ces animaux, pesant entre cinq et trente-quatre grammes, mangent la moitié de leur poids chaque nuit, dans un rayon moyen de trois cents mètres!... Auxiliaires indispensables!...

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A quelques encablures du sommet, c'est Fabrice Redois qui nous proposait une dernière pause, afin d'évoquer le terroir de l'Anjou. Un spécialiste du sous-sol, intervenant régulier lors des Paulées, qui n'a pas son pareil pour aborder le sujet avec humour, mais non sans précision. Rappelant que les pédologues sont bien les spécialistes du sol et donc, plus à même d'aborder la question de la plante elle-même dans son support, il rappelle en quelques phrases et quelques documents ce qui caractérise la région. Les cartes ci-dessous sont celles du département du Maine-et-Loire, la première des mines et carrières, soit la géologie montrant bien la séparation entre le Massif Armoricain et le Bassin Parisien, la seconde étant une carte lithologique simplifiée, qui fait état de la nature des sols de surface. Au-delà, on apprend également que les domaines des vignerons concernés sont situés entre 50 et 100 mètres d'altitude et dans une zone recevant moins de 660 mm de précipitations par an (moyenne nationale : 800 mm).

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Source : BRGM Info Terre

Quelques minutes plus tard, la boucle était bouclée, non sans quelques ultimes efforts, afin d'apprécier comme il se doit l'ombre des cyprès et les nombreux crus à (re)découvrir, chance que n'eut pas Louis XIV lui-même, puisque, dit-on, son carrosse s'embourba, alors même qu'il souhaitait découvrir le lieu!... Après un court passage, non loin de là, au salon très nature de Tim Toigo, de Canon Canon, sympathique bar à vins de Rochefort sur Loire, il fallait rejoindre la noble ville d'Angers souffrant quelque peu des mêmes effets de la chaleur, au point que le Musée Jean Lurçat et les Greniers Saint Jean n'offraient pas la fraîcheur espérée, lorsqu'on franchit l'entrée de tels magnifiques bâtiments chargés d'histoire là encore. La soirée, co-présidée par les célèbres sommelières Paz Levinson et Pascaline Lepeltier, n'en fut pas moins belle, longue et très réussie, les organisateurs de l'évènement ayant mis la barre très haute, pour ce qui est du menu proposé et de la performance de servir un tel repas, dans de bonnes conditions, à cinq cents personnes!...

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En effet, en partenariat avec Yannick Biteau, du Val d'Evre, à Ancenis, ce sont trois chefs étoilés de la région qui conçurent le dîner : Mickaël Pihours (Le Gambetta, à Saumur) confectionnât une entrée en matière succulente, les Langoustines nacrées, quinoa d'Anjou au citron noir et bouillon de couteaux à la grenade, puis David Guitton (La Table de la Bergerie, à Champ sur Layon) proposa son Veau fondant confit 36 heures, morilles, légumes croquants, jus corsé au Cabernet. Une très jolie Ardoise de fromages fut ensuite proposée par Philippe Gireaud (L'Alpage, à Rablay sur Layon), enfin Pascal Favre d'Anne (Le Favre d'Anne, à Angers) apporta sa délicieuse touche avec Le Galet de Loire, abricots rôtis et crémeux Dulcey, en tout point remarquable.

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Comme on peut le voir, tous les ingrédients étaient réunis pour passer un beau dimanche à la campagne!... De ceux qui restent dans les mémoires, portés, qui plus est, par les saveurs et arômes des cépages vedettes de la région, à savoir le chenin et le cabernet franc. Naguère décriés par certains ne jurant que par les pinot noir, chardonnay ou riesling, entre autres, ces variétés parfois connotées ligériennes élèvent désormais le Val de Loire dans la cour des grands, puisqu'on se souvient de leur présence en Afrique du Sud notamment, mais aussi dans d'autres régions de France, voire même d'Espagne, où quelques vignerons passionnés en ont désormais planté!... A l'heure où on se préoccupe des conséquences du réchauffement climatique (réflexion en cours dans nombre de pays du Sud notamment), ces nectars issus des coteaux de la Loire (dont certains opportunément exposés au nord ou à l'est...) sont parmi les mieux armés pour répondre à l'évolution des goûts internationaux. Ce qui laisse augurer d'un bel avenir pour la Paulée de l'Anjou en particulier!...

La Ferme des Cochons d'Antan, à Legé (44)

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Non loin de la D937, ancienne route de La Roche sur Yon à Nantes, entre Les Lucs sur Boulogne et Rocheservière, se situe la ferme de Gaëtan Serenne et de son épouse Marie-Charlotte. Le petit village de La Bézillère abrite donc une exploitation agricole dédiée à l'élevage de cochons et à leur transformation. Mais, pas n'importe quel cochon!... Il s'agit de Porcs blancs de l'Ouest, ou PBO, une des six races rustiques ou anciennes que l'on peut trouver en France, avec le Bayeux, le Gascon, le Basque, le Cul noir limousin et le Corse ou Nustrale. Même s'il est présent dans nombre de départements aujourd'hui, on estime à cent cinquante le nombre de truies (350 kg maxi et 400 à 450 pour les verrats) de cette race, ce qui en fait le plus faible effectif pour les races locales, mais aussi la seule dont la graisse est riche en acides gras poly-saturés, ou oméga 3!... On la reconnaît aussi à ses grandes oreilles tombant sur ses yeux, ce qui ne manque pas de surprendre les visiteurs de passage!...

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Comme vous l'aurez peut-être compris, nous avons découvert la production de Gaëtan en nous rendant sur un marché bio local, avec le but de trouver quelques saucisses et autre pâté de qualité, destinés à notre table, voire à la plancha estivale. Nous n'avons pas tardéà comprendre que le camion quelque peu collector de la Ferme des Cochons d'Antan cachait des petites merveilles de cochonnailles!... Actuellement et jusqu'à la fin de l'année, voire début 2020, les produits proposés sont issus de la race Large White, plus commune, qui va ainsi permettre de mieux comprendre les desiderata de la clientèle et de faire de multiples essais.

marchéL'aventure a débuté en 2018, mais comme chacun peut le deviner, la recherche d'une ferme adaptée n'est pas une mince affaire!... Il aura fallu cinq ans pour que cette opportunité se présente. Finalement, c'est à l'extrémité sud-est de la commune de Legé, juste à la limite de la Vendée, que ce natif de Saint Philbert de Bouaine, non loin de là, va commencer à se projeter dans un avenir pertinent. La ferme en deux parties totalise pas moins de soixante-quatorze hectares, mais seuls trente-trois hectares intéresse le couple. Après une ultime négociation et un heureux concours de circonstance, La Ferme des Cochons d'Antan voit le jour fin septembre 2018, le magasin apparaissant en février dernier.

Bien sur, le projet ne s'arrête pas à la production de saucisses, pâtés et autres jarrets. Les idées de Gaëtan et Marie-Charlotte fourmillent, tant pour ce qui est de la mise en valeur de leur ferme et de leur production, que pour ce qu'on pourrait qualifier de tentative de réconciliation entre les producteurs-transformateurs, notamment ceux attachés à un certain bon sens paysan et les consommateurs, plus particulièrement, dans un premier temps, ceux qui restent soucieux de la qualité de leur alimentation, des soins apportés aux animaux et d'une cohérence nous éloignant de la vision productiviste des dernières décennies.

L'un des objectifs principaux est de concevoir au final une ferme pédagogique, progressivement, à l'horizon de dix ans, selon Gaëtan. Les projets d'aménagements de la ferme elle-même ne manquent pas : aire de pique-nique, allée de boule, accueil des camping-cars, mise en place d'un parcours, tant piétonnier que cycliste permettant au public de passage de découvrir les cochons évoluant en liberté dans diverses parcelles, etc...

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Les difficultés n'en sont pas moins nombreuses, notamment toutes celles liées à la réglementation et aux aspects sanitaires. En effet, depuis quelques temps, une épidémie de fièvre porcine africaine sévit dans le monde entier (en Chine notamment) et il est obligatoire de prendre différentes mesures, notamment dans l'aménagement des bâtiments (pose d'un barreaudage de 1,30 m de hauteur) afin d'éviter tout contact avec d'éventuels sangliers de passage, la maladie se transmettant de grouin à grouin!...

Il faut aussi être en capacité de surveiller l'attitude des truies vis à vis des cochons, les petits ne pesant pas lourd au regard des mères... et des tantes. Les cochons de cette race n'en sont pas moins gentils et familiaux. A la vue de la relation qui s'est établie entre le fermier et ses bêtes, on comprend mieux que l'idée d'un espace de quatre hectares, le bassin-source de la Logne, à proximité de la ferme, soit d'ores et déjà prévu afin que les mères au-delà de cinq ans, lorsqu'elles ne peuvent plus avoir de petits, finissent leur vie paisiblement dans la nature, au milieu de diverses races anciennes de poules, coqs et autres animaux...

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Mais, une grande partie du projet tient également dans une sorte de planification de parcelles permettant aux cochons de gambader dans la nature, mais aussi, à terme de se nourrir. Très vite, des semis de choux, topinambours, navets, citrouilles, maïs et autres betteraves seront réalisés afin que les animaux puissent se nourrir directement dans ces espaces, en suivant un parcours, selon leur âge et ceux à quoi ils sont destinés. Ces parcelles seront séparées par des haies et des arbres, tels que des chênes et des châtaigniers, dont les fruits sont aussi un facteur de qualité des produits finis. Lorsqu'on évoque avec Gaëtan le principe de l'agroforesterie, il préfère l'idée d'une replantation ou d'une reforestation des espaces dont il dispose. On est bien loin d'une agriculture basée sur la monoculture et "l'exploitation" absolue de toutes les surfaces. Il va sans dire que l'ensemble est conduit en agriculture biologique, le label sera disponible fin 2019, du fait des espaces de prairies naturelles dont il a pu disposer dès son installation.

indexLa gestation des truies de Porc Blanc de l'Ouestétant de trois mois, trois semaines et trois jours, ce sont seize petits cochons que l'onpeut voir actuellement (trois étant morts lors de la dernière période de canicule de la fin juin) et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils semblent s'adapter fort bien à leur environnement!... Ils font dès maintenant l'objet d'un suivi très attentif quant à leur nourriture et leur évolution, pratique peu commune dans les différents élevages et à laquelle Gaëtan tient particulièrement. Il en va d'une production de qualité, que l'on pourrait dire optimisée, comme il se doit pour toute production agricole qui se veut viable, intégrée et durable.

Bien sûr, ce projet n'en est qu'au tout début. D'autres pistes sont à l'étude, comme l'adjonction de quelque représentants du porc gascon, très prisé de nombre de consommateurs et fort goûteux, apprécié pour les charcuteries sèches qui en sont issues. Mais, certaines caractéristiques des différentes races, comme la durée d'engraissement (seize mois pour les gascons au lieu de douze pour le PBO) ou celle du séchage (douze mois pour un jambon et quatre pour la coppa du gascon) sont des aspects économiques qu'il est impossible d'ignorer à ce stade. D'autant qu'un élevage attentif et soigné de la race présente à la Bézillière semble en mesure de produire des produits séchés de qualité. Mais, peut-être qu'à terme, cet élevage s'intègrera dans le paysage avec une notion de conservatoire des races anciennes!...

En attendant, si vous passez dans le coin, je ne peux que vous conseiller de consulter le site de la ferme, voire de prendre contact, tous les produits y figurant ne sont pas forcément disponibles, certains ayant, comme il se doit, un caractère saisonnier. Quelques marchés de villages du secteur (Saligny par exemple) accueille aussi le camion de La Ferme des Cochons d'Antan, nul doute que vous pourrez y faire de belles trouvailles!...

Le vignoble de l'Atrie, tel le phénix, avec Elise Hamant!...

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En Vendée, on connaît mieux désormais ce vignoble océanique où les quatre secteurs mousquetaires sont désormais cinq (Mareuil, Brem sur Mer, Pissotte, Vix et Chantonnay). Mais, ce qu'on ignore souvent, y compris sur place, c'est que quelques parcelles de vigne défient le Bas-Bocage, là même ou l'élevage et les cultures céréalières diverses dominent le paysage. Pourtant, en parcourant la campagne, il n'est pas rare de tomber sur quelques arpents, souvent plantés de cépages que les uns et les autres destinent à une consommation familiale ou uniquement circonscrite à quelque fief, un terme repris depuis par les producteurs locaux, mais qui est avant tout, en droit féodal, un "bien concédéà charge d'hommage", ayant pris le sens de "territoire homogène par l'orientation et la nature du sol, convenant à une culture bien définie." Ainsi les fiefs de vigne auraient fait jadis l'objet de concessions féodales. Au passage, on peut dire qu'il serait intéressant, de nos jours, de tenter de recenser ces parcelles aussi diverses que variées. Un travail de longue haleine sans doute, mais qui pourrait nous amener sur la piste de quelques cépages rares ou disparus (cas de la folle blanche de Sigournais), certains hybrides sans doute, mais tous témoins d'un patrimoine local et d'une tradition viticole.

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Seul point commun du Domaine de l'Atrie avec ces vignes éparses que l'on découvre au détour des chemins creux et des routes vicinales, c'est sa non appartenance à l'aire définie par les Fiefs Vendéens. Néanmoins, la plantation de certaines parcelles du domaine remonte à quelques années, voire quelques décennies. Les rouges notamment comptent au moins soixante ans, les blancs étant plus jeunes, puisqu'ils ont remplacé les quelques hybrides plantés à l'origine par Michel Roblin, l'ancien propriétaire et peut-être même Albert Guillet, à l'origine de ce petit vignoble, lorsque celui-ci était travaillé au cheval.

En 2012, Julie Bernard avait repris le domaine, alors même que les vignes étaient sur le point d'être arrachées par l'ancien propriétaire, lassé de chercher un successeur. Pas un cadeau le premier millésime (pas loin d'être le plus mauvais de la décennie!), pour la jeune vigneronne qui s'improvise!... Conversion à l'agriculture biologique, difficulté avec le matériel ("Avant, je n'imaginais pas à quel point on peut tomber en panne dans l'agriculture!..." disait alors Julie), l'isolement ne facilitent pas les débuts, malgré le soutien du CAB (Coordination Agrobioligique des Pays de la Loire), dont Élise s'est également rapprochée. En 2014, sortie d'un joli millésime (dont quelques clients de La Vinopostale se réjouissent!...), avec notamment des cuvées de grolleau (gris et noir) tout à fait réussies. Deux millésimes peuvent lui permettre de se lancer, mais la native des Hauts-de-France va connaître des bas, puisque ses parcelles sont fortement impactées par les gels printaniers de 2016 et 2017. Au terme de l'été, quelque peu dégoûtée, elle loue les quatre hectares du domaine àÉlise Hamant, native de la Côte Chalônnaise, prête à relever le défi.

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Si Julie s'était lancée bille en tête et semblait réaliser une sorte de rêve qui l'éloignait de ses études de lettres classiques, ainsi que de son destin tout tracé d'enseignante, auquel elle n'aspirait guère, Élise a pris le temps de se forger une certaine expérience. BAC agricole généraliste, BTS de gestion et protection de la nature en Haute-Savoie, licence, sa formation lui ouvre quelques horizons. Elle passe ainsi dix années de salariat dans le monde agricole et l'environnement, effectuant quelques saisons dans diverses branches de l'agriculture, travaillant même avec les chevaux (elle est d'ailleurs cavalière). Petit à petit, elle se dirige vers la viticulture, accueillie pendant dix-huit mois par Vincent Caillé, à Monnières, mais aussi effectuant quelques stages (fermentations et vinifications) auprès de Michaël Georget (Le Temps Retrouvé, à Laroque des Albères, dans le Roussillon), excellent connaisseur de la biodynamie et des vinifications naturelles. D'autres expériences successives, notamment auprès d'Olivier Cousin ou d'Eric Dubois, alors au Clos Cristal, sans oublier l'aide de Julie, ne manquent pas de la conforter dans son choix et son orientation.

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A l'Atrie et dans le village voisin de La Chavechère, Elise dispose donc de quatre hectares, deux pour chaque îlot. On y trouve un hectare de cabernet sauvignon et de cabernet franc, un de grolleau noir, un de chardonnay, 75 ares de gamay et 25 ares de grolleau gris. Une petite pointe de sauvignon est destinée àêtre arrachée, de même qu'un secteur en friche dans la seconde partie. Avec ces quatre hectares, la vigneronne propose d'ores et déjà des cuvées monocépages, avec un millésime 2018 très réussi et tout à fait expressif, pour lequel levures indigènes, interventions limitées et emploi de sulfites minimum donnent le la d'une production future intégrant avec conviction la gamme des vins naturels.

67753430_2605877749431674_8714548622802288640_nEn cette matinée, elle accueille un petit groupe d'une dizaine de personnes ayant répondu à l'invitation de la Communauté de Commune Vie et Boulogne et à la parution d'un article la concernant dans le quotidien régional Ouest-France. Elle s'exprime avec une certaine prudence devant son auditoire du jour, évitant de trop marteler ses convictions, même si Julie avait tracé la voie depuis quelques années. Elle parle volontiers de ses choix touchant le travail du sol, qu'elle souhaite intensifier quelque peu et de sa volonté d'apporter des matières organiques (apports de fumiers de bovins bio de son voisin).

Elle affiche l'ambition de parvenir à un rendement de 40 hl/ha dès que possible, n'ignorant rien des difficultés de sa prédécesseure à atteindre la moitié de ce chiffre. Mais, il y a peu de manquants dans les parcelles (à peine 4500 pieds/hectare) et cet été, la vigne apparaît saine, laissant espérer une belle et généreuse vendange. La cueillette étant manuelle, Élise va tenter de rassembler les vendangeurs dès la mi-septembre.

A la vigne, elle a choisi de chausser et déchausser une fois. Elle n'utilise que soufre et cuivre, ainsi que des purins de plantes (prèle, achillée millefeuille, valériane... dont certaines sous forme d'huiles essentielles) et des préparations biodynamiques (500 et 501) en temps utile.

Autre option importante, depuis deux hivers, elle invite un petit troupeau de brebis à brouter l'herbe de ses vignes. Sans doute, parce qu'elles sont de "superbes tondeuses", ainsi que pour leur apport de matière organique, mais aussi dans le souci d'associer le végétal et l'animal dans les parcelles. C'est sans doute une forme d'idéal pour la vigneronne, désireuse de se rapprocher d'une certaine forme de polyculture. Nul doute qu'à terme, un cheval de trait intégrera ce projet dans toute sa diversité. Enfin, comme c'était le cas pour Julie, quelques aménagements s'imposent du côté des locaux, dont la vétusté traduit leur conception ancienne et la difficulté d'utiliser une grange destinée à d'autres usages dans le passé. Mais, pour cela aussi, tout viendra en son temps, la réussite de millésimes successifs donnera un réel élan à la dynamique qu'Élise Hamant veut apporter.

C'est finalement une très bonne chose qu'Elise ait pu succéder à Julie. Ne vous attendez pas, cependant, à la retrouver dans Vigneronnes, aux Éditions Nouriturfu, qui sera très prochainement dans les meilleures librairies, ni même dans le Glou Guide 2, dont les auteurs ne manqueront pas de se préoccuper du vignoble vendéen dans leurs prochains opus respectifs, avec acuité et perspicacité, soyez en assurés et qui paraîtront dans la même quinzaine, avant même que vous n'ayez repris vos quartiers d'hiver. Après tout, y être ou pas, l'essentiel est de déboucher quelques flacons avec plaisir!... Belle fin d'étéà toutes et tous!...

Vendanges 2019 : premiers échos du vignoble

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Les premiers jours de septembre ont pris une teinte quasi idéale pour les vignerons : nuits fraîches, belles journées ensoleillées, avec des températures montant graduellement jusqu'en fin d'après-midi. La météo semble stable, pas de vent et aucune précipitation ravageuse... Mais, parfois, c'est peut-être là que le bât blesse. Pour ce qui est, plus précisément, des (très) faibles précipitations enregistrées pendant cet été, ici où là. Été indien ou pas, certains vignerons vont devoir composer avec un millésime que beaucoup qualifient d'étrange... N'en doutons pas, les disparités seront de mise d'une région à l'autre!...

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Merci tout d'abord à ces vigneronnes et vignerons qui prennent le temps de répondre à mon message. Certains sont au coeur de la cueillette 2019, d'autres dans les starting-blocks, les derniers espèrent une perspective favorable, tant la météo du moment semble solide, rares sont ceux, mais il y en a certainement dans certaines contrées, qui ont terminé.

Dès le 2 septembre, c'est Hélène Thibon, du Mas de Libian, en Ardèche, qui nous communique ses impressions : "Les vendanges ont débuté le 26 août, date normale pour nous. Le gros va se couper cette semaine (36). Ce qu'il faut retenir du millésime, c'est la sécheresse, puisqu'il est tombé seulement 140 mm d'eau depuis le 1er janvier!... Les grains sont tout petits mais très sains. Belle acidité, du fait des nuits fraîches de la fin août. Encore plus fraîches ces jours-ci, ce qui laisse augurer d'une belle maturité sur les grenaches. Pour le rendement final, rendez-vous à la fin des vendanges!..."

69264660_2408421349239780_642399817535848448_nLe même jour, Guillaume Bodin, vigneron auprès de Marie-Thérèse Chappaz, à Fully, dans le Valais, nous donne une tendance quelque peu différente de celle captée dans le vignoble français : "Nous vivons une année assez compliquée en Valais avec, contrairement à nos amis français, beaucoup d’eau… Ce qui est une exception ici dans ce creux de montagne. Nous avons eu deux orages de grêle début août et mi-août, qui ont touché la moitié des parcelles à hauteur de 10-15% sur deux des trois secteurs principaux du domaine, c’est la première année depuis trente ans que Marie-Thérèse voit de la grêle sur vigne en Valais !..."

"Les vendanges s’annoncent compliquées avec des développements de pourriture par endroit, que nous avons limités manuellement avec l’équipe du domaine, la drosophile suzukii fait gentiment son apparition sur les cépages sensibles alors que nous sommes à trois semaines des vendanges mais nous gardons le moral, tout en restant constamment sur le qui-vive… Une vraie année de vigneron où il n’est pas possible de relâcher la pression". Gageons néanmoins que Guillaume trouve le temps d'évacuer quelque peu cette pression en escaladant d'ici-là les superbes voies tracées sur le granite des non moins superbes aiguilles de Chamonix!... Un vigneron qui n'a guère peur du vide, ni de la verticale!... Mais, travailler avec Marie-Thérèse, c'est tutoyer les sommets au quotidien, non?...

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Le 2 septembre également, Virginie Joly, de la Coulée de Serrant, à Savennières, faut-il le rappeler, s'inscrit dans un calendrier mobilisant les vendangeurs au cours de la deuxième quinzaine de septembre. Mais, les aspects positifs de cette phase de météo idéale en cours, ne permet pas d'évacuer les difficultés liées à la sécheresse : "2019, millésime pour le moins intéressant. Nous avons perdu environ 60% de la récolte sur nos parcelles de Savennières, et peut être 10/15% sur les parcelles de Roche-aux-Moines et Coulée de Serrant, globalement moins gélives. Un seul et unique traitement cuprique pendant la saison, du jamais vu, accompagné de 2 traitements au lait (anti mildiou et anti oïdium)!..."

"Une grosse campagne d'arrosage pour les complants par contre, la climatologie était idéale pour les maladies, mais beaucoup beaucoup moins pour la survie des jeunes et les moins jeunes ont subi aussi. Sur les deux mois d'été, un cumul de 20 mm d'eau totalement insuffisant, la situation se débloque un peu avec la rosée et heureusement les nuits fraîches désormais. Prévision de vendange entre le 15 et le 20 septembre, à affiner bien sûr."

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Le lendemain, 3 septembre, Olivier Humbrecht, du Domaine Zind-Humbrecht, présent à Turckheim et sur quelques magnifiques terroirs alsaciens, se montre plutôt optimiste : "Les vendanges s’annoncent plutôt belles en Alsace, après un épisode de fortes chaleurs au printemps et en juillet, nous avons eu des pluies salvatrices à partir de la fin juillet. Les vignes sont bien vertes et ne montrent pas de trace de stress hydrique comme en juillet."

"Les acidités sont encore hautes et la maturité avance à grand pas pour une récolte de taille moyenne à faible selon les terroirs. Le début des vendanges pour les secs est prévu le 12 septembre mais je suppose que cela commencera vraiment qu’autour du 20 septembre pour certainement s’étirer jusqu’à mi-octobre."

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Fortunes diverses!... En ce même 3 septembre, c'est ce que nous inspire le message de Laura Semeria, du Domaine de Montcy, à Cheverny, dans le Loir-et-Cher, patrie du cépage romorantin, cher à François 1er, selon la légende!... Une précédente rencontre, au printemps dernier, avait permis à la vigneronne chevernoise de faire discrètement part de sa perplexité quant aux météos printanières de ces dernières années. Des gels tardifs à répétition, de fortes chaleurs précoces, des précipitations parfois importantes... Au moment de se lancer pour les vendanges 2019, Laura ne semble pas avoir retrouvé sa pleine sérénité : "Les vendanges s’annoncent sèches. Ici il n’a pas plu depuis juin. Trois épisodes de gel durant le printemps, la sécheresse maintenant…. Un millésime très étrange... Les gamay grillent sur pieds !… Je n’avais jamais vu ça. On attend le premier pressoir (semaine prochaine) pour voir s’il y a quelque chose… De toute façon la pluie ne sera pas au rendez-vous !..."

69845882_2427912207531537_6771670087138017280_nToujours le 3 septembre, quelques nouvelles du Bordelais, avec Antonin Jamois, de l'Île Rouge, à Lugasson, du côté de l'Entre-Deux-Mers. Quelques informations précises quant à la santé du vignoble, en prévision du début de la cueillette, lors du week-end des 7 et 8 septembre : "Ici il a gelé deux fois en avril et mai. Un tiers de la récolte a donc malheureusement disparu. Il y a cependant quelques repousses sur les merlots qui permettront de conserver un peu d'acidité et de fruit s'il le fallait à l'assemblage. Cette portion de parcelle sera vendangée séparément et plus tardivement. Pour le reste la situation est meilleure, l'année s'est relativement bien passée. Le temps a été sec, probablement un peu trop et je crains d'avoir trop peu de jus. Mais le mildiou n'a pas été virulent et la vendange restante est dans une excellente situation sanitaire. Les merlots ont coulé car les conditions fraîches et humides sur la fleur n'ont pas permis une fécondation parfaite. De fait les grappes sont lâches, aérées, ce qui laisse augurer des petits rendements, mais une qualité assez exceptionnelle de la vendange, car la pourriture ne pourra que difficilement se développer."

"Les castets [NDLR : cépage ancien bordelais en cours de réintroduction dans certains domaines de la région] me posent plus de problème, la fleur plus tardive (mi-juin) s'est réalisée sur un temps sec. La fécondation est totale, les grappes sont très compactes et je crains des foyers de pourriture au sein des grappes. Je vais les surveiller de près et je ne tarderai pas trop à vendanger si le temps se dégrade. Je prévois l'année prochaine, si les conditions étaient identiques, de proscrire tout rognage sur ce cépage pour limiter la compacité des grappes."

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"Mais les conditions météo annoncées sont idéales ; un temps sec mais frais la nuit avec de grands écarts thermiques entre jour et nuit. L'acidité est belle et devrait être conservée par ce temps rêvé de maturation. Bref ici, après une année de labeur et malgré quelques aléas, j'ai beaucoup d'espoir pour ces prochaines vendanges. J'espère faire encore mieux l'année prochaine mais si je rentre tout ça, je serai déjà très heureux. Les merlots sont aujourd'hui à 12,1° potentiels et 5,45 d'AT et les castets à 10,6° et 6,3 d'AT. Je prévois, dès ce week-end, une vendange précoce sur merlot pour élaborer un pétillant et les week-ends suivants, j'étalerai les vendanges pour réaliser une cuvée en macération carbonique et une cuvée plus bordelaise àélever pour la garde."

20190822_192812En guise de conclusion de cette première salve vigneronne, en ce 4 septembre, un tour d'horizon de la situation en Champagne, avec Benoit Tarlant, à Oeuilly, fief des Champagne Tarlant. Pour illustrer ce curieux millésime, un cliché (à gauche) des raisins échaudés le 24 juillet!... Là encore, le cycle de la vigne ne s'est pas déroulé dans la plus grande sérénité : "Ici, les vendanges sont de plus en plus proches, je pense d'ici mardi prochain 10 septembre (à voir si le démarrage se fait avec toute l'équipe, ou en petit comité)."

"La saison fut épique par ici. Dans la vallée de la Marne, nous avons évité les gros gels d'avril. Seul le 5 mai nous a fait frémir de froid dans les bas de coteaux, mais sans être radical. Le printemps a commencé de manière assez humide, avec une pression mildiou et oïdium qui s'installait (ce qui ajoutait un stress pour mon équipe, depuis que l'ensemble du domaine est en conversion et plus seulement les approches parcellaires). Mais nous étions sur le pont pour faire face, avec des passages intégraux au chenillard."

"Cependant, à partir de fin juin, on est entré dans un cycle quasiment inverse, avec les différentes vagues de canicule. La première nous a aidéà contenir le mildiou, mais la deuxième (fin juillet) est devenue fatale pour les raisins exposés au soleil du sud-ouest. Un échaudage on ne peut plus brutal s'est déroulé, et les raisins sont passés de début de nouaison à sec, sans intermédiaire!... Des pertes qui oscillent entre 10% et 40% selon les lieux-dits, les expositions, les inclinaisons... Tous les raisins au levant sont restés intacts et en bonne forme, profitant de ces conditions chaudes pour aller vers la maturation avec une belle dynamique. On imaginait, vue le démarrage de la saison, une vendange de mi à fin septembre, mais l'accélération de prise de sucre nous fait réagir et anticiper un peu le démarrage. Mais on verra... C'est à présent la maturité phénolique qui va nous guider, et qui va donner l'empreinte de réussite à ce millésime."

Comme on peut le constater, les impressions, chez certains vignerons, laissent supposer, pour peu qu'on lise entre les lignes, de beaux espoirs en vue d'une production de qualité. Il est vrai que, au vu des conditions climatiques du moment, les vins dits de garde, aussi bien blancs que rouges, soutenus par une belle acidité, pourraient faire de belles bouteilles, si toutefois la maturité phénolique (anthocyanes et tanins) est atteinte, sans oublier la maturité physiologique (équilibre acidité-sucre) souvent essentielle. N'allons pas jusqu'à affirmer que les vignerons jouent à la roulette russe, mais les choix ultimes sont bien souvent une question de feeling!... A suivre!

PS : pour information, si vous souhaitez goûter aux vendanges "pour de vrai" et si vous êtes dans la région, vous pouvez passer une demi-journée au Domaine d'Anglas, à Brissac, au bord de l'Hérault. Un camping très agréable, mais aussi un domaine viticole bio, qui vous permettra de devenir un apprenti vigneron pour quelques heures!...

Les grandes marées approchent : recette des ormeaux en bocaux!...

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La publication, voilà quelques années, d'une partie de pêche aux ormeaux, ainsi que l'évocation de dégustations succulentes de ces mollusques me valent de nombreuses visites sur le blog, principalement au moment des grandes marées d'équinoxe, favorables à la pratique de cette pêche. Après le coefficient 113 du 1er septembre dernier, les pêcheurs à pieds attendent avec impatience le lundi 30 septembre, avec un 116 qui se veut favorable!... Il s'agira là de l'équinoxe d'automne et du plus fort coefficient de l'année. Une aubaine, notamment si les conditions anticycloniques sont toujours d'actualité et les vents favorables, afin que la mer se retire et que certaines zones rarement découvertes soient accessibles aux plus téméraires. Mais attention!... La pratique n'est pas exempte de certains dangers et se retrouver sur un ilôt qui sera recouvert par la marée montante en quelques minutes peut vous mettre gravement en péril!... Sans oublier non plus la réglementation en vigueur : "L’ensemble des récoltes faites doivent, de plus, toujours être limitées à la consommation familiale du pêcheur (les volumes doivent être « raisonnables »)." Pour les ormeaux, la récolte journalière est limitée à vingt spécimens de neuf centimètres minimum, pêchés à la main ou à l'aide d'un crochet, ou croc à crabe. Rappelons que la plongée (apnée ou bouteille) est rigoureusement interdite, sauf pour les rares pêcheurs professionnels disposant désormais d'une aussi rare licence.

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Il me faut donc me glisser exceptionnellement sous la toque de Patrick Cadour, animateur du blog Cuisine de la Mer, afin de répondre favorablement à une récente demande d'une de mes lectrices. En effet, cette dernière constate que certains parlent de cette fameuse recette d'ormeaux en bocaux, mais que l'on ne trouve nulle part une méthodologie précise. Heureusement, notre grand-mère bretonne et trégorroise ratait rarement les grandes marées, notamment celle de l'équinoxe de printemps, qui lui permettait alors (je vous parle d'un temps...) de descendre dans la grève, de retourner quelques rochers (attention! si vous les retournez, vous les remettez en place ensuite) et de ramasser son content de coquillages. Ensuite, en prévision de la visite estivale d'enfants et petits enfants, peut-être en faisait-elle rissoler quelques-un dans la cheminée, mais l'essentiel était mis en bocaux, pour des dégustations futures. Et là... Il suffisait d'ouvrir ses papilles et de savourer en silence...

Donc, il faut avant toute chose préparer un court-bouillon avec du thym, du laurier, du persil, des oignons, du citron et des carottes coupées en morceaux, le tout bouillonnant une trentaine de minutes. Il convient ensuite de laisser refroidir ce court-bouillon et d'y plonger les ormeaux attentivement nettoyés, pour une durée relativement courte (environ dix minutes après reprise de l'ébullition). Quoi qu'il en soit, il convient de vérifier avec une pointe de couteau ou une fourchette le degré d'attendrissement des mollusques. Les bocaux doivent alors être stérilisés, puis on y plonge les ormeaux avec trois quarts de court-bouillon et un quart de vinaigre blanc. Il faut ajouter ensuite quelques petits oignons blancs (grelots), des morceaux d'une carotte pré-cuite et quelques clous de girofle.

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Voilà! Regardez, le soir tombe!... Installez-vous sur la terrasse, ouvrez un de ces bocaux, servez-vous un vin blanc sec de bonne origine, demain est un autre jour... Ces instants de torpeur estivale vous sont offerts par La Pipette aux quatre vins!...

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