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Une journée dans le Berry : l'appel de la forêt

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Mardi 15 mai. Dehors, il fait un temps quasi hivernal. 12°, pas plus à Sancoins (18) et dans les environs, pluie fine, horizon bouché. Heureusement, nous allons pouvoir nous réchauffer auprès des braseros de la tonnellerie Atelier Centre France. Un lieu éminemment artisanal, mais aussi patrimonial, à n'en pas douter. Visite guidée. Mais, comme il ne faut pas perdre de vue ce qui conduit à cette production que l'on peut qualifier de bi-millénaire, puisque nos ancêtres les Gaulois semblent être à l'origine de la fabrication des tonneaux, un passage s'impose à la Merranderie Bourdier, mais aussi dans la célèbre Forêt de Tronçais, qui compte pas moins de trois douzaines de grands chênes vieux de plus de trois cents ans... et beaucoup d'autres!... Respect et humilité au pied de ces grands arbres!...

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~ Atelier Centre France Tonnellerie ~

Lors des dernières années, j'ai eu la possibilité ou la chance de déguster certains vins blancs en cours d'élevage, notamment à l'invitation de Richard Leroy ou de Tessa Laroche, pour quelques chenins d'Anjou ou de la Roche-aux-Moines, sur des barriques en provenance de deux ou trois tonnelleries différentes. Ce genre de dégustation d'un même vin élevé dans des contenants du même âge, issus de plusieurs fabricants, a forcément quelque chose de très instructif. Dans ces diverses occasions, quelle ne fut pas ma surprise de constater que les fûts en provenance d'Atelier Centre France ne marquaient pas les vins!... Il fallait, bien sur, tenter d'en percer le secret...

Il faut admettre avant tout, que la tonnellerie de Sancoins, un peu au sud de Bourges, même si elle a commencéà se faire un nom dans les vignobles de France et de Navarre, cultive quelque peu la discrétion et entretient habilement la fibre artisanale, chère à tous ceux qui ont acté sa création en février 2010 et proposé les premières barriques, dès le mois de juin de cette année-là.

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On imagine aisément que la tonnellerie berrichonne a été portée sur les fonds baptismaux au terme de quelques rencontres et peut-être de quelques repas réunissant des amis, dont l'expérience en la matière avait aiguisé la sensibilité et l'envie de proposer autre chose... Des acteurs déjà riches, pour certains, d'années passées chez de célèbres fabricants, sensibilisés par des artisans à l'écoute de vignerons, dont la production avait parfois du mal à s'accommoder des principes (et des modes) en vigueur dans la tonnellerie moderne.

Il fallait donc rassembler l'enthousiasme et les compétences de chacun. Parmi eux, Claude Briant, très actif auprès de grands domaines de Californie et d'Oregon notamment depuis 2003, pour une grande tonnellerie française. Philippe Le Métayer, directeur financier depuis vingt ans dans la merranderie et la tonnellerie, spécialiste en collecte de fonds dans le secteur agricole et forestier, ne pouvait que motiver deux acteurs essentiels, tels que Jean-Laurent Bourdier, exploitant forestier et merrandier en chênes exclusivement, représentant de la sixième génération d'une famille établie dans l'Allier et le Centre France, ainsi que Jacky Chantelat, partenaire financier ouvert à de telles initiatives.

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Bien sur, il fallait s'assurer le participation et toute la compétence d'un directeur technique, capable de manager une équipe d'une douzaine de personnes dans un atelier de tonnellerie, où chacun doit intégrer la notion d'approche artisanale, avec les exigences de qualité imposées par un marché ouvert mais assez fortement concurrentiel. C'est Philippe Grillot, merrandier depuis 1984 et tonnelier depuis une quinzaine d'années, qui fut chargé d'apporter les réponses au cahier des charges et d'organiser la fabrication répondant aux demandes d'une clientèle forcément exigeante (et sans doute parfois inquiète), lorsqu'il s'agit de confier son vin à un tel partenaire que le bois, fut-il de chêne de qualité. Mais, l'homme est aussi doté d'une mémoire olfactive des plus performantes, comme il le démontre lors de chauffes successives. Il est tout à fait saisissant de capter l'évolution des arômes du bois, après quelques passages sur les braseros, au rythme de chauffes (très) longues et (très) douces (de 90 minutes pour les 225 litres à plus de deux heures pour les 600 litres), permettant d'obtenir une "chauffe blonde", moyenne, moyenne + ou forte, selon la demande des clients. Quelque chose qu'il n'est pas forcément facile à transmettre, même si là, un des tonneliers semble marcher sur ses traces...

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Philippe Grillotétait aussi un proche de Didier Dagueneau, célèbre vigneron de Pouilly-Fumé. Au hasard de diverses rencontres, ce dernier lui a permis de comprendre vers quel type de chauffe s'orienter, afin de satisfaire ceux qui produisent de grands vins blancs secs, désireux de travailler avec la barrique, mais sans masquer ni travestir les arômes de cépages tels que le sauvignon notamment. C'est aussi le vigneron de St Andelain qui lui a conseillé de se lancer vers les gros contenants (500 et 600 litres), actuellement très en vogue. Mais, ceci ne manqua pas de déclencher une réflexion globale, guidant Atelier Centre France vers une offre qui lui est propre, tant pour ce qui est des assemblages de bois que des processus de cintrage.

Dans sa communication, la tonnellerie ne manque pas de préciser que les bois sont issus de forêts de "l'Allier Centre France" uniquement. Un infime pourcentage vient de la Forêt de Tronçais (au vu notamment des prix atteints par ses lots devenu rares), l'essentiel venant de l'Allier, le Cher, les Bertranges dans la Nièvre, Loches, Romorantin et même la région d'Amboise. Trois merranderies, dont les Ets Bourdier, non loin de là, à Lurcy-Levis, fournissent les palettes de merrains qui sèchent à l'air libre, de dix-huit mois à deux ans, à proximité de l'atelier, sur un seul niveau, afin d'éviter tout lessivage néfaste.

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Par phases successives, les merrains sont visuellement analysés en fonction de leur fil (qui doit être droit sur toute la longueur), leur grain (fin, moyen, gros) et transformés en douelles par des opérations mécaniques (dolage, évidage, flêchage, jointage). Selon, la dimension du fût, les douelles sont ensuite choisies et assemblées, de façon relativement aléatoire, en fonction de leur largeur et de leur grain. Un cerclage provisoire va permettre de les maintenir et de les manipuler pendant le cintrage.

32559372_10216196645646823_6210501162165075968_nLes fûts fabriqués ici vont de 225 litres (épaisseur des douelles de 22 à 27 mm), 228, 350, 400 litres  (27 mm), 500 litres (32 mm) et 600 litres (40 mm), plus les "cigares", appelés ainsi pour leur forme allongée.

A ce stade, on entre dans la phase essentielle du cintrage. En premier lieu, le "cintrage feu", caractérisé par un contact direct du bois avec le feu, ce qui doit apporter les notes de boisé et de grillé, mais avec une faible extraction du fruit. L'un des secrets de la tonnellerie Atelier Centre France, c'est de proposer aux vignerons une variante dite "cintrage vapeur", opération au cours de laquelle les fûts passent sous une cloche à vapeur, avant le cintrage lui-même, afin de purger le bois, ou de le dégorger, de certaines substances phénoliques à caractères astringents. C'est ce mode de préchauffe qui permet une extraction optimale des arômes.

32754475_10216196645926830_3528107190311190528_nCette approche correspond aussi, au-delà de toute évidence qualitative, à la volonté de la tonnellerie de se mettre à l'écoute de ses clients, sans pour autant céder aux demandes quelque peu farfelues. Il va de soi que l'on est ici dans le cadre d'une production industrielle, mais à caractère artisanal, sans pour autant revendiquer la possibilité de satisfaire certaines exigences, comme ont pu le faire dans le passé, des ateliers de confection oeuvrant pour la haute couture, par exemple. Nous sommes bien dans un univers de passionnés, mais du genre responsables, afin de respecter toutes les composantes, matérielles et humaines, imposées par une telle fabrication. La progression d'Atelier Centre France est à ce prix, entreprise qui produit actuellement 4500 barriques par an environ, c'est à dire assez loin des leaders du secteur, mais avec une progression de 300 à 500 barriques chaque année, ce qui suffit amplement à développer une affaire, sans augmenter trop les affres d'une gestion en perpétuelle évolution.

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Il reste ensuite quelques opérations qu'il faudra conduire avec la même attention, notamment pour tous les aspects que l'on pourrait qualifier de finition. Bien sur, une traçabilité minutieuse s'impose, afin de rapprocher bon de commande et fiche de fabrication. Toutes les barriques sont donc identifiées avant de rejoindre le hall de stockage, en vue des expéditions par container qui interviennent à intervalles réguliers. En effet, il faut savoir que 70% de la production est dédiée à l'export, dont 60% aux États-Unis (environ 300 domaines), avec également le Canada, la Nouvelle-Zélande, l'Australie et l'Afrique du Sud. La France représente quant à elle 15% des commandes, tout comme le reste de l'Europe, avec une présence en Espagne, au Portugal, en Italie, Suisse, Allemagne, Autriche, Slovénie, Bulgarie et Turquie.

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Avec moins de dix ans de présence sur le marché de la tonnellerie, Atelier Centre France en impose déjà au monde des grands vins, par sa rigueur et sa passion. Ses dirigeants ne parient pas sur une communication tapageuse et jusqu'à maintenant, ils sont absents des grandes messes proposées dans les halls d'exposition des rendez-vous mondiaux supposés incontournables. Pour eux, the place to be, c'est plutôt la forêt, les domaines viticoles, les vignes... Pourtant, l'évolution de l'entreprise va désormais bien au-delà du simple frémissement. Il suffit de parcourir le vignoble pour rencontrer aujourd'hui de plus en plus de vignerons qui connaissent cette tonnellerie et sont prêts à la solliciter. D'autres, qui la découvrent, au hasard de conversations verre en main, ne manquent pas d'être interpellés et ce, dans tous les pays. Indéniablement, une telle démarche artisanale a encore de beaux jours devant elle!...

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~ Merranderie Bourdier ~

Voici le partenaire principal du tonnelier. Pour découvrir le travail de la scierie Bourdier, c'est Camille, représentant de la septième génération de Bourdier, qui nous guide pour une visite de l'entreprise. Celle-ci, créée en 1847 par Auguste Bourdier, qui était alors charpentier-charbonnier à Lurcy-Levis, dans l'Allier, à l'orée de la Forêt de Tronçais, a traversé le temps pour se spécialiser dans les chênes de grande qualité. Tous les arbres présents sur le parc de treize hectares ne sont pas destinés à la merranderie, puis aux tonnelleries, mais la sélection est néanmoins particulièrement attentive. "Ce que vous voyez ici, c'est 5 à 10% du volume de la forêt et de sa réalité! C'est environ 35% de ce volume qui est destinéà faire du merrain. C'est la quintessence de la forêt!..."

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La merranderie Bourdier s'est donc spécialisée dans le bois haut de gamme. Six à sept personnes travaillent dans l'atelier de merrain. Même s'il est nécessaire de disposer de matériel performant, on devine aisément que l'intervention humaine est essentielle, notamment celle du fendeur, qui oeuvre au feeling pour réduire les plots à quelques quartiers de bois. Une observation attentive est nécessaire lors de chaque phase, afin d'écarter, si cela s'impose, les bois non adaptés à la fabrication de merrains. Il faut ensuite écorcer le bois et retirer l'aubier (le bois extérieur plus clair sous l'écorce). En moyenne, on considère que seulement 20% sont conservés pour la fabrication des barriques. Heureusement, tout le reste est réorienté vers d'autres productions.

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Avant même d'en arriver à cette phase, après la réception des lots de bois, il faut aussi être attentif au ressuyage, lent et naturel, qui dure de 18 à 24 mois, sur la plate-forme dédiée d'une surface de trois hectares. Ensuite, vient le séchage, véritable science selon l'entreprise. Pas moins de mille mètres cube de capacité de séchage, pour descendre et stabiliser les bois à 12% d'humidité.

On imagine donc aisément la part de confiance qui doit s'installer entre le merrandier et le tonnelier, d'autant que le premier est souvent confronté aux conditions fluctuantes du marché du bois. Les ventes aux enchères organisées par l'Office National des Forêts ou par des coopératives de propriétaires forestiers privés sont parfois animées, notamment lorsqu'on constate des augmentations régulières du prix des lots, comme c'est le cas depuis quelques mois. On peut donc acheter le bois sur pied, mais l'acheteur doit prendre en charge l'abattage et le débardage (pour peu qu'il puisse entrer dans les parcelles, lorsque les conditions climatiques sont dégradées!) ou "bord de route", les grumes étant alors mises à disposition des acheteurs par le propriétaire... au bord de la route.

Une part de mystère demeure donc, surtout lorsque notre regard se porte sur ces bois, pour lesquels, seul un oeil averti peut déceler ces petits défauts, presque invisibles, qui vont décider de la mise à l'écart ou pas de telle ou telle grume. L'expert doit donc être infaillible pour satisfaire le tonnelier. Indiscutablement, il faut du temps pour en arriver là, un peu à l'image de ces grands arbres qui forcent le respect.

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~ Forêt de Tronçais ~

Pour conclure cette journée très... boisée, un passage au coeur de la célèbre forêt de Tronçais s'imposait malgré la pluie (avec la gentillesse et la disponibilité de Charlotte Le Métayer, une des chevilles ouvrières de la tonnellerie Atelier Centre France, en charge de l'accueil des visiteurs, mais qui ne manque pas, certains jours, d'aller à la rencontre des vignerons), afin d'y contempler quelques grands chênes tricentenaires de la Réserve Biologique Colbert, que l'on nomme Stebbing, Emile Guillaumin, Charles Louis-Philippe ou encore Arbre de la Résistance, par exemple.

En s'arrêtant à proximité d'un des "ronds" de la forêt, ces intersections de grandes allées forestières, on se surprend à guetter la course d'un attelage, quatre chevaux et un carrosse qui pourraient surgir au galop, transportant les inspecteurs forestiers de Colbert. Le plus ancien de ces chênes serait la Sentinelle, près du Rond de Richebourg. Il aurait montré sa première feuille en 1580!... Le Chêne carré daterait de 1630, les Jumeaux, deux chênes sessiles nés de la même souche dans les années 1640. Nous sommes en fait dans une sorte de cathédrale... Et on lève les yeux vers le ciel et la cime de ces arbres en gardant le silence... Respect. Les arbres de la Futaie Colbert (13 ha) sont âgés en moyenne de 320 ans. L'ONF estime que ces chênes sont entrés dans une phase d'écroulement progressif, au point de devenir dangereux!... Mais, on est pourtant bien auprès de ces arbres, dont certains permirent de construire tant de navires à voiles tout aussi prestigieux!...

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Finalement, point de carrosse, ni d'inspecteur perruqué!... Désormais, ce sont nos SUV de l'ère moderne qui parcourent la forêt, ce qui ne doit pas manquer de la surprendre. Allons, il est temps de la laisser en paix, ces arbres vivent ensemble depuis des centaines d'années. Comme le disent les techniciens de la forêt désormais : "Laissons ces colosses âgés de plus de trois siècles s'éteindre doucement."


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