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Liber Pater : Loïc Pasquet, les pieds sur Terre!...

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Attention!... Il ne faut pas confondre Thomas Pesquet, la tête dans les étoiles, en orbite autour de la Terre, dans la station ISS, et Loïc Pasquet, vigneron sur le terroir des Graves de Bordeaux, quelque part du côté de Landiras. Le premier nous régale de quelques clichés de notre chère planète, le second a pour ambition de rendre aux vins de Bordeaux, leur luxe d'antan. Entendons-nous bien, l'objectif, le rêve peut-être, pour le moment, c'est de proposer aux générations futures de (re)découvrir les vins fins disparus, engloutis par le phylloxera, voilà plus de cent ans. Liber Pater est né, il n'y a guère plus de dix ans. Dès cette année, le millésime 2015 devrait nous donner une tendance. Que ceux qui ne sont pas tentés par cette découverte, me jettent la première grave!...

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En mars 2014, la Revue du Vin de France titre à la une : "Ils révolutionnent Bordeaux!" pour présenter un article qui évoque une grosse douzaine de domaines animés par des vignerons novateurs. Parmi ceux-ci, Loïc Pasquet et Liber Pater. Très peu de gens, y compris dans le microcosme bordelais, ont alors pu découvrir ce cru dont on sait peu de choses... si ce n'est son prix de vente, qui déclenche quelques quintes de toux dans les salons feutrés, tendus de tapisseries anciennes millésimées 1855, en attendant que, peut-être, cela ne contribue à mettre le feu aux poudres!...

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Avant de comparer, verre en main, ces vins à ceux de la région, commençons par prendre connaissance du lieu. Un aspect très important pour le vigneron, pour qui "il n'existe pas d'équivalents bordelais à la Romanée Conti"!... Pour lui, la notion de cru et de climat, au-delà des classements, si préservée par les Bourguignons, n'a pas droit de cité sur les rives de la Garonne et c'est ce que semble vivement regretter Loïc Pasquet. On pourra, bien évidemment, évoquer avec lui tout le poids de la culture locale, l'ancienneté de la tradition bordelaise, mais il n'en démord pas, au XXIè siècle, on doit être en mesure de tout mettre en oeuvre pour retrouver le goût des vins fins pré-phylloxériques.

Nous sommes sur des terres achetées en 2004. Au cours des premières années, sa passion et sa formation d'ingénieur le poussent a étudier ce terroir de plus près, parce que l'enjeu est de taille. Géologie des sols et sous-sols, adéquation sol-cépage... tout se doit d'être approfondi avant les premières plantations en franc de pied.

004Nous sommes là sur la ride anticlinale de direction ouest-est qui relie La Teste, Villagrains, Landiras et Miramont de Guyenne. Une formation géologique particulière qui nous ramène cinquante millions d'années en arrière, lors de la période dite "Grande Coupure", entre l'éocène et l'oligocène. Un pli se forme, plusieurs en fait, parallèles ou presque, du nord au sud entre Massif Armoricain et Pyrénées, ces derniers, du moins leurs graves, se déversent dans la région, grâce au fleuve ancien. Selon ses méandres et les variations de son cours, le cumul des sédiments forme des "îles", comme celle sur laquelle se situent les plantations du vigneron. Au niveau du sol et en y prêtant attention, on distingue un léger mouvement de terrain et l'éventualité d'un rivage, au-delà duquel, comme l'attestent les recherches récentes de Loïc Pasquet, le sol est nettement plus argileux, comme s'il avait étéérodé et les graves emportées. Sur l'"île" en revanche, plusieurs mètres de ces petits cailloux blancs, mêlés au sable noir caractéristique, se sont accumulés. On appelle d'ailleurs cette parcelle "La vigne du haut".

002Au-delà de cette étude géologique poussée, le vigneron natif de Poitiers se penche d'encore plus près sur les quatorze sous-sols différents qu'il a identifiés sur les trois hectares du "clos". Quatorze, pas un de moins, auxquels il veut associer les cépages adéquats, sachant que, si les variétés communes au Bordelais (cabernet sauvignon, cabernet franc, petit verdot, malbec et carménère) sont ou seront bien présentes au final, un certain nombre de cépages oubliés vont leur être associés. Et là, tout se complique.

Rappelons les principes de base du défi : plantation en franc de pied, à 20000 pieds/hectares. Nécessité d'être en adéquation avec le lieu, mais avec l'obligation d'être extrêmement plus précis (au mètre près parfois!) que pour les plants greffés. De plus, les plants ont besoin de s'installer et de six à huit années sont nécessaires pour une bonne implantation des boutures. L'intérêt est que si le phylloxéra n'apparaît pas au bout de six ans, on peut considérer qu'il n'attaquera pas la plante à l'avenir. Enfin, dès la cinquième année environ, les jus issus de ces jeunes vignes, malgré tout, vont donner une qualité supérieure aux greffées, àâge égal. Néanmoins, après ces années d'observation, quelques déboires sont possibles. Ainsi, la moindre dénivellation de terrain, à peine perceptible à l'oeil nu, va condamner les cabernet sauvignon plantés dans une zone plus humide. Leur mauvaise forme, une fois constatée, va imposer de les arracher, pour les remplacer par le petit verdot, moins sensible au pourridié racinaire de la vigne.

009Ces cépages oubliés, quels sont-ils? En premier lieu, pour les rouges, le castets, originaire de la Gironde, mais dont on ne connaît pas l'origine exacte. Dans le Galet (Dictionnaire encyclopédique des cépages et de leurs synonymes), outil indispensable en la circonstance, il est dit "qu'il aurait été trouvé dans les bois du canton de Saint Macaire, né d'un semi de hasard et propagé par Nicouleau vers 1870". Pour d'autres, il aurait été importé des Pyrénées. Résistant au mildiou et à la coulure, doté d'un débourrement tardif évitant les gels printaniers, il avait tout pour plaire, si ce n'est sa vigueur permettant de gros rendements. Est-ce pour cela qu'il fut abandonné?...

Autre élément important dans l'assemblage futur, le mancin, appelé aussi tarnay coulant. Encore un vieux cépage bordelais, mentionné par Dupré de Saint-Maur, au XVIIIè siècle. On l'appelle aussi le mancin des palus, vu qu'il est alors très présent dans les palus du Médoc et du Libournais. A noter que Alexandre-Pierre Odart, ampélographe de la première moitié du XIXè, le signale cultivé dans de larges proportions au Château d'Issan. "Il est cueilli séparément avant les autres raisins et on en fait un vin d'une si belle couleur qu'on l'appelle le Rubis fondu d'Issan". Si le castets est très coloré, mais qualifié parfois de "bon ordinaire", le mancin est "corsé, très coloré, astringent, au goût très particulier, servant dans les coupages".

008Signalons aussi le Saint Macaire, qui était planté dans les palus du Médoc et de la région de Saint Macaire, comme il se doit. Sensible à l'oïdium, il donne un vin très coloré. Passé de 200 ha en 1958, à 8 ha en 1988, il semble qu'il soit désormais extrêmement rare. A noter qu'il en existe quelques plantations en Australie et en Californie. Selon le vigneron, cette variété se caractérise par des grosses baies et apporte de l'acidité.

A noter également le prunelard, que l'on rencontre du côté de Gaillac et dans le Tarn, parfois confondu avec le malbec, dont il est parent. Le marselan, quant à lui, est à l'essai et un dernier cépage sera plantéà l'avenir, la pardotte, plutôt connu comme un "cépage secondaire du Bordelais", d'une extrême rareté.

Du côté des blancs, indispensable dans le paysage et la production des Graves, le sémillon et le sauvignon seront complétés par deux variétés : le lauzet, originaire du vignoble jurançonnais et considéré comme "un cépage très secondaire pour cette région, mais connu pour produire un vin sec assez riche en alcool, mais doté d'arômes fruités et épicés". Enfin, ultime plant prévu, le camaralet de Lasseube, un cépage de cuve originaire du Béarn très sensible à la coulure, devenu rare malgré qu'il fasse partie de l'encépagement en AOC Béarn et Jurançon. Son vin est qualifié"de fin, avec un goût relevé, tirant sur la saveur poivrée ou la cannelle".

Si une certaine forme de tradition a été adoptée à la vigne, il va de soi qu'une haute technologie est aussi incontournable et, dans ce cas, seule la culture in vitro permet d'avancer.

En parcourant ce "clos", on devine aisément la difficulté du travail, du fait notamment de la densité de plantation. Un travail du sol qui n'est possible qu'avec la mule, devenue la partenaire habituelle de Loïc Pasquet à la vigne. Notez que l'ensemble est certifié bio.

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Avec ce travail obstiné et passionnant, Loïc Pasquet espère arriver à ses fins, en restant pragmatique et sans idéologie de quelque ordre que ce soit. Cette année, il va arracher ses dernières vignes greffées, qui lui ont permis de produire quelques centaines de bouteilles depuis ces dernières années, celles-là même que l'on peut rencontrer en Russie, en Chine ou dans le Golfe Persique. Dans sa démarche actuelle, malgré les oppositions, parfois haineuses de certains ("ça fait partie du jeu!"), il a quand même la satisfaction de recevoir la visite de jeunes vignerons de la région, intéressés par ces cépages oubliés et la culture en franc de pied, qu'une carte ancienne (1876?) rendait possible, puisqu'elle situait des secteurs entiers des Graves (et de l'actuelle AOC Pessac-Léognan) à l'abri du "puçeron ravageur". Pour le reste, tout se jouera dans les prétoires dès le mois prochain, avant que peut-être, à l'avenir, les choses ne commencent à bouger dans le vignoble bordelais, grâce à un vent réformateur.

"Protéger le goût, c'est une forme de résistance". Indiscutablement le credo actuel du vigneron de Landiras. Pour lui, il ne s'agit pas de savoir combien peut-on produire à l'hectare, mais plutôt est-ce que, ce qu'on produit et propose aux consommateurs est bon? On peut penser que le jeu en vaut la chandelle, même si nous devons attendre encore un peu pour constater que ces assemblages futuristes (avec un oeil dans le rétroviseur) sont à la hauteur de notre attente... et de celle du vigneron. Rendez-vous dans quelques mois, verre en main!...


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