Les maisons s'égrainent le long de la petite route des Lombardières, en bord de Loire. C'est là, dans ce village largement exposé aux crues du fleuve que se situe le Domäne Vincendeau. Du moins, la maison de vie et les installations où sont vinifiés et élevés les vins d'une entité viticole créée en 2014. Avec son mari angevin et pour leurs deux enfants, Liv rêvait de trouver une maison en bord de Loire. Du même coup, voilà deux ans, ils ont eu la possibilité d'acheter cette vénérable et typique construction datant de 1911, ayant résisté aux débordements historiques de la Loire, comme le signale l'échelle des crues sur la façade. Le bâtiment adjacent, datant quant à lui de 1904, était plutôt à vocation agricole et pas viticole, mais il se révèle apte à recevoir cuvier et petit chai à barriques en sous-sol, même si le tout n'est pas hors d'eau bien sûr.
L'utilisation du terme "Domäne" se veut un clin d'oeil à la langue d'origine de Liv, car elle est allemande. D'une noble région viticole, le Rheingau, même si ses parents n'étaient pas vignerons. Elle fait ses études en Angleterre, puis à Strasbourg et c'est en Alsace que "l'Histoire du Vin en France l'a happée"!... A partir de 1999, elle suit des formations successives (production, commerce...), y compris une session conduite du cheval, au célèbre Haras du Pin. Du fait de ses origines allemandes, l'option vers la biodynamie est presque une évidence, tant elle a connaissance de la méthode Steiner depuis son enfance.
Un bonheur ne venant jamais seul, elle a la chance de trouver au même moment, un lot de parcelles à vendre. Ce sont les Vignobles Grosset qui se séparent de quelques hectares d'un seul tenant, au lieu-dit Le Raguenet, sur les hauteurs de la commune de Rochefort sur Loire, en AOC Coteaux-du-Layon-Rochefort, non loin du Château de l'Eperonnière, en haut d'une sorte d'amphithéâtre donnant sur la Loire. Sous nos yeux, le fleuve, la cathédrale d'Angers, le clocher d'Epiré, la Roche-aux-Moines, la Coulée de Serrant, dans un paysage à 360°, ou presque!... A l'origine, elle ne souhaitait que trois hectares, mais en achète finalement sept, y compris les friches et les prairies.
C'est peu dire que Liv a tout à découvrir de ce paysage et de ce vignoble ligériens. Lors de notre passage, le décavaillonnage était en cours, grâce pour l'instant à un intervenant, en attendant qu'elle conduise elle-même un cheval de son choix. Dans une parcelle de chenin âgé de onze ans, prêt à débourrer, elle décrit avec passion les composantes du sol : schiste gris-vert, phtanite bleu nuit, avec des veines de quartz, comme pour le terroir de Bonnezeaux et quelques schistes pourpre. Quatre hectares d'un vrai terroir à liquoreux, même si elle dispose aussi de cinquante ares de grolleau noir, plutôt rare dans le secteur, une plantation assez récente qu'elle destine au rosé et aux bulles.
Mais la vigneronne, malgré des débuts récents, ne se laisse pas emporter par sa passion. Son pragmatisme est exemplaire. Elle est surtout attentive à réussir une bonne conversion en bio de ses vignes, étape par étape ("il y a un vrai enjeu au niveau matériel!") mais ne manque pas d'inspirer une bonne confiance à ses voisins. Ainsi, les a-t-elle déjà convaincus d'opter pour la confusion sexuelle, même si leurs pratiques, pour le reste, demeurent plutôt conventionnelles. De plus, même si elle avoue un meilleur feeling avec les vinifications en blanc sec et rosé, elle se défend au passage de pratiquer une course aux bas rendements. Sa préoccupation du moment serait plutôt de développer son réseau commercial, avec quelques visées légitimes vers l'export.
"Rassurez-vous, vous pouvez déguster! Je n'en suis pas encore au stade où je peux dire : je n'ai plus rien à vendre!" Où Liv nous démontre, avec humour, qu'elle connaît déjà bien le milieu!... Il est donc temps de découvrir les cuvées disponibles :
-(Loire) Gold, ou Gold plutôt, pour respecter la réglementation des AOP, qui interdit d'utiliser certains termes en Vin de France. Il s'agit d'un 100% chenin et d'une méthode ancestrale, vendangée à 12°, arrêtée avec 24 gr de sucre, pour ensuite aller vers la prise de mousse avec les sucres des raisins. Dosée extra-brut. Un pétillant élégant et fin.
On en profite pour aborder le sujet des sulfites ajoutés. Pour la vigneronne de Rochefort, le choix est clair : le moins possible de sulfites, mais pas zéro. En 2014, millésime de ce pétillant, il s'agissait pour Liv d'une reprise de tous les aspects et les approches de l'oenologie. Par prudence, elle a donc sulfité un petit peu au pressoir, puis un peu au dégorgement, pour atteindre 50 mg/L de SO2 total. Ses motivations tiennent au fait qu'elle apprécie les vins fins et élégants, y compris au niveau de l'expression aromatique. "Le jour où quelqu'un m'apprend à faire des vins de ce style là sans soufre, je signe, mais ça me semble un peu compliqué!..." Avec la récolte 2016 à venir, elle va essayer de travailler avec des gaz inertes au pressoir, plutôt qu'avec du soufre. "On commence seulement à comprendre que, quand on ne met pas de soufre, certains micro-organismes, dont les bactéries, se développent et ce sont les amines biogènes, dont l'histamine, qui déclenchent des allergies." Indiscutablement, un sujet qui fait encore débat, notamment sur la toile!...
- Le Raguenet, Anjou blanc sec 2015 : un chenin élevé sur lies pendant six mois, fermentation malolactique partielle constatée, sans action particulière pour l'empêcher ou pas. Un blanc dynamique et frais, avec une jolie intensité. L'élevage de cette cuvée sera prolongé jusqu'à douze, voire dix-huit mois, lorsque le bâtiment sera isolé.
- L'Arpent du Saule, Rosé de Loire 2015 : en cuve juste avant la mise. Issu d'une vigne en fermage à proximité du centre équestre de Rochefort. Du gamay, du cabernet franc, du grolleau noir et du grolleau gris vendangés ensemble. Autant de cépages (parmi d'autres!) autorisés pour cette appellation. Une jolie fraîcheur, mais de la tenue, pour un vin que l'on destine à nos repas sur les terrasses ensoleillées de l'étéà venir.
Avec Liv Vincendeau, voilà un exemple de jeune femme et de jeune vigneronne qui a tout ce qu'il faut pour faire pétiller la Loire!... Quelqu'un dont les valeurs, joliment précisées sur la page dédiée du site internet du domaine, sont fortes et montrent à quel point sa détermination la guide au quotidien. Quelqu'un aussi qui sait rester à l'écoute. Elle n'a pas débarqué sur la planète Anjou avec un catalogue de certitudes, comme si elle venait d'atterrir sur Mars, avec une check-list labellisée NASA!... De toute évidence, elle fait partie intégrante de son environnement, comme de son village. Elle l'a déjà adopté et ne demande qu'àêtre appréciée notamment pour son travail. N'en doutons pas, les premières cuvées disponibles font déjà d'elle une référente en puissance de la dernière génération installée. Décidément, l'Anjou noir, entre Layon et Loire, est plein de ressources!...