Presque deux semaines. Toutes proportions gardées et tout lyrisme mis de côté, je me sens un peu comme un pilote de L’Aéropostale, en train de revêtir son manteau de cuir. Les moteurs tournent. Au petit matin, il attache sous le menton son casque de cuir lui aussi, levant son regard vers le ciel clair, son esprit déjà tourné vers une destination lointaine. Les lueurs du soleil levant commencent à avaler les étoiles. Il sait que la route est longue et qu’il pourra suivre l’écume des vagues d’une part, la ligne de crête à l’horizon d’autre part.
La ville, la rue des Halles révèlent une clientèle, multiple et variée, comme il se doit. Il y a ceux qui tombent des nues, en découvrant l’enseigne et la vitrine, ceux qui avaient déjà entendu le bruit des moteurs, ceux qui, revenant du marché quelque peu chargés, découvrent et affirment qu’ils reviendront très vite (vivement le prochain marché !), ceux qui n’en ont pas l’air, mais qui, en quelques mots, vous montrent qu’ils connaissent le monde du vin ("en effet, il y a naturellement des sulfites dans tous les vins !" rassurés peut-être, de ne pas entendre quelque énormité sur le sujet), celles et ceux enfin, qui font de la terrasse tricolore (aux couleurs d'un drapeau qui n'existe pas), leur nouveau quartier général, parce que les vins proposés sont en mode glou-glou et les charcuteries sèches délectables !...
Bien sûr, en même temps que cette clientèle doit découvrir la cave, ses horaires, ses rythmes, il faut aussi apprendre quel est le mode de fonctionnement (oh ! la vilaine expression !) de tous ces visiteurs, ces clients. Ceux qui aiment découvrir seuls, ceux qui boivent volontiers vos paroles en même temps que le verre qu’ils tiennent dans leur main, ceux qui se laissent bercer par l’atmosphère du lieu et qui repartent finalement avec un livre ou une saucisse sèche, plutôt qu’une bouteille.
Et puis, il y a tous ceux qui vous veulent du bien !... Et qui vous parlent de référencement modèle, de choix pour assurer vos vieux jours, d’aménagement complémentaire de la boutique. Sans oublier les organismes officiels plus ou moins subventionnés, comme ceux qui font de vous un créateur d’entreprise, un de ceux qui potentiellement va créer de l’emploi dans notre beau pays et qui vous assurent, qu’en faisant appel à eux et à leurs compétences, tout est désormais possible !... Comment leur dire, leur rappeler (parce qu’ils le savent déjà !) que le monde change, que leur modèle économique pyramidal et "corporate" a du plomb dans l’aile, comme parfois les avions chargés de courrier qui survolaient le désert et quelque population hostile? Une récente étude, évoquée voilà peu sur une radio nationale, montre que la nouvelle génération de "diplômés" sort de formation et passe directement à la case entrepreneuriale, zappant volontiers la dimension salariale. Faut-il y voir un refus des logiques passées ou un désir de liberté et d’action, comme ces pilotes de la Postale, qui volèrent contre vents et marées, parce que le courrier devait passer coûte que coûte, en ayant parfois une forme de mépris à peine avoué des conventions établies, une priorité donnée aux activités aventureuses ?...
Un vent de liberté, d’action et de partage souffle sur La Vinopostale !... Il s’agit de faire découvrir quelques cuvées gouleyantes, d’évoquer le parcours de vignerons passionnés, parfois débutants et pleins d'enthousiasme, si ce n'est leur peur fugace d'une sombre nuée survolant le vignoble, ceux qui en ce moment vendangent et espèrent en un grand millésime, généreux et goûteux. D’aucuns optent pour de nouveaux matériaux et de nouveaux contenants dans leur cuvier, certains construisent de leurs mains les locaux dont ils rêvaient et d’autres sortent du tribunal rassérénés, après de nombreux mois de lutte, certains que des combats méritent d’être menés encore de nos jours, au nom des générations futures.
Sommes-nous de taille, alter-cavistes et amateurs passionnés, pour être enfin légitimes àévoquer l'histoire de la conquête des airs, au moment où il faut conquérir les papilles et les goûts?... J'aimerais satisfaire ceux qui me disent "en avoir marre de toujours boire les mêmes vins"!... Il faudra sans doute quelques rencontres à l'avenir, entre les vignerons, comme ceux qui me parlent en ce moment d'un très beau millésime 2015 et ceux qui, de l'autre côté de la bouteille et du verre, sont d'ores et déjà prêts à s'enthousiasmer aux futures découvertes.
"Ce n'est pas la liberté qui manque mais les hommes libres" dit le proverbe. Loin de moi l'idée de revendiquer ce statut rare et privilégié après seulement quinze jours d'une activité nouvelle, mais certains m'ont montré la voie, au travers de diverses rencontres, pour que chacun puisse apprécier demain de choisir librement ce qu'il aime, au moment d'ouvrir une bouteille. Le vin doit passer, dans toute sa dimension universelle.