Second acte de cette virée provençale. Toujours le même principe : versant nord le matin, versant sud post meridiem. A peine dix minutes de route pour rejoindre le Domaine Milan, au bord de la Via Aurélia. Henri Milan est de ceux qui savent ce qu'ils veulent. Et il a imprimé sa volonté au domaine tout entier, tranchant lorsqu'il faut arracher une parcelle, que d'autres tenteraient de conserver coûte que coûte ou prenant l'option parfois délicate de mettre sur la marché des vins sans sulfites ajoutés et ce, dans les trois couleurs, avec certainement une capacitéà se projeter dans l'avenir. Engagement et déterminisme.
~ Domaine Henri Milan ~
Au sortir des vendanges 2014, Henri semble un peu usé par les combats de l'année. Usé, mais pas abattu, loin s'en faut. Il s'agit juste de recharger les batteries. Au printemps, il briguait, ni plus ni moins, que la Mairie de Saint Rémy de Provence, lors des élections municipales. Combat acharné, tension extrême et, au final, un échec pour une vingtaine de suffrages exprimés!... Comme une dégustation d'agrément qui se passe mal... Remarquez, ce ne serait pas trop grave dans le cas des cuvées du domaine, puisqu'elles sont désormais toutes en Vin de Table ou Vin de France!...
Mais, là-dessus, côté vignes, le millésime s'avère compliqué. C'est là qu'il faut pouvoir compter sur une équipe solide. Et ça tombe bien, avec Sébastien, Dominique et Clara, il y a matière à agréger les énergies. Coups de gueule, éclats de rire, on devine que chacun se met vite au diapason du boss.
Et puis, Henri Milan sait pouvoir compter depuis quelques années sur ses enfants, Emmanuelle et Théophile, alias Théo. Ce dernier est de tous les salons qui comptent sur la planète. Infatigable voyageur, il contribue fortement au renom de toutes ces cuvées, ce qui peut paraître aisé, pour celui qui kiffe grave les vins naturels (tiens, pour un peu, je parlerais la "langue des cités", comme l'appelle Wikipédia!).
Pour évoquer les affres de ce millésime 2014, Henri ne manque pas de rendre hommage à sa fille Emmanuelle : "C'est bien simple, si elle n'avait pas été là avec toute son énergie, sa pugnacité, j'aurais laissé tomber!..." Il faut dire qu'au moment où de grosses pluies sont arrivées et que la vendange menaçait de partir à vau l'eau, celle qui fréquente beaucoup l'Alsace (allez savoir pourquoi!), en délaissant son sud méditerranéen (juste un peu), a organisé un tri particulièrement attentif, en mobilisant les énergies disponibles, afin d'obtenir des volumes quasiment inespérés. Résultat : lors de notre passage, le chiffre total des hectolitres destinés aux élevages divers atteint un niveau très acceptable. Bien joué!... Et en plus, elle nous propose de découvrir un assemblage pinot noir alsacien/grenache provençal, dans sa version 2012, tout à fait passionnant!... Bon sang ne saurait mentir!...
Énergie. Henri Milan pourrait en parler pendant des heures, surtout celle de ses sols et notamment depuis que ERDF a fait disparaître de son paysage une ligne à haute tension qui surplombait vignes et bâtiments!... Pour ce qui est des sols eux-mêmes, il faut souligner la grande variété, allant des graves sablonneuses du Clos aux marnes bleues sur éboulis calcaires du reste du domaine, sur lesquelles se plaisent nombre de cépages.
Large dégustation pour apprécier une gamme solide qui allie originalité et complexité, impressions renforcées lorsqu'on peut apprécier quelques millésimes moins récents, donnant leur pleine mesure. Beaucoup de plaisir avec Le Grand Blanc et les trois "Papillon" sans soufre ajouté, blanc, rouge et rosé, ce dernier qu'il ne faut surtout pas oublier!... Au sommet ce jour-là, La Carrée, 100% roussanne, pour son ampleur et sa distinction, sans oublier non plus S&X, du grenache ramassé très mur, sur une initiative de Sébastien Xavier, maître de chai.
La clémence de la météo allait nous permettre de prolonger ce moment autour du salon de jardin face au cuvier, à moins que ce ne soit le salon du cuvier face au jardin, histoire d'apprécier comme il se doit quelques huîtres venues de Vendée pour l'occasion, tout en appréciant de multiples cuvées locales!... Ici, nous sommes au top de la région, indiscutablement!...
~ Domaine de Lauzières ~
Pour l'après-midi, il nous suffisait encore de passer le petit col et de nous laisser glisser sur le versant sud, afin de (re)découvrir un domaine des Alpilles, propriété de Christophe Pillon, originaire de Suisse. Une propriété située au lieu-dit Le Destet, de Mouriès et qui a déjà connu un curieux destin. Le Domaine de Lauzières, que nous avions découvert en 2010 et qui est apparu dans le tome 1 de Tronches de vin, a d'abord vécu au rythme séculaire des successions familiales, au sein de la famille Boyer, propriétaire depuis le XVIè siècle. En 1962, le père Boyer décède et ce sont ses deux filles qui reprennent le flambeau. Trente ans plus tard, Dan Schlaepfer et Gérard Pillon, deux Suisses de la région de Genève, reprennent le domaine. Trente ans plus tard encore, en mai 2012, le second disparaît dans un accident de la circulation, curieuse ironie du sort pour celui qui pratiqua la course automobile au plus haut niveau et participa même aux 24 heures du Mans au début des années 70, passion que son fils Christophe, désormais seul propriétaire du domaine, partage, puisqu'il pilota lui aussi, lors de la célèbre course mancelle en 2002 et 2003.
Une lumière toute particulière règne au moment de notre arrivée dans le vallon. Il nous suffit de gagner les rochers de la crête la plus proche, pour découvrir un autre vallon planté d'oliviers. La commune de Mouriès a la réputation d'être la première commune oléicole de France, avec ses 80000 oliviers!...
Il y a donc pas moins de vingt-deux ans que Lauzières a changé de mains, mais, malgré les travaux de rénovation des bâtiments et surtout la plantation de petit verdot en lyre, une orientation très innovante pour laquelle on devine tous les efforts à consentir, la diffusion des cuvées du domaine est restée relativement confidentielle. Depuis à peine plus de deux ans, une restructuration est en cours. Si François Marsille côté vigne et Noemi Schudel côté cave sont toujours présents et ont désormais pris leurs marques, l'accueil des visiteurs et les aspects administratifs ont nécessité un élargissement de l'équipe pour le moins nécessaire. Désormais, un responsable commercial s'attache à parcourir les routes de France et de Navarre, tout en renforçant la présence régionale, aspect économique restant essentiel pour les vins du grand Sud-Est, au regard de la fréquentation touristique.
De plus, les bâtiments ont été complétés et rénovés, mais un projet de nouvelle cave est somme toute dans les cartons. L'orientation vers la biodynamie est bien confirmée et l'on est toujours surpris par le chai d'élevage contenant de très nombreux oeufs en béton de chez Nomblot, présents depuis les années Schlaepfer-Pillon.
Côté vins, une jolie gamme Sine Nomine, dont un très beau blanc, complétée des séries Équinoxe et Solstice, le tout en AOP Baux-de-Provence ou IGP Alpilles, sauf Sine Nomine rouge en Vin de France, du fait de sa forte proportion de petit verdot (80% en 2010). A noter également, une nouvelle cuvée, Perséphone, du nom de la déesse de la renaissance du printemps, fille de Zeus et de Demeter, avec 80% de syrah et 20% de grenache noir, dans un style très sudiste, mais avec un bel allant.
Renaissance. Un terme qui convient assez bien, pour le moment, à ce domaine dont on peut attendre qu'il prenne sa place parmi les référents de la région, fort de son incomparable écologie, où toute la biodiversité locale est protégée. Gardera-t-il aussi son originalité, en entretenant et en cultivant la production pour le moins singulière d'une cuvée de petit verdot?... Il faut l'espérer, même si quelques années encore sont sans doute nécessaires, au regard des a-priori circulant à propos de ce cépage. Il existe pourtant d'autres rares exemples, comme celui, sur les rives de la Garonne, que nous évoquerons ici-même prochainement.
Après cette journée quelque peu contrastée, belle soirée gourmande au Croque Chou, à Verquières, oùDan Folz et son épouse nous avaient concocté un joli dîner, arrosé d'un Alsace de Patrick Meyer et d'un Hautes-Côtes de Nuits d'Emmanuel Giboulot, deux exemples de la très belle carte des vins disponibles en ce lieu. Une nuit réparatrice sur cela et nous pouvions, au petit matin, prendre la direction d'un domaine figurant dans notre agenda depuis longtemps, avec l'envie (et le pressentiment) de découvrir un lieu hors du commun.
~ Domaine de Sulauze ~
Un ensemble pour le moins éclectique au coeur de la Crau, cette steppe, autrement appelée coussoul, où les moutons partagent leur territoire avec de gros galets ronds. Sulauze, ce n'est pas moins de 500 ha au total, toutes activités comprises. Guillaume et Karina Lefèvre s'y sont installés en 2004, sur à peu près 80 ha, dont une petite trentaine de vignes, une dizaine de blé et d'orge, quelques oliviers encore très jeunes et un potager. Dans cet ensemble, le foin de la Crau humide, premier à obtenir la distinction d'AOC, a désormais une grande renommée. Il est utilisé pour les bêtes du domaine bien sur, mais la deuxième coupe est destinée à Roquefort et ses fromages, tandis que la première est achetée par les écuries de courses de Chantilly!... En quittant le domaine, nous pourrons apercevoir les bêtes du deuxième plus grand élevage de taureaux de combat... sans nécessairement éprouver le besoin de franchir la clôture!...
Lors de notre passage, c'était la fin de la campagne de vendanges 2014, plutôt longue et éprouvante. Guillaume s'affaire encore à quelque remontage dans le cuvier. Le couple se doit d'être passionné pour gérer sereinement l'ensemble, mais la vie dans un tel environnement, comprenant bâtiments anciens assez remarquables (chapelle, crypte troglodyte, salle fénière, pigeonnier et autre four à pain) et vignes protégées par une gestion biologique intégrale, mérite sans doute d'être vécue, pour ceux qui savent retrousser leurs manches.
Dégustation de quelques jus récents, notamment le rosé, Pomponette, une couleur très présente au domaine, pour lequel le vigneron dit pratiquer des vinifications "à la volée", prenant les raisins et les encuvant dans l'ordre dans lequel ils se présentent. La gamme se complète d'un joli blanc, Galinette et de trois rouges, Lauze, Les Amis et Liane, pour lesquels cabernet sauvignon, syrah, mourvèdre et grenache proposent des styles différents, mais toujours porteurs d'une remarquable fraîcheur. D'autres cuvées sont de temps à autre disponibles, comme le pétillant naturel, exemple de légèreté fruitée et suave, ou encore ce blanc de macération en cours d'élevage, ou le vermentino passerillé et au final moelleux, dont les grappes sèchent sous le plafond du cuvier.
Il est presque normal de quitter à regret un tel environnement, en pensant aux dix heures d'autoroute qui nous attendaient, d'autant que la chaleur était toujours d'actualité et que Karina nous prépara un succulent repas pour l'occasion. Au passage et en me remémorant l'image des "toros" si paisibles dans leur paysage, juste une pensée pour Lucien Clergue, remarquable photographe originaire d'Arles, où il créa les Rencontres Internationales de la Photographie, immense rendez-vous pour les passionnés de cet art. Et, en même temps, emporter quelques belles images d'une jolie escapade, dans toute sa diversité, en rappelant que rendre visite aux vignerons reste essentiel, car c'est le seul moyen concret de capter leur créativité, comme le démontre cette virée en Provence, région que l'on aurait vite rangée, pourtant et à tort, parmi les soi-disant "homogènes", n'ayant plus rien pour nous surprendre. Heureusement, il n'en est rien!...